18 Drame au paradis de Nini

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Le séjour en bordure de mer de Nini et des Branques se déroula à merveille jusqu’au dimanche matin. Après quoi, comme des milliers de vacanciers imprévoyants, ils se retrouvèrent confinés dans le bungalow par une tempête sournoise, aussi subite que dévastatrice. Le genre de mini cataclysme désormais placée sur le compte du dérèglement climatique par la totalité des services météo pour justifier l’approximation de leurs prévisions. Leur journée se déroula à contempler le vol d’objets variés tels que mobilier de jardin, matériel de plage et autres ustensiles légers non scellés au sol. Leur retour au bercail pour répondre à l’emploi du temps de Nini s’en trouva repoussé jusqu’au cœur de la nuit du dimanche au lundi, faute d’arrivée d’une accalmie.

Même avec une violence décroissante au gré de l’éloignement de la Côte, la tempête avait aussi laissé son empreinte à l’intérieur des terres. Et lorsque l’équipe au complet retrouva la villa, tables chaises et transats en plastique avaient déserté la terrasse. Les barbecues mobiles étaient renversés. La cabane de l’âne s’était effondrée, celle des autres animaux gisait sur le flanc. La boite aux lettres elle-même avait pris la clef des champs. Autre disparition que Nini eut le loisir de constater ; du billet que les Jureliez-Derenoncourt avaient apposé sur sa porte d’entrée avant d’embarquer dans leur taxi il ne subsistait qu'un lambeau de la taille d'un timbre poste. La jeune femme ne découvrit qu’un fragment de phrase protégé par le ruban adhésif au travers duquel se distinguaient les mots « .an-Pan est ». L’émouvant attachement du vieux couple à leur lapin nain mit un peu de baume au cœur à Nini.

Sorti du lit par une envie pressante, Djelloul s’était approché de la baie vitrée donnant sur le parc commun aux deux villas afin de contempler l’étendue des dégâts à la lumière du jour. Sûr ! Leur potentiel musculaire allait se retrouver mis à contribution pour le nettoyage des pelouses. Avec une bonne partie de son branchage éparpillé çà et là, le saule justifiait de son qualificatif de «pleureur ». Quelle tristesse !

Les animaux déambulaient, flairant les débris épars avec méfiance, cherchant quel profit tirer de ce chamboulement. Soudain, Djé sentit sa chevelure se dresser d’horreur sur son crâne avant même d’en avoir identifié avec certitude la nature exacte de l'objet. Le Briard de Nini secouait furieusement dans sa gueule un paquet blanchâtre qu’il expédiait en l’air pour le rattraper au vol et le secouer à nouveau. Il en martelait le sol à grandes envolées du cou avant de le projeter au loin, juste pour le plaisir de se précipiter et de mieux le piétiner ensuite. De toute évidence une espèce d'accès de folie destructrice avait frappé le chien, mais Djé n’eut de conviction définitive sur l'objet de cette furie qu’au moment où la masse gluante de boue, de bave et de sang mêlés vint s’aplatir contre la vitre avec un affreux bruit mou, visqueux. Le lapin nain des voisins.

Connaissant l’attachement de Nini aux animaux, l’heure n’était pas à la réflexion. Djé se précipita vers la chambre à coucher de leur hôtesse, peu soucieux de sa propre tenue légère, et ne jugea même pas utile de frapper à la porte. Le spectacle qu’il découvrit le laissa aphone et bouche bée.

A quatre pattes sur la moquette, caparaçonnée du drap de satin comme un destrier d'antan, Désiré contemplait avec amour une Jeanne d’Arc en armure polypropylène chromée, brandissant une épée, et casquée d’un heaume de même matière, occupée à déclamer des vers dont la teneur échappa à l'intrus pour cause d’extrême stupeur.

- On répète ! Aboya Nini, furieuse du dérangement causé.

Doutant d’avoir les yeux rivés bien en face des trous, Djé ferma les paupières et secoua la tête avec force dans l’espoir de se remettre les idées en place, mais rien n'y fit. Une fois les yeux rouverts, la scène qui s’offrait à lui était toujours la même.

- Pète et répète autant qu’il te plaira, mais là, pour l’instant, oublie ! Ton bourricot est en train de déchiqueter le balai O’Cédar démanché des fossiles d’à côté.

Un gargouillis d’horreur remplaça la tirade en hommage à notre anglophobe sanctifiée par ses bourreaux et déifiée par les manuels scolaires. Nini partit comme une fusée, l’épée dressée et le postérieur à l’air, couinant de chagrin.

