Confessions

12 minutes de lecture

Harry a ramené Malefoy chez lui. Depuis l’accomplissement du rituel, le jeune homme blond a sombré dans une inconscience fiévreuse, entrecoupée de brefs épisodes d’éveil totalement incohérents. Malefoy semble choqué bien sûr, mais cela va au-delà de ça : il est traumatisé. Même lorsque ses yeux se révulsent et que la nuit le prend, ses membres sont agités de tremblements spasmodiques, sa respiration reste courte, hachée, et ses mâchoires se crispent à un point tel qu’Harry peut entendre ses dents crisser les unes contre les autres.

Harry a déposé Malefoy sur le lit de la chambre d’ami, comme un rappel sinistre des quelques heures que Malefoy y a passées à peine quelques jours plus tôt. Sur les conseils d’Harpocrate, il l’a enveloppé d’un drap en le privant de couvertures, pour ne pas faire augmenter sa température, et il lui a prodigué les diverses remèdes que le vieil apothicaire lui a confiés.

Maintenant, il n’y a plus rien d’autre à faire qu’attendre.

Harry est tétanisé. Son esprit semble être devenu sourd aux stimuli du monde extérieur. Il peine à réaliser ce qu’il a fait, et pourtant… Dès qu’il ferme les yeux, il voit la lame s’enfoncer dans la poitrine de Léopold Does. Il sent le contact de la main moite de Malefoy sous la sienne, qui cherche à le fuir. Il entend les cris déchirants du jeune homme, et il entend ce nom qu’il hurle à s’en déchirer les cordes vocales : « Jude ».

Harpocrate a dû l’assommer à grands renforts de calmants pour enfin parvenir à le faire taire, et l’empêcher de se blesser lui-même. Mais Harry ne peut pas oublier.

Ce qu’il a fait à Malefoy… Ce qu’il s’est passé dans cette cave obscure de l’Allée des Embrumes ce jour-là… Il ne pourra jamais l’oublier. C’était différent de tout ce qu’il avait déjà vu ou vécu. Harry a senti la présence de l’Ombre, cette fois : elle était avec eux dans la pièce, et elle s’est incrustée en lui. Elle ne s’en délogera plus. Mais, surtout, elle a touché Malefoy.

Quoi de plus logique ? Harpocrate et lui l’ont convoquée, après tout. Un rituel de magie noire, pour prévenir un destin encore plus noir…

Harry contemple Malefoy qui gémit dans son sommeil, et plus qu’à n’importe quel autre moment dans sa vie, il doute. Il se sent au bord d’un gigantesque basculement. Si Malefoy ne s’en sort pas…

Harry prie, il prie pour avoir fait le bon choix, il prie pour que les atrocités qu’ils viennent de commettre ne conduisent pas un peu plus Malefoy en Enfer, et ne laissent pas une trace indélébile sur leurs vies… Mais il n’ose y croire. Il y aura des conséquences, forcément. Un acte aussi contre-nature ne peut pas rester impuni…

Avec un frisson, Harry réalise qu’il est indifférent à son propre sort. Pour lui, sa vie n’a plus d’importance depuis longtemps. Elle est un ratage complet, de toute façon. Il est aigri, anxieux et seul. Mais Malefoy… Harry le regarde s’agiter dans son lit, et il se raccroche à cette preuve de vie. Il faut que Malefoy vive. Il faut que Malefoy aille bien. Car alors, ce sacrifice horrible n’aura pas été vain. L’assassinat de tous les principes de Harry, de sa morale, de son reste de conscience… Tout cela aura un sens. Une raison d’être. Il n’aura pas abandonné son âme pour rien. Il n’aura pas mutilé à vie l’homme qu’il aime pour mieux le condamner aux enfers… Il faut que ça marche. Il faut que Malefoy vive. Harry a fait tout ça pour lui.

Les ongles rongés jusqu’au sang, Harry se prépare à une longue attente, incapable de trouver le sommeil.

Dans les heures qui suivent, Malefoy continue d’alterner entre inconscience et périodes de délire. Harry lui administre les potions, étend des linges froids sur sa peau, éponge sa sueur. Combien de temps va-t-il rester ainsi ? Et s’il ne se remettait jamais ?

