15 Désiré pas flambeur, mais...

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Pour des raisons qui paraîtront évidentes aux lecteurs, aux fans de récits picaresques et de romans policiers, le Pape, ainsi que votre serviteur, se virent honorés d'une multitude de visites de courtoisie de la part de la P.J, la plupart agrémentées de promesses de représailles féroces lors de notre prochaine comparution en cour d’assises si nous ne leurs livrions pas l’identité de nos complices toujours en liberté, capables d’avoir perpétré ces hold-up supérieurement organisés. Car, entre les détails inventés pour broder le canevas volubile de la presse, et les réalités de l’enquête de terrain, la kyrielle de combinaisons possibles ne cessait de croître. Mais toutes portaient la griffe du Pape au niveau -bien accidentel- de la réalisation. D'un autre côté, pouvait-on donner tout à fait tort à ces émules de Sherlock Holmes ?

Certes, la P.J tenait à disposition une brochette de coupables d’autant plus crédibles que ces crétins éblouis par les feux de la gloire se pavanaient, se trouvaient à deux doigts d’endosser tous les braquages non résolus de la décennie, uniquement par ivresse du prestige. Mais l’engouement des enquêteurs pour la clôture rapide d’un dossier, fusse au prix d’une erreur judiciaire, doit plus à la légende occasionnelle qu’à une désinvolture traditionnelle. En dépit des empreintes relevées dans le véhicule formellement identifié par des témoins dignes de foi, malgré quelques billets trouvés sur les suspects dont les numéros de série correspondaient à des liasses subtilisées, de la douille fraîchement tirée, des traces de poudre sur l’index qu’un comique avait plongé dans l’étui juste pour s’enivrer de l’odeur de cordite, les inspecteurs s’étaient forgés la conviction qu’ils ne tenaient pas les bons auteurs du braquage. Enfin, des braquages ! Car il était évident qu’ils avaient tressé un lien solide entre celui de la bijouterie et celui de la banque.

*

* *

Les liasses bien rangées couvraient une bonne moitié de la table de la salle à manger de Nini en un épais tapis. En l’absence de la maîtresse de maison appelée par ses occupations professionnelles, les quatre holdeupeurs miraient leur fortune mal acquise avec admiration mais aussi beaucoup de vague à l’âme. Dans ses rêveries nautiques, Kiki voyait s’éloigner un superbe trois mâts toutes voiles gonflées.

- T’as raison, Djé ! Même au super marché on aurait dû se méfier. S’il y a des liasses de billets avec les numéros relevés, on va droit dans le mur, soupira-t-il.

- Au super marché, j’cros pas, le rassura Pierrot. Commin veux-tu qu’in faisant les caisses au soir on sache qui a donné un billet d'vingt putôt qu’un aut’ ? ( Au super-marché, je ne crois pas. Comment veux-tu qu’en effectuant les caisses le soir on sache qui a donné un billet de vingt plutôt qu’un autre ?)

- Pour échapper à ce traquenard, moi je connais un endroit radical pour laver le fric.

Trois paires d’yeux convergèrent vers Désiré, porteuses de diverses nuances étagées de la méfiance à l’incrédulité, mais toutes empreintes de curiosité.

- Pas avec un baril d'OMO, ducon ! Lança-t-il à Kiki avec suffisance… Près de chez moi, il y a les Bahamas… Anguilla… Saint Martin… En gros ; des bleds où l’argent ne possède aucune odeur. On appelle ça des paradis fiscaux.

- Ouais ! Et avec quoi on se paye le voyage ?... Et comment on fait passer le fric aux aéroports ? Interrogea Djé.

La morosité menaça de nouveau le climat de la pièce. Le superbe trois mâts de Kiki appareillait encore, le laissant déconfit sur le quai. Chacun se mit à gamberger ferme dans son coin, une bouteille à portée de main. En fin d’après midi, le baromètre du moral remonta avec l’arrivée de la maîtresse de maison.

Les Branques la délestèrent de sa serviette et de son gilet, ils l’installèrent comme une reine avec une affectation exagérée et, tandis que Désiré lui masquait les yeux de ses mains, les autres déversèrent les liasses sur la table.

- L’école privée de madame pour les petits défavorisés l’île Monica a déjà trouvé ses fondations, entonna triomphalement le Martiniqueur en ouvrant les mains.

L’apparente apathie de Nini les désappointa. La prof sauta de sa chaise pour aller flairer de près les billets multicolores, les palpa, puis tendit une lippe boudeuse.

