Chapitre 14
Même dans la forteresse apparemment impénétrable de sa solitude choisie, les murs n'étaient pas imperméables aux ondes de l'attraction. Il pouvait se sentir, malgré son célibat endurci, happé par la présence d'un autre, une personne croisée au hasard dont l'éclat singulier perçait son indifférence habituelle. Un regard, un sourire, une intonation de voix suffisaient parfois à réveiller en lui une chimie oubliée, un désir brut et instinctif. Et alors, une pensée, aussi fulgurante qu'interdite, traversait son esprit : Putain, je la voudrais bien.
Cette pulsion, il la reconnaissait comme une manifestation de cette nature animale qu'il évoquait parfois avec un cynisme détaché. Un besoin primaire, une soif de nouveauté, l'attrait de l'inconnu. Mais confronté à la réalité d'une relation existante, même fragile ou récente, cette pensée se heurtait violemment à ses propres principes, à cette éthique de la fidélité qu'il s'était efforcé de maintenir.
Pourtant, l'idée persistait, lancinante : cette personne me plaît, je veux découvrir ce qui se cache derrière cette façade, explorer cette alchimie naissante. Et une audace folle, une honnêteté brutale, le traversait parfois : l'envie de se tourner vers sa partenaire et de formuler l'impensable. Laisse-moi faire, s'il te plaît.
L'absurdité de cette requête le frappait de plein fouet. Comment oser prononcer de telles paroles sans briser irrémédiablement le lien existant ? Comment justifier ce désir d'exploration au nom d'une honnêteté potentiellement destructrice ? Le "s'il te plaît" sonnait comme une ironie amère, une tentative désespérée de masquer l'égoïsme fondamental de cette pulsion.
Il imaginait la réaction de l'autre : la stupeur, la douleur, la trahison. Comment interpréter une telle demande sinon comme un aveu de désamour, un manque de respect flagrant ? Même si son intention n'était pas de blesser, la formulation même de son désir portait en elle les germes d'une rupture.
Il y avait aussi cette part de lui qui se fascinait pour cette honnêteté radicale, cette transparence totale, même au risque de tout perdre. N'y avait-il pas une certaine noblesse à exprimer ses désirs sans faux-semblants, à mettre cartes sur table, quitte à affronter la vérité, aussi douloureuse soit-elle ? Mais cette noblesse se heurtait à la réalité brutale des sentiments humains, à la possessivité, à la jalousie, à la blessure infligée par la simple évocation d'un désir pour un autre.
Alors, il se refermait sur cette pensée interdite, la reléguant au rang des fantasmes inavouables. La tentation restait là, sourde, rappelant la fragilité des engagements et la complexité des désirs humains. Mais la conscience des conséquences, la peur de la douleur infligée, le retenaient de franchir cette ligne rouge. Le "putain, je la voudrais bien" restait une pensée intérieure, un aveu silencieux à lui-même, la preuve que même le cœur le plus solitaire n'était pas immunisé contre les flèches du désir, même si l'expression de ce désir risquait de tout détruire.
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