Chapitre 9

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Ses émotions, il les contenait comme une cocotte-minute sur le feu, préférant la pression sourde à l'explosion incontrôlable. Il n'était pas du genre à épancher son cœur à la moindre contrariété, considérant que sa vie, avec ses joies rares et ses frustrations fréquentes, ne méritait d'être racontée qu'une seule fois, comme une vieille histoire qu'on dépoussière avec parcimonie. Mais lorsque la coupe débordait, lorsque la bêtise humaine le piquait au vif, lorsqu'il sentait monter cette rage sourde face à ceux qui le prenaient pour un imbécile, son mode d'expression prenait une tournure singulière.

Par une forme de courtoisie amère, il s'interdisait l'insulte triviale, le vocabulaire ordurier qui lui brûlait parfois les lèvres. Non, sa colère prenait une forme plus sophistiquée, une joute verbale où le lexique devenait son arme. Il se fascinait alors à construire des phrases complexes, chargées de termes précis et parfois archaïques, pour dire exactement ce qu'il pensait, sans jamais franchir la ligne rouge de l'invective vulgaire. Ses mots devenaient des scalpers intellectuels, disséquant l'absurdité de la situation avec une précision chirurgicale, laissant souvent ses interlocuteurs interloqués, plus par la forme que par le fond.

Étrangement, au lieu de confronter directement les personnes à l'origine de sa colère, il préférait la confier à ses collègues de travail, transformant la pause-café ou le déjeuner en une tribune improvisée. Il racontait l'incident, l'injustice, la stupidité rencontrée, avec une théâtralité contenue, utilisant son vocabulaire choisi comme un baume apaisant pour sa propre irritation. Il voyait cela comme un exutoire efficace, une manière de décharger sa rage une bonne fois pour toutes, de la laisser s'évaporer dans l'atmosphère neutre du bureau. C'était, selon lui, le meilleur moyen d'éviter les dérapages physiques, cette tentation de secouer violemment l'idiot de service pour lui remettre les idées en place.

Une fois le récit achevé, une fois la colère verbalisée, il sentait la pression retomber. C'était comme vider un sac trop lourd. D'un seul coup, il retrouvait son flegme habituel, cette distance ironique qui le caractérisait dans sa vie quotidienne. L'incident était clos, relégué au rang d'anecdote racontée, sans avoir nécessité un affrontement direct et potentiellement destructeur. Sa rage, canalisée par le verbe, s'éteignait là où il l'avait exprimée, laissant derrière elle un calme étrange, la satisfaction amère d'avoir dit ce qu'il avait à dire, à défaut de l'avoir dit aux bonnes personnes. C'était sa façon de naviguer dans un monde souvent exaspérant, en transformant sa colère en une performance linguistique solitaire, un spectacle dont ses collègues étaient les témoins involontaires.

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