- Il faut transférer çà au plus vite au Luxembourg ou au Liechtenstein en passant par la Belgique. Sous le plafond de réserve, le change est absolument anonyme dans ce pays. Le plus sage serait que deux d’entre vous se rendent là-bas avec le magot, effectuent la conversion en monnaie forte par petits paquets dans différents comptoirs, puis qu’ils aillent ouvrir des comptes numérotés en Autriche.

- En Autriche ? Hoqueta Kiki, effrayé de voir le magot s’envoler vers un pays qu’il aurait été incapable de situer sur un Atlas géographique. Et pourquoi deux mecs sur quatre, d'abord ?

- Parce que l'Autriche est moins surveillée que les îles anglo-normandes, cousin. Qu'elle est accessible par la route. Et que quatre loustics, ça fait tout de suite gang. Mais si tu as mieux à proposer…

Dès que Kiki fut pleinement convaincu que l’Autriche ne partageait aucune frontière avec la Chine ou la Papouasie Nouvelle Guinée, le plan de Nini se vit adopté à l’unanimité.

L’eau de pluie dans les meilleurs alcools n'offrant qu’un cocktail de piètre qualité, l’idée d’un super barbecue proposée par Kiki pour fêter l’évènement fut, quant à elle, reportée pour cause de temps menaçant. Un inconvénient désormais considéré comme très temporaire, en marge des félicités exotiques bouillonnant sous toutes les voûtes crâniennes. Surtout sous celle de Kiki qui, tout joyeux, voyait de nouveau son magnifique voilier approcher du port pour y quérir son fier capitaine entouré d’une kyrielle de naïades portées à température tropicale.

En ouverture, les actualités télévisées régionales de dix neuf heures détaillèrent longuement l’attaque de la banque qui, selon les traditionnelles « sources autorisées », aurait fait appel aux fines fleurs du braquage local. L’accent Chti des voyous ne laissait planer aucun doute à ce sujet. La précision du « tir à la hanche » pour neutraliser la caméra fut présenté comme une prouesse de tireur d’élite et reconstituée sous les yeux de caméras et sous de multiples angles. L’usage de balle en caoutchouc donnait à penser à des émules du Pape, le célèbre gangster allergique à toute forme d’exploits sanglants. Autres détails attestant du sang froid et de la parfaite maîtrise des auteurs ; la mise hors circuit inexplicable du courageux caissier juste avant qu’il ne puisse presser la sonnette d’alarme ainsi que la récupération du projectile de caoutchouc pour en écarter toute possibilité identification. Un « faisceau d’indices concordants » orientait les enquêteurs vers une bande déjà identifiée dont l’arrestation n’était plus qu’une question d’heures.

Les dernières précisions sensées rassurer l’opinion publique furent évidemment causes d’une soirée et d’une nuit très agitées dans la superbe villa de Nini. Les allées et venues vers le frigo ou la cave se succédèrent à un rythme soutenu, tout comme les cliquètements des verres sensé réconforter. Aux aurores le syndrome « gueule de bois » avait viré à l’épidémie. Les victimes ne furent soulagées des affres de leurs tourments que le lendemain, vers les dix sept heures, quant un flash d’information annonça l’arrestation mouvementée du quatuor de braqueurs rue de Béthune, à Lille, alors qu’ils étaient encore porteurs d’une partie du butin et d’une douille compromettante. Un clou chassant l’autre, le reste des bouteilles en réserve fut éclusé en un rien de temps, mais dans la liesse cette fois !

De par sa profession de transporteur, Pierrot avait lié connaissance avec une multitude de garagistes et de vendeurs de véhicules. Dénicher une voiture passe partout, pas trop chère, et présentant toutes les caractéristiques recherchées ne lui réclama que quelques heures. L’élue fut une Mercedes 230d dont le système de suspension spécial avait contraint le constructeur à dresser le réservoir à la verticale derrière les sièges arrière.

A l’abri des regards indiscrets, dans le garage de Nini, la voiture fut provisoirement dépouillée de sa banquette arrière et de la protection phonique pour livrer accès à l’espace existant entre le réservoir, pour céder place à la centrale hydopneumaique, et les croisillons de renfort situés sous la custode. La garniture du passage de pont offrait aussi un volume de rangement non dédaignable. Il accueillit son lot de billets. Le reste du magot trouva asile dans les alvéoles du tableau de bord non comblées par les faisceaux et autres instruments électriques. La cohabitation forcée réclama néanmoins un renfort de bras au remontage. Après examen des différentes combinaisons possibles, il fut décidé que le transport de fonds serait composé de Pierrot et de Désiré. Dès les formalités d’assurances remplies, les deux hommes prirent la direction de la Belgique.

