Popaul emploi (3)
Avant la loi de protection du secteur privé, tous ceux qui s’en donnaient les moyens pouvaient obtenir rapidement un job. Ils entraient par exemple dans un magasin, défonçaient un agent de sécurité et hop, ils pouvaient endosser son uniforme et commencer à surveiller la clientèle. Ou mieux, ils feignaient d’acheter une bouteille de pinard, assommaient une caissière avec puis la remplaçaient dans la foulée. Conséquence de cette technique plus sournoise, les caissières devinrent exclusivement des caissiers qui eux-mêmes devinrent de plus en plus balaises et impitoyables (certains rackettèrent les clients). Pendant une période d’environ trois mois, tous ceux qui avaient des petits boulots furent assaillis par des chômeurs déterminés à redevenir actifs. Les scènes de pugilat se multiplièrent dans tous les secteurs d’activité pour les emplois non qualifiés. Évidemment, pour exercer une profession dite « intellectuelle » il était interdit d’avoir recours à la force. Les journalistes, avocats ou encore médecins n’étaient pas concernés par cette « nécessaire » réforme du travail. Ils pouvaient donc continuer à pratiquer leur métier en toute sérénité contrairement à la majorité de la populace. Mais cela était logique après tout. N’était-ce pas les mêmes têtes pensantes qui siégeaient à l’Assemblée Nationale ? Il fallut que les représentants du patronat montent au créneau pour que les prises de postes spontanées cessent dans le secteur privé. En effet, si ce mode révolutionnaire de recrutement permettait d’avoir les éléments les plus forts, les plus motivés et les plus efficaces, il nuisait au bon fonctionnement de l’entreprise. Pas un jour ne se déroulait sans bagarre et malgré la prise en charge des coûts des dégâts par la collectivité, les pertes quotidiennes au niveau de la productivité n’étaient pas négligeables et handicapaient les firmes françaises à l’international. Aussi, soucieux de contenir la colère de la masse toujours croissante des sans-emplois qui menaçait d’exploser, décida-t-on de circonscrire ce procédé au secteur public. En prenant soin, toutefois, de limiter cet accès au travail à un nombre réduit d’administrations et d’agents (en grande partie ceux de petites catégories ayant des missions d’accueil). Les assassins d’un cadavre en charpie s’efforcent toujours d’alléger leurs coups pour croire à leur innocence.
Alors que le golgoth dernière génération s’approche de son box, Georges compresse ses burnes entre ses cuisses velues. Ironie du sort, il a la pénible impression d’être devenu le vieil agent tout proche de la retraite, l’exacte réplique de celui qu’il avait envoyé à l’hosto jadis. Il le sait, il ne fera pas le poids face à cet indestructible combattant, buveur de sang inassouvi. Il a manqué trop d’entrainements, a trop mangé de plats en sauce et de chips. Ses collègues le lui ont reproché d’ailleurs. « Fais gaffe, Georges, à force d’esquiver les séances de crossfit et de combat rapproché, tu vas ramollir. Viens pas pleurer après si un vrai client te dégage ». Georges prenait ces remarques à la légère, arguant que les vrais clients se raréfiaient à cause, justement, du physique de plus en plus dissuasif du personnel. Et puis, se vantait-il, s’il s’en présentait un, un jour, il saurait le recevoir ! « Tu ne devrais pas parler comme ça » avait juste dit Maxence à la manière d’un vieux sage. Oui, peut-être aurait-il dû se taire, garder ses pensées à l’intérieur de son crâne. Ainsi, il aurait peut-être échappé à ce tête-à-tête de cauchemar digne d’un mauvais western de série Z. La brute et le croulant.
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