Chapitre 1

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Il se tenait devant le miroir, les doigts hésitants sur la boutonnière de sa chemise. Cherchait-il une imperfection, une preuve tangible de ce manque d'éclat qu'il s'attribuait si souvent ? Ses yeux parcouraient les lignes de son visage, s'arrêtant sur l'ombre légère sous ses pommettes, sur la courbe de ses lèvres qu'il jugeait parfois trop fines, parfois trop charnues. Était-ce là le reflet d'un homme capable d'inspirer l'amour, cette émotion si souvent chantée, peinte, idéalisée ? Il en doutait. Profondément. Et une ironie douce-amère lui murmurait que si l'amour était aveugle, c'était probablement pour ne pas voir à quel point il en était indigne.

L'amour... le mot résonnait en lui comme une mélodie douce et incertaine, mais teintée d'un humour noir désabusé. Était-il cette lumière dorée qui nimbe les instants ordinaires, transformant la routine en une danse enjouée ? Lui, il avait plutôt l'impression d'être le vieux canapé élimé qu'on traîne jusqu'au trottoir un soir de ramassage des encombrants. Pas même la dignité d'une annonce sur Le Bon Coin, non. Juste là, sous la pluie fine des désillusions, à attendre qu'une âme charitable – ou un service municipal de l'affect – daigne s'occuper de sa carcasse émotionnelle.

Parfois, cette pensée le mordait avec une lucidité glaçante : peut-être était-il de cette nature, un encombrement affectif. Une présence qui, au début, pouvait sembler nécessaire, un ajout au décor de la vie de l'autre, mais qui, avec le temps, devenait une gêne, un meuble dont on se lasse et qu'on finit par vouloir reléguer aux oubliettes du cœur. Il imaginait les regards soulagés, presque coupables, au moment de la séparation, comme si on se débarrassait enfin d'un poids mort, d'une ancre rouillée qui empêchait le navire de l'autre de voguer librement.

Et aimer ? La question le taraudait comme une vieille carie. Était-il même câblé pour cela ? N'était-il pas plutôt une île, un atoll solitaire battu par les vents de sa propre introspection ? Il observait les couples, y cherchant des indices, des manuels d'instruction qu'il n'avait jamais reçus. Cette capacité à se donner sans compter, à s'abandonner à l'autre... lui semblait aussi étrangère que la physique quantique. Peut-être souffrait-il d'une forme rare d'alexithymie sentimentale, une incapacité à identifier et à exprimer les nuances de l'amour.

Pourtant, il ne pouvait ignorer les regards qui parfois s'attardaient sur lui. Des femmes, aux sourires énigmatiques ou à la franchise désarmante, croisaient son chemin et leurs yeux semblaient parfois s'y poser plus longtemps qu'il ne le jugeait nécessaire. Un trouble léger le parcourait alors, une vague tiède d'espoir souillée par le cynisme. Était-ce de l'attirance ? Ou simplement la pitié fugace qu'on accorde aux objets abandonnés ? Il préférait la seconde option, cette logique tordue qui le protégeait de la vulnérabilité. "Voyez, je savais bien que je n'étais qu'un déchet," semblait murmurer son subconscient avec une satisfaction perverse, une forme d'auto-sabotage psychologique bien rodée.

Au fond de lui, une voix murmurait des mises en garde, une litanie de ruptures passées où il avait invariablement fini par se sentir de trop, jeté sans ménagement. L'amour, se disait-il avec un humour noir teinté de désespoir, était une vente éphémère, une promotion alléchante qui se terminait toujours par un retour à l'envoyeur, frais de port à sa charge émotionnelle et un bonus de culpabilité pour n'avoir pas su "garder" l'autre. Et cette idée de "garder" quelqu'un lui donnait la nausée. L'amour ne devait-il pas être un envol, une liberté partagée, plutôt qu'une possession étouffante ?

Son besoin de solitude était une boussole intérieure, pointant vers un chez-lui où l'écho de ses propres pensées n'était pas noyé par une présence constante. L'idée d'être "collé au basque" lui donnait une sensation d'étouffement, comme si son espace vital était envahi. Peut-être était-ce une séquelle d'un attachement insécure, une peur panique de la fusion qui effaçait les contours de son propre être. Ces doutes, il les gardait enfouis, bien à l'abri des conversations intimes, de peur de voir l'autre reculer, effrayé par cette complexité qu'il peinait lui-même à déchiffrer.

Alors, il se mentait. Pour apaiser cette angoisse sourde, il se construisait une carapace d'indifférence, un vernis de détachement ironique. Il minimisait l'impact des regards, rationalisait les sourires, se persuadait que l'amour n'était pas pour lui, qu'il était une illusion pour les cœurs neufs et non pour les meubles usagés de son espèce. Mais sous cette façade de cynisme désabusé, un cœur solitaire aspirait secrètement à ne plus être un encombrant, à trouver enfin une place où il serait regardé non pas comme un fardeau, mais comme une trouvaille rare, même imparfaite.

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