A raison des plafonds de conversions imposés pour les changes, les deux compères écumèrent toutes les officines se trouvant sur leur parcours. Pour réduire les risques d’oubli, ils s’approprièrent les annuaires téléphoniques des cabines publiques lors de chaque changement de province. Parvenus aux abords de la frontière Luxembourgeoise, ils se défirent de cette littérature ayant toutes les chances d’attirer l’attention d’un fonctionnaire des douanes volantes.

- Y a un super routier pas long d'ichi, dit Pierrot. Je m’y arrêto tout le temps quand j’faiso ch’route chi. En pus, on y minche rudemin bin pou’ pas ker ! ( Il y a un superbe routier dans le coin. Je m’y arrêtais quand je prenais cet itinéraire. En plus, on y mange très bien pour pas cher.)

- Va pour le routier, concéda Désiré qui, vu le budget à disposition, se serait fait un plaisir d’éplucher les tarifs d’un restaurant archi-étoilé.

Une immense aire de stationnement jouxtait le restoroute évoqué par Pierrot. La quasi-totalité en était occupée par des camions de fort tonnage, aux plaques internationales. En y prêtant attention, tous les pays d’Europe devaient y être représentés. Même remarque en ce qui concernait les filles à l’allure provocante qui déambulaient entre les mastodontes d’acier. Les narines du Martiniquais se dilatèrent.

- Oh là là ! Le détecteur du Martiniqueur a repéré les effluves d’œufs tout chauds pour sa mouillette ! Entonna-t-il avec gourmandise.

- Te t’cheu ! Te peux pas l’laisser un tcho peu au sec é’t’mouillette ? Mais commin qu’te fais, bon sang ? ( Nom de Dieu ! Tu ne peux pas la laisser un peu au sec ta mouillette ? Mais comment tu fais, bon sang !)

- Tout est dans la tête, mec !… A condition d’avoir été nourri aux biberons de Bois Bandé !--

- Te t’cheu ! Te do pas ‘cor êtes sevré, alors ! Et à forche ed constater celle qui te sert el’puss, ed’tchête, on s’deminte cheulle qui survivra l’pus longtemps ! ( Nom de Dieu ! Tu ne dois pas encore être sevré, alors. Et à force de constater la tête qui te sert le plus, on se demande celle qui survivra le plus longtemps.)

- Comment t’as deviné ? Se gaussa Désiré… En tout cas, n’approche pas trop le carrosse des vitrines, mon grand. Des fois que je dénicherais une poulette pas sevrée non plus !

Pierrot hocha la tête avec incrédulité, mais il n’en chercha pas moins un coin de parking tranquille. Son trait de caractère le plus apprécié de ses amis était qu’il cherchait à contrarier les autres le moins possible. L’écran de deux 35 tonnes lui sembla offrir un asile idéal.

Désiré eut peine à en croire ses yeux devant la vague d'enthousiasme que déclencha l’arrivée de Pierrot au bar de l’établissement. Le seul cri du patron avait fait trembler les vitres aussi violemment qu’un barrissement d’éléphant dans une cathédrale. Les anciens collègues déboulaient de toutes les salles et les nouveaux engagés dans la profession faisaient la queue pour serrer la main de la légende vivante ; en son temps, le millionnaire en kilomètres le plus jeune d’Europe. Refoulé de plus en plus loin de son ami par les vagues successives d’arrivants, Désiré fit contre mauvaise fortune bon cœur. Par chance, l’accorte serveuse au type Scandinave affirmé semblait comprendre le langage des signes. Elle ne tarda pas à lui livrer à une table proche de l’entrée la bouteille de champagne commandée et les deux flûtes.

L’opulente poitrine de la slave et le tangage des hanches accentué par le port d’escarpins rares chez les serveuses en salle aggravèrent sérieusement la sécheresse du palais de Désiré.

- Je vous sers la deuxième ? S’enquit la serveuse avec le troublant accent Nordique si riche en inflexions rauques.

- La deuxième ? Je ne m’étais même pas aperçu qu’on me serrait la première. Mais çà, il ne dépend que de vous d’en préparer deux autres, jolie dame. Si vous aimez le champagne, bien sûr ! Pérora Désiré, toujours prompt à saisir la balle au bond.

- C’est gentil, mais pendant mon service c’est difficile.

- Et hors service ?

