Popaul emploi (1)
Georges était étonné que le type attende sagement son tour. Il l’avait remarqué depuis qu’il était entré dans l’agence. Un mix de chêne et d’hippopotame. Lorsqu’il s’était assis sur le seul siège libre, il y avait eu un pénible craquement comme si l’objet avait hésité à se fendre. Ses voisins s’étaient naturellement écartés, quitte à avoir une fesse exposée à la gravité terrestre. Lorsque leurs numéros étaient apparus sur le panneau lumineux, ils ne s’étaient pas tout de suite levés, respectueux de la force bestiale qui giclait du viking sans tresses. Constatant alors qu’il ne réagissait pas, ils avaient jugé bon d’aller vers le box du conseiller indiqué par une lettre. Rares les types comme ça. D’habitude, ils s’imposent direct. Ils se fichent de l’ordre d’attente comme de l’art conceptuel. Et si quelqu’un se plaint… Mais tout le monde ferme sa gueule, trop attaché à son intégrité dentaire. Et puis tout le monde est avide de sang, surtout quand ce n’est pas celui qui coule dans ses veines.
Tiens, d’ailleurs, les deux types qui ont précédé le mastard ne s’en vont pas. Ils feignent de consulter les offres de stage qui datent de l’invention du chemin de fer. Qui était chargé de leur actualisation ? Maxence ? Bernard ? Bien longtemps qu’on ne les a pas vu trainer dans cet espace. Pourquoi faire ? Ces offres ne sont que les éléments d’un décor supposé être dédié aux chercheurs d’emploi. Ils servent à convaincre ceux qui pénètrent et ceux qui travaillent à cet endroit de la volonté farouche de l’administration de remettre chacun sur le chemin émancipateur de l’activité. La Bonne Voie. Tout comme ces ordinateurs mis à disposition et qui fonctionnent une fois par semestre. Tout comme cette salle de travail dans laquelle les « longues durées » roupillent ou bouffent un casse-dalle pas cher. Mais qui est dupe, hein ? Qui est dupe ?
Maxence et Bernard, ses deux collègues qui viennent de terminer leurs entretiens, ont adopté l’attitude de l’agent consciencieux qui remet de l’ordre dans ses dossiers. En même temps, chacun lorgne à tour de rôle dans la direction de Georges. « C’est ton tour, coco » lui disent leurs regards brefs et insistants. Comme s’il ne savait pas. Le dernier à s’être tapé un vrai client avait été Bernard. Coup de bol pour lui, ça avait été un gringalet qu’un simple courant d’air aurait propulsé dans une galaxie lointaine. À se demander si le gars n’était pas maso d’ailleurs et n’avait pas voulu être humilié. Parfois, à force de subir des averses de parpaings, l’estime de soi devient comme une merde écrasée par une file de quatre-quatre. On en arrive à un stade où on n’aspire plus qu’à son propre écrabouillement
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