Crucifié par cette seule idée, Harry sent son existence se fondre en un immense hurlement. La fatigue fait pression sur ses temps sans vouloir l’achever. Il ne peut pas dormir, il ne peut pas… Sa conscience l’en empêche. La conscience d’avoir commis quelque chose d’horrible, encore occultée par l’espoir d’avoir bien agi… D’avoir fait la seule chose nécessaire… D’avoir réussi… Si Malefoy s’en sort, aucun doute, ses scrupules disparaîtront.

Dans ses rares moments d’aphasie, Malefoy reste étendu, immobile, et Harry contemple comme dans un rêve les courbes de ce corps déjà si durement éprouvé. Peut-être en raison de sa liaison avec Caleb, Harry remarque des choses qu’il n’aurait jamais vues auparavant. Comme la finesse des mains de Drago. L’arête tranchante de sa mâchoire, la noblesse incomparable de son front. Et ses yeux acérés, effilés, ses yeux qui l’ont transpercé tant de fois déjà pour le blesser, sans jamais daigner le tuer…

Malefoy est beau. Harry se dégoûte à l’instant même où ce constat éclot dans son esprit. Malgré la maladie, et les dix années passées en prison, Malefoy recèle un charisme que rien ne pourra jamais lui enlever. Peut-être parce que c’est la beauté de son être qui rejaillit à travers lui… Il a le profil fier et déterminé qui a toujours fait de lui aux yeux de Harry un adversaire naturel. La prison l’a rendu plus dur, plus sévère, plus impénétrable… Mais également encore plus fascinant, si possible.

Oui, c’est bien cela. Depuis leur enfance, Harry a éprouvé bien des choses pour Drago Malefoy, mais jamais de l’indifférence. Quelle que soit la nature de sa haine, elle était toujours intense. Seul Malefoy avait le pouvoir de le sortir à ce point de ses gonds… De le bouleverser, au-delà de tout entendement…

Et c’est encore ce que Malefoy avait fait, le bouleverser, lorsqu’il avait baissé sa baguette et fondu en larmes devant Dumbledore. Lorsqu’il l’avait épargné, lui, Ron et Hermione, face à sa tante Bellatrix. Lorsqu’il avait subi son jugement sans broncher au tribunal.

Quelles que soient ses erreurs ou les choix qu’il avait faits, les actes de Malefoy n’avaient jamais laissé Harry indifférent. Après son départ pour Azkaban, son absence était devenue palpable, vivante. Harry s’était jeté à corps perdu dans son combat pour combler ce vide. Pour faire revenir son vieil ennemi dans sa vie… Avec le temps, l’échec de sa relation avec Ginny et ses nombreux conflits avec Ron lui avaient fait admettre son obsession pour Malefoy. Il en avait cherché les causes. Au-delà de la flagrante injustice que la situation du Serpentard lui inspirait… Harry s’était surtout rendu compte de son profond sentiment d’inachevé. De frustration. Du gâchis que représentait l’emprisonnement de ce jeune homme perdu qu’il avait aperçu au détour de la guerre, cherchant son chemin vers la lumière… Harry aurait voulu connaître ce jeune homme. Il aurait voulu qu’on lui donne sa chance.

Depuis le retour de Malefoy, les choses avaient changé. Il était évident qu’il n’était plus le garçon de Poudlard, ni le jeune homme perdu du tribunal. Il était autre chose. Un peu de ça, un peu de l’inconnu qu’il avait toujours été, et un peu de cet homme qui avait grandi loin de Harry… Mais quoi qu’il en soit, l’obsession de Harry, elle, était intacte. Elle avait grandi, confrontée avec force à la présence réelle de Malefoy, physique, intense, pour se nourrir de lui à un point tel qu’Harry en avait été submergé. Fascination était devenue désir. Harry bataillait encore avec ce sentiment qu’il ne comprenait pas. Avec ces émotions si soudaines et inappropriées qu’elles le saisissaient à tout instant, même lorsque Malefoy gisait vulnérable devant lui… A travers cette mutation qui s’était emparée de lui, Harry s’était perdu, abandonné totalement, pour se découvrir d’autres facettes insoupçonnées, pour devenir lui aussi autre chose, une chose pour laquelle il n’avait pas de mots…

Une chose capable d’assassiner un homme dans une crypte, pour en sauver un autre.