- Alors là… même pour un bain dedans je suis partante ! Les bulles ça me fait…Ouhhhh ! Minauda l’occasionnelle éprouvée.

- Juste un doigt ?

- Ça dépend où , grand coquin !

- Là où monte l’échelle du bas ? Tenta Désiré.

La serveuse se pencha pour apercevoir l’échelle en question. Juste assez pour permettre à Désiré de lui découvrir l’amorce du nombril au fond de la profonde vallée des seins.

- Merde ! Encore une paire de fichue !

- Je paye la prochaine si je peux les enfiler moi-même, balança Désiré en se lustrant la moustache du pouce et de l’index, l’air gourmand. Mais je veux d’abord escalader tous les barreaux de cette échelle pour m’assurer où elle s’arrête.

- A la porte du four, canaillou ! Fit-elle, aussi égrillarde du timbre qu’impassible de visage.

Désiré déglutit péniblement sa salive. Pour un virtuose des cours de pénis, se voir retourner chaque service par un smash avait quelque chose de confondant.

- Ça se cuisine bien le boudin antillais au four, tenta-t-il.

- Pas s’il y a déjà une Bolognaise qui mitonne depuis la veille ! Rétorqua-t-elle du tac au tac.

La cabriole qu’effectua la pomme d’Adam de l’Antillais et sa mine brusquement déconfite déclenchèrent un éclat de rire tonitruant chez la serveuse qui éclusa cul sec les deux doigts de champagne qu’elle venait de lui servir.

Vexé dans sa fierté de mâle dominateur, Désiré hésita peu sur le recours à la traîtrise. Il sortit le service gagnant en pliant deux billets de cinquante euros dans le sens de la longueur, pour les glisser sous la coupe du ticket de caisse. Ce fut au tour de la fille d’éprouver de la gène à déglutir.

- C’était pour te faire marcher, dit-elle. Je passe par la porte de la cuisine, le temps de monter le thermostat à dix. Si la couchette de ton camion a tout le confort, je t’en fais une merguez en cinq sec de ta charcuterie antillaise !

- Et si je fais sauter les fusible du four… c’est qui qui paye ? Grasseya Désiré.

En guise de couchette confortable, l’accorte serveuse fit grise mine devant l’habitacle de la Mercedes. Elle manifesta son désappointement en réclamant un fond sonore musical, puis en allumant une cigarette. Désiré qui se trouvait au bord de l’explosion se jeta sur la jeune femme avec gourmandise. Sous le choc, l’allume-cigare qu’elle tenait encore à la main s’envola par le carreau baissé tandis que l’effondrement soudain du dossier du siège la projetait en arrière.

Un long moment plus tard les ressources inépuisables de son singulier client commencèrent à affoler sérieusement la professionnelle. Elle le saisit aux épaules pour tenter de le repousser, mais il semblait en pleine concentration, uniquement appliqué à maintenir le rythme.

- C’est pas vrai !... Mais t’as pris quoi, bordel ?

- Chutttt ! Fit Désiré. A peine deux litres de Bois bandé par semaine pour le maintien de la forme. Rien que du naturel !... Profite !

Dans sa quête d’une position plus confortable, la fille laissa courir sur le tableau de bord le talon de l’escarpin qu’elle avait conservé au pied gauche. Dès qu’elle eut déniché le point d’appui idéal, elle libéra la tension de ses muscles dorsaux pour goûter l'agréable torpeur qui lui envahissait doucement le ventre. Chaque coup de butoir de Désiré se répercutait à l'identique sur le talon aiguille métallique qui écouvillonnait l’alvéole de l’allume-cigare.

La pro du sport à l’horizontal dut sûrement en convenir, même après coup et à corps défendant, la réputation du Bois Bandé n’est pas une légende. Désiré l’avait littéralement propulsée à des hauteurs stratosphériques rarement visitées, surtout avec si peu d’efforts participatifs de sa part. Mais de l’atterrissage elle dût conserver un souvenir traumatisant.

- Bouges !... Bouges-toi !... Ça sent le plastique cramé ! Lança-t-elle.

- Hummm !... Pas de flagornerie, fillette ! Tu le sauras pour la prochaine fois, hein ? Avec Désiré, toujours prendre des capotes ignifugées !