Une fois César apaisé, il fallut bien accepter l’évidence. Le moindre atome de vie avait déserté la dépouille martyrisée du malheureux lagomorphe de compagnie étalé devant les cinq paires de pieds dénudés.

- Mais pourquoi ? Hulula Stéphanie qui baignait encore dans son trip théâtral.

- Ben oui, pourquoi ? Répéta bêtement Kiki. Pourtant y’avait pas de lapin au barbecue la semaine dernière !

Un hoquet d’horreur étrangla Nini et une claque à la riflette, sur l’occiput, faillit bien scalper l’inconséquent qui tourna vers Djé un regard furieux. Comme celui du descendant de Berbères semblait encore plus mauvais, le Manouche jugea plus prudent de baisser pavillon.

- Ben… on va l’enterrer dans une belle boite, proposa Djé.

- Nan… soupira Stéphanie en s’écroulant, victime d’une syncope.

Désiré et Djé se chargèrent de la transporter jusqu’au salon. Kiki choppa la dépouille du lapin par un membre et la véhicula à bout de bras jusque sur la terrasse. Le Briard suivait piteux, la queue entre les pattes et le museau au ras du carrelage.

La toilette mortuaire effectuée dans la baignoire il restait difficile de se dissimuler la triste vérité. La carcasse de Pan-Pan était littéralement lardée de coups de crocs.

- C’est sûr, ils vont me maudire! se lamenta Nini, toute pâle encore de son malaise.

- Tu n’y es pour rien, enfin, ma chérie! L’exhorta Désiré. Sa crise de folie, il aurait pu l’avoir n’importe quand, même devant les voisins. Personne ne sait ce qui s’est passé.

- Et s’ils me demandent de le piquer ?

- Qui ? s’étrangla Kiki, interloqué. Le lapin ?

- Mais non, pas le lapin, banane! Le chien! gronda Désiré.

- Ah! soupira Kiki, comme rassuré par une évidence que seul Dieu et lui pouvaient connaître. On n’est pas obligés de leur dire, non plus.

- Et comment tu vas faire ? ironisa Djé. Le ressusciter ?

- Ben non ! Il est lavé, on le remet dans sa corbeille et on ne dit rien. Ils vont pas demander une autopsie, quand même ?

- Sûrement pas! Du moins, pas pour les asticots qui vont se mettre à cavaler partout d’ici dix jours! Rajouta Djé. Mais amoché comme il est…

- J'ai trouvé ! On le met au congélateur pendant une semaine ! Asséna triomphalement Kiki.

Boum ! Fit la tête de Nini en heurtant le sol avant que quiconque n’ait pu enrayer sa chute.

- C’est malin ! Fit Désiré en se penchant sur sa bien aimée.

- Eh ! J’ai rien dit de mal ! Protesta Kiki. Je proposais juste une solution. On ne va pas laisser ma cousine dans la mouise après tout ce qu’elle a fait pour nous, quand même !

- Juste ! S’exclama Pierrot. D’abord, din l’temps j’ livro du minger pour ché biètes din un él’vache tout près d’Orchies. Y z’avotent aussi des tchos lapins comme cha. ( Dans le temps je livrai de la nourriture pour animaux dans un élevage près d'Orchies. Ils avaient des petits lapins identiques)

Désiré venait de déposer Stéphanie dans le canapé. Il virevolta pour frapper amicalement sur les épaules de Pierrot.

- T’es génial, Pierrot! il suffit d’aller y acheter un lapin.

- Il ne sera pas dressé, allégua Kiki. Les vioques ne le reconnaîtront pas et lui pareil, il ne les reconnaîtra pas. Donc…

- Merde! J’avais pas pensé à çà, concéda Désiré.

Nini se redressa sur son séant, un œil à demi fermé, l’autre pas tout à fait ouvert, le teint vaseux mais l'esprit en éveil.

- A quoi, mon chéri ?

- On parlait de racheter un lapin identique à Pan-Pan. Mais il ne sera pas domestiqué pareil, forcément.

- C’est juste, admit Nini avec une moue désespéré.

- Ben j’ai une idée!... On en achète un identique et on l’étouffe juste avant que les vieux débarquent. Le cadavre sera encore tout neuf. Ils n’y verront que du feu ! On dira qu'il est mort naturel !

Cette fois Désiré eut le temps de rattraper Nini au vol. Il faut dire qu’il avait déjà amorcé le mouvement rien qu’à l'annonce d’une nouvelle idée de Kiki.

- Mais c’est une manie, chez toi! gronda Djé en levant la main.

Kiki se protégea le visage au creux de son bras replié et la nuque de son autre main.

- Eh quoi! t’as envie de courir le risque que les vieux croient qu’on a flingué leur prétendu enfant ? Qu’ils portent plainte ? on serait beaux, tiens!

