2 Billets pour le 7° ciel

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Dans le salon transformé en capharnaüm, tandis que Kiki plaçait un autre C.D dans la chaîne, Annabelle s'ingéniait à embarrasser Pierrot par un effeuillage diabolique. Les jambes entrelacées de Désiré et d'Anna, agitées de spasmes évocateurs, dépassaient de l'arrière du canapé. Yasmina tortillait du bassin pour permettre à Djé de la libérer de son pantalon corsaire sans cesser de fractionner une barrette de haschich. Sur la table, près d'elle, des vestiges de lignes de coke brouillaient le miroir tombé de son sac à main

Vêtue de son seul string, Yasmina échappa aux mains de Djelloul pour s'approprier la canette de bière brune que Kiki s'apprêtait à siffler puis, dans le même élan, elle entreprit de planter un joint entre les lèvres de Pierrot. Pris à partie par les deux filles, le quinquagénaire repoussait le pétard en affirmant que la seule fumée d'une cigarette « normale » le rendait malade. Pensez donc un joint !

   - C'est du H, pas de l’héro ! Ça va pas te tuer, merde !

Pas question pour Pierrot de jouer les Ulysse attaché au mât pour s'émerveiller du chant des sirènes. Déjà qu'il avait du mal à contenir les tressautements du sien face à ces deux ravageuses de santé aux appâts à rendre dingue le plus fervent des curés ! Mince ! Il était honnête homme, que diable ! Si le contrat de mariage s'était jadis agrémenté de quelques coups de canif au fil des années, dans sa cabine de routier au long cours, il n’en restait pas moins un père de famille à temps plein. L'aînée de ses filles aurait aisément pu être copine de classe de ces sauteuses en pleine exubérance sexuelle qui lui pétrissaient la conscience.

Les deux dévergondées échangèrent un regard de connivence. Tandis qu'Annabelle se pelotonnait sur les genoux de l’obèse et se répandait en câlinerie, Yasmina fouilla un sac à main à la recherche d'une autre décoction à booster les plans Q. Elle en extirpa un cachet de couleur rose en forme de cœur puis, après un temps de réflexion, l’accompagna d’un second pour faire bon poids. Les deux cachetons inconnus au répertoire de la pharmacopée légale terminèrent leur course dans le verre de bière de Pierrot. Une traîtresse manœuvre que lui masqua le nombril bondissant d'Annabelle agité au son d'une danse du ventre.

Satisfaite du bon tour joué à Pierrot, la perfide Yasmina s'en retourna vers les bras de Djé. Le sourire ambigu de l'ex-boxeur attestait qu'il n'avait rien perdu de la manœuvre.

*

* *

Un pâle rayon de soleil vînt se prendre dans les cils d'Annabelle qui plissa violemment les paupières et porta la main à son front douloureux. Elle décolla sa joue du torse de Djé, détailla longuement le corps viril, le temps d'ordonner ses souvenirs confus, puis elle s'offrit un tour d'horizon incrédule de la pièce.

Djé et elle occupaient le tapis Oriental planté au beau milieu du salon dont les meubles avaient été repoussés contre les murs. Désiré et Anna reposaient nus sur le canapé, les membres enchevêtrés. Pierrot n'avait pas quitté le fauteuil où il gisait affaissé comme un soufflet retombé, le pantalon sur les chevilles, son bide tombant lui offrant un semblant de pudeur. A demi vautrée à ses pieds, Yasmina s'accrochait d'une main à son mollet. Kiki, écroulé dans un coin ronflait comme un sonneur, la bouche grande ouverte, une canette à moitié pleine à la main.

La jeune fille remua en gémissant. Brusquement assaillie d'un doute, elle consulta son bracelet-montre. Sa découverte la fit bondir comme sous l'impulsion d'un ressort. Elle jaillit sur ses pieds pour aller flanquer un coup de pompe vachard dans la main de sa sœur traînant au sol. Prodigue en horions dès le réveil, elle infligea le même traitement aux chevilles de Yasmina qui poussa un barrissement de protestation.