Et de repartir pour un furieux galop en guise de tour d’honneur. Cueillie en descente avant la phase du plateau, pro ou pas, la nana repartit sur orbite en exhalant un long râle d’agonie qui s’acheva en un hurlement impossible à confondre avec un quelconque autre cri. Fut-ce pour un routier complètement beurré qui cherchait où il avait remisé son camion. L’homme s’approcha de la vitre ouverte de la Mercedes, gloussa en apercevant le postérieur dénudé de Désiré agité par un mouvement de piston et, faute de parler le Français, il claqua les fesses caramélisées.

Désiré fit un tel bond qu’il faillit éventrer sa partenaire. Hagard, éperdu de fureur, il effectua un saut de côté pour affronter son agresseur. Le regard fasciné du routier Albanais resta ancré au ventre dénudé de la femme, mais son index droit pointait sur le pare-brise.

- Là !... Plus beaucoup feu qu’ici !

Les yeux de Désiré ne suivirent pas la parabole décrite par l’index. Guidés par une alerte olfactive, ils s’étaient orientés d'emblée vers le tableau de bord d’où montait une épaisse fumée noire alors que des grésillements inquiétants illuminaient la boite à gant de l’intérieur.

- Oh putain !... Oh putain de putain ! Entonna Désiré en se ruant hors du véhicule et en se trémoussant pour entrer dans son pantalon.

- Ben quoi !... Protesta celle qui se croyait interpellée.

L’Albanais ne prit pas la peine d’ouvrir la portière afin de porter secours à la personne en danger. Il l’extirpa de sa périlleuse position en la tirant par la fenêtre, s’offrant un gros plan inespéré sur une toison pubienne nordique garantie grand teint.

- Un extincteur ! Un extincteur !... Putain ! Une brique pour un extincteur !

A l’intérieur de l’établissement, étranger au drame qui se jouait, Pierrot savourait le bonheur des retrouvailles. Un homonyme venait de rentrer. Il lui martelait les omoplates de grandes claques viriles.

- Alors Pierrot ! Qu’est-ce que tu racontes à Pierrot, depuis le temps ?... Tu as abandonné le cresson et les bottes de radis pour reprendre du service sur le ruban ?

- Ben… pas grand-chose, en fait. Je comptais me mettre en retraite.

- Eh ! Les mecs ! Y’a un bourge pété de thunes qu’a transformé sa Merco en barbecue ! Lança une vois de Titi Parisien dans la salle.

- Ou un trop cuit gourmand qui veut encore s’offrir une seconde cuisson ! Enchaîna un autre.

  Bien qu’il fût habitué aux vannes lestes de la corporation, Pierrot ressentit comme un méchant picotement lui escalader la colonne vertébrale. Il se laissa porter sans lutter par l’afflux subit en direction de la sortie. Instinctivement ses yeux fouillèrent les ténèbres dans la direction où il avait remisé la Mercedes. Quoiqu’un camion en mouvement fît écran, il ressentit confusément le choc d’une autre tuile sur la tête. Point ne fut besoin d’attendre le départ de tous les camions proche de l’incendie pour en mesurer l’ampleur. Les rougeoiements du ciel attestaient de la violence du sinistre.

Les dangers de propagation écartés, les plaisanteries scabreuses fusèrent comme le bouquet final d’un feu d’artifice.

- P’t’être bin la bagnole d’une crapette qu’avait le feu au cul, lançait un Bretonnant.

- Dis pas du mal des courageuses qui épongent la misère humaine avec leur fendu, toi ! Le rembarra un Marseillais.

- Espérons qu’il était assuré pour l’incendie , hasarda un Auvergnat.

- On dit pas « pour »… ou dit « contre » l’incendie ! Le repris un Chti, professoral.

A cet instant précis, sur fond de brasier, Pierrot distingua la silhouette de Désiré plus effondrée qu’agenouillée au sol. Le Martiniquais s’arrachait les cheveux tout en se giflant à la volée. Pris de malaise, le colosse s’affaissa à la renverse et s’aplatit les bras en croix.

- Ben v’là aut’chose ! Lança un de ses collègues.

- P’t’être bin que c’était sa caisse, hasarda un autre en s’écartant pour laisser de la place à celui qui filait de grandes claques à Pierrot pour le ranimer.

- Ça doit payer alors, les fruits et légumes. L’a même un chauffeur nègre !

- P’t’être, ouais ! Mais c’est pas une raison pour lui coller des marrons pareils !

La tête dodelinant de droite à gauche au gré des baffes, Pierrot finit par ouvrir un œil prudent.

- Il revient à lui, le petit père, lança un témoin.

- Pauv’ vieux ! S’il était pas bien assuré, il en a au moins pour cent mille balles dans le cul !

Pierrot retomba aussitôt dans le potage.

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