- Mon cousin a raison, marmonna Stéphanie en revenant à la vie sous les caresses affectueuses de Désiré. Mais au lieu d’assassiner un lapin innocent, on pourrait demander à l’animalerie s’ils n’en auraient pas un mort à nous céder. En prétextant une dissection dans une classe de seconde ou de première, par exemple.

Tous s’entre-regardèrent, puis chacun fixa Kiki qui, les yeux brillants, hochait affirmativement la tête. Connaissant l’oiseau, même si le lapin livré n’était pas exactement mort, il saurait bien se débrouiller pour l’y aider avant de parvenir à destination ; Ouf! Problème résolu!

Les échappatoires aux ennuis d'apparence les plus simples possèdent cependant la particularité d’être les plus prodigues en rebondissements.

Le premier d’entre eux se manifesta le jour même lorsqu’en nettoyant les dégâts occasionnés par la tempête, Djé découvrit une avanie faite au massif floral du voisin qui ne devait pas avoir le vent pour responsable.

- Putain de clebs! Il a même détruit le parterre des vieux, t’as vu ? Lança-t-il à Pierrot.

Le colosse placide rappliqua pour une estimation des dommages. Pierrot haussa les épaules. Il avait conservé de l’enfance une certaine pratique du jardinage.

- Ché rin, cha, t’cho! En deux coups de cuillère à pot, on n’y verra pu rin !

Sitôt dit sitôt fait! Pierrot reboucha le trou puis en égalisa la surface en parfaite harmonie avec le reste du massif. Il s’en fut ensuite prélever au loin un carré de pelouse propre à couvrir la surface des dégradations. Quant aux pierres blanches déterrées par le chien, il s’en fut les jeter sur la berge du fossé longeant la propriété. Une grosse demi-heure après le début des travaux, personne n’aurait pu deviner l'emplacement des dégâts causés par César.

A son retour, le soir, Nini savoura le bonheur d’avoir plusieurs hommes à la maison. Alors que les stigmates de la tempête s’amoncelaient tout au long des routes, fusse quelques branches enlevées aux arbres, elle découvrit sa propriété aussi propre et nette que la semaine précédente. Tout le mobilier de jardin n’avait pu être retrouvé, ou pas toujours en bon état, mais l’abri des animaux avait retrouvé son état d'origine et le box de l’âne trônait à nouveau fièrement dans la partie éloignée de la pelouse.

- Vous êtes de vrais amours! s’extasia-t-elle.

Nul n'évoqua Pan-Pan, que Kiki était allé ensevelir près du fossé, pas plus que l’acquisition d’un animal de substitution, étant donné le peu d’urgence de la démarche. Le journal des actualités télévisées régionales vint par ailleurs leur offrir un dérivatif inattendu. La parfaite similitude des modus operandi entre les hold-up attribués sans preuve au Pape, ainsi que les deux gros derniers braquages perpétrés ces derniers temps avaient probablement accéléré le passage du dossier du truand devant la cour d’appel. A en croire le reporter, l’ensemble du parquet se trouvait sur le pied de guerre. Comme à chaque occasion semblable, les pro-répression-impitoyable et les amoureux inconditionnels du respect du droit se répandaient en tirades pompeuses devant des micros complaisamment tendus.

- Il va sortir! mon papa y va sortir! jubila Kiki... Je l'sens!

Djé le contempla en hochant la tête d’un air de profonde commisération. Nini lui décocha un regard torve, étonné par sa ferveur. Désiré haussa les épaules, et Pierrot, comme à son habitude, conserva ses pensées secrètes. Les pronostics journalistiques semblaient cependant donner raison au Manouche. Les arguments juridiques pour le maintien du Pape en détention reposaient désormais sur des queues de cerise.

- Au moins, s’il sort, il pourra vous renseigner sur le moyen de récupérer vos bijoux. Ou du moins leur valeur, argumenta Nini.

A l’exception du guerrier Mauresque dont les yeux lançaient des étincelles vengeresses, les Branques affichèrent une moue dubitative.

- Mais… ! Je la connais!... C’est ma copine de fac! S’écria Stéphanie en voyant apparaître devant la caméra l’une des avocates du Pape… Mais oui! C’est Caroline!... Eh ben dis-donc!… Le nombre de fois que je lui ai servi d’alibi quand elle allait se farcir un mec, cette coquine! Et le nombre de bedos qu’on a cramés ensemble!

- Tu as des relations intéressantes, émit Désiré sur un ton si calme qu’il provoqua chez sa dulcinée un froncement de sourcils suspicieux.

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