  • Debout, bande de grosses vaches ! hurla la jouvencelle. Il est 9 heures 45. L'interro écrite sera achevée que je ne serai même pas encore au bahut !
  • Ben, pour une soirée déstressante avant examen c'est réussi ! Merci l’angoisse ! marmonna Yasmina en reposant la joue contre la jambe de Pierrot.

La lascivité voluptueuse avec laquelle Yasmina avait repris sa pose décupla la rage de la benjamine de l’équipe qui lui flanqua un nouveau coup de pied teigneux. La houri émancipée se dressa comme un cobra prêt à fondre sur sa proie.

  • Non mais ! T'es complètement tarée, pauvre tâche ! Le mal est fait. Que tu cavales ou pas, ça n'y changera plus rien. Alors, tu me fous la paix ! OK ?
  • Pétasse !
  • Siffle toujours, belle caille !

L'algarade, à moins que ce ne fût les agaceries préalables de Yasmina, avaient sorti Pierrot de sa léthargie. Le volumineux quinqua claquait de la langue, la bouche affreusement pâteuse, quand une évidence lui traversa soudain le ciboulot embrûmé.

  • Au Bahut ?... Ché bin au bahut qu'elle a dit ?... Elle est 'core à ch' lycée ?

La réponse de Yasmina se limita à un haussement d'épaules indifférent, mais Annabelle possédait encore des pleines sacoches de haine en réserve.

  • Il est complètement taré, ce mec !... Tu espérais quoi ?… Qu’on se pointe en culottes Petit Bâteau pour te garantir une érection décomplexée ?

A deux pas de la jeune fille, Djé suivait la joute verbale d’un air ahuri. Il s’évertuait à nouer deux coins de la fine couverture du canapé pour s’en faire un pagne. Le nœud terminé, il attrapa fermement Annabelle par un bras.

Ne sois pas insultante comme ça, tu veux ! Personne t'a obligée à venir et encore moins à te camer. Alors, sois polie avec Pierrot !

  • Lâche-moi, toi, malade !... Tu me fais mal !...

La jeune polissonne se débattit, furieuse. Émoustillée par la dispute, Yasmina tendit sournoisement la jambe entre les chevilles de sa copine afin de lui saper l'équilibre. Djé lâcha prise pour ne pas se trouver entraîné dans la chute et la harpie en herbe fusa tronche la première vers la table de télévision. Le choc douloureux décupla la colère d'Annabelle. Elle partit à la recherche de ses effets en virant à coups de pieds tout ce qui se trouvait sur son chemin.

Pas des masses tracassée par la fureur pétardière de sa cadette, Anna s'arracha avec regrets des bras de Désiré. Elle s'étira comme une chatte, grimaça, titilla un peu l'amant qui avait rassasié la faim juvénile des parties basses de son anatomie, puis elle se leva.

  • Bon ! Faut qu'on y aille sinon la gamine va nous faire un caca nerveux. On se reverra bientôt, j'espère ?
  • Toi !... Ta gueule ! Vitupéra la benjamine.

Histoire de souligner son cri d'exaspération, Annabelle rafla le cadre en argent posé sur la télévision et le lança à la tête de sa sœur. L'unique portrait que Djelloul possédait de sa mère éclata contre le mur. Un cliché jauni, pris « au bled », avec les Aurès en toile de fond. La gifle fusa, vive et précise, claquante comme une détonation d’arme à feu. La petite peste se retrouva affalée sur le sol, plus vexée que réellement sonnée, mais la joue imprimée en creux par les quatre sillons des doigts habitués aux durs travaux de manutention.

Les préparatifs de départ se poursuivirent dans un silence absolu. Consterné chez les hommes qui comprenaient le réflexe de Djé, furieux chez les filles de nouveau coalisées face à une tribu de barbares n'éprouvant même pas la reconnaissance du bas-ventre.

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