Chapitre 3

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La psychologie de l'amour le titillait par intermittence, surtout lorsqu'il tombait sur des articles relatant les défis des familles recomposées. L'idée de se réinvestir dans une relation où il arriverait en terrain déjà conquis le glaçait. Il a déjà "servi", dans un sens qui résonnait en lui comme l'écho d'un engagement passé, une sorte de service militaire affectif où il avait endossé un rôle, suivi des règles établies par d'autres, sans jamais vraiment se sentir à sa place, à se faire réformait "P4" parce qu'il n'était plus soit disant "comme avant". L'idée de devoir à nouveau enfiler cet uniforme émotionnel, de se plier aux dynamiques d'une famille déjà constituée, avec ses propres hiérarchies et ses loyautés complexes, le rebutait profondément. C'était comme être rappelé sous les drapeaux d'une guerre où il avait déjà laissé des plumes.

Devenir responsable, même partiellement, de dynamiques familiales préexistantes, avec des enfants porteurs de leurs propres bagages émotionnels, lui paraissait une tâche herculéenne, voire une condamnation à perpétuité dans un rôle de supplétif, de remplaçant, qui ne serait jamais vraiment le sien. La peur de ne jamais être qu'un ajout, une pièce rapportée à un puzzle déjà presque complet, le dissuadait avant même de commencer. Il avait déjà donné une fois, donné de son temps, de son énergie, pour finalement se sentir comme un permissionnaire dont le congé touchait à sa fin, renvoyé à sa solitude sans véritable reconnaissance.

Et puis il y avait cette angoisse sourde à l'idée de devoir s'installer chez quelqu'un. Son chez-lui, aussi modeste fût-il, était son sanctuaire, le seul endroit où il pouvait enfin retirer ce masque social qu'il portait constamment. Son endroit, ses règles, son repère. L'idée de devoir partager cet espace intime avec quelqu'un qui ne comprendrait pas son besoin vital de solitude, ses silences nécessaires, ses manies parfois étranges, le terrifiait. C'était comme confier son journal intime à un supérieur hiérarchique. La perspective de voir son havre de paix transformé en une caserne où il devrait rendre des comptes, se plier à des horaires, justifier ses moments de retrait, était un repoussoir puissant.

Il imaginait le scénario catastrophe : emménager chez une femme avec des enfants qui le regarderaient avec suspicion, parce que sans doute, oui, elle avait sans doute vécu des trahisons également, une ex-femme planant comme un officier supérieur dans les conversations, des habitudes de vie incompatibles qui transformeraient le quotidien en une corvée sans fin. Il se voyait déjà errer dans cet espace qui ne serait jamais vraiment le sien, se sentant comme une recrue perdue dans un régiment étranger. La solitude, aussi inconfortable fût-elle parfois, lui semblait encore préférable à cette forme d'aliénation domestique, à cette perte de son libre arbitre.

Sa propre théorie fumeuse sur l'engagement résidentiel était simple : tant que chacun avait sa propre base, ses propres règles, il y avait une chance de survie. Mais dès qu'il fallait fusionner les territoires, les egos commençaient à se heurter comme des soldats rivaux, les habitudes à s'irriter comme des ordres contradictoires, et l'amour risquait de se transformer en une guerre de tranchées pour la télécommande, une lutte de pouvoir pour l'espace vital. L'idée de devoir négocier l'emplacement de ses livres, la température du chauffage, l'heure du coucher, lui donnait une migraine existentielle digne d'un état-major en pleine crise.

Alors, il continuait d'observer les couples emménager ensemble avec un mélange de fascination et d'effroi. Il y voyait une forme de courage téméraire, une foi inébranlable dans la capacité de deux solitudes à se fondre sans se perdre. Lui, il se sentait incapable d'une telle prouesse, marqué par cette expérience passée où il avait "servi" sans jamais vraiment trouver sa place. Il préférait rester sur son île, songeant que peut-être, pour certaines âmes cabossées comme la sienne, l'amour à distance, avec ses silences respectueux et ses retrouvailles choisies, était la seule forme viable de cohabitation affective. Et l'idée de ne jamais avoir à défaire ses cartons, de ne jamais avoir à s'enrôler dans une nouvelle "mission" familiale, était, paradoxalement, une source de réconfort.

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