Harry secoue la tête. Il fait boire un peu de soupe à Malefoy, puis chasse à nouveau les souvenirs de son esprit. Sous ses doigts, Malefoy se crispe et articule quelques mots. Ce n’est pas la première fois qu’il fait ça. Le plus souvent, ce sont les mêmes noms qui reviennent. « Mère ». « Astoria ». Et, le plus fréquent, « Jude ».

Harry ne sait pas quoi en penser. Chaque fois que Malefoy prononce ce nom, une épine se plante dans son cœur, et il pense à Caleb. Il n’a pas d’explication rationnelle. Il se consume de jalousie, c’est tout, pour un inconnu sans visage dont il n’a que le baiser et le nom…

– Astoria…, murmure à nouveau Malefoy.

Harry lui presse la main sans s’en rendre compte :

– Je suis vraiment désolé, Malefoy…, s’entend-il répondre en songeant aux sœurs Greengrass.

Après la chute de Voldemort, le père d’Astoria et Daphnée n’avait pas supporté l’échec et la déchéance des Sangs-Purs. Il avait refusé de laisser ses filles vivre dans un monde gouverné par la défaite de Voldemort. Il avait assassiné toute sa famille : sa femme et ses deux filles, avant de s’en prendre à lui-même. Astoria n’avait que seize ans.

– Je suis désolé pour Daphnée et Astoria…

Malefoy ouvre les yeux et le regarde fixement. Harry sursaute. Malefoy le dévisage, mais il ne le voit pas. Son regard s’écartèle sur le vide. Perdu dans des souvenirs refoulés depuis longtemps, des souvenirs qui, depuis toujours, se battent pour remonter à la surface…

– Daphnée a été ma première fois…, articule-t-il tout à coup, et Harry ne sait pas comment réagir. J’avais quinze ans… C’était la plus belle fille que j’avais jamais vue, et je n’ai pas compris pourquoi elle m’abordait.

Ses yeux parcourent le visage de Harry, le trouvent, se perdent à nouveau :

– Ça s’est passé chez ses parents… C’était juste après le retour de Voldemort… Mon père avait tenu à m’envoyer en vacances chez eux cet été-là. Daphnée est venue vers moi, et même si elle m’intimidait, j’aurais été bien incapable de la repousser… Je n’ai compris que trop tard que c’était Voldemort qui lui avait ordonné de faire ça. Ainsi que ses parents, et les miens… En guise de récompense. Et pour forger une éventuelle alliance entre Sang-Purs… Je ne l’ai plus jamais touchée après ça. Je crois qu’elle m’en a été reconnaissante.

Harry ne dit rien, interdit. Il est interloqué par ce récit sorti de nulle part. Mais, comme tout ce qui concerne Malefoy, il est fasciné. Il n’a jamais rien soupçonné des amours du Serpentard, et ne s’en est en fait jamais vraiment préoccupé jusqu’à son retour de prison. Mais le garçon qu’il découvre à travers la fièvre le trouble : un adolescent nerveux, humain, sensible, capable de ressentir, de faillir, un garçon comme lui, en somme. Un garçon avec des tourments, des personnes qui lui étaient proches, des histoires comme celles que lui-même avait vécues avec son entourage : les Dursley, les Weasley, Cho, Ginny… Malefoy n’est plus un simple antagoniste : il est un être avec son existence propre, son histoire, et les émotions qui l’accompagnent.

Mais déjà, comme lancé dans une vision sans fin, Malefoy continue :

– Après, je suis retourné à Poudlard… Et il y a eu Pansy. Je ne l’aimais pas. J’ai profité d’elle au moment où j’étais le plus mesquin. J’aimais la façon dont elle me regardait, la fascination dans ses yeux… J’aimais représenter tout pour elle alors qu’elle n’était rien pour moi… Je l’ai traitée comme de la merde, et elle s’est laissée faire… Ma seule consolation dans tout cela, c’est que je crois qu’elle ne m’a jamais vraiment aimé. Elle n’a jamais vraiment cherché à me connaître. Elle était amoureuse d’une idée, de ce que je représentais. Comme toi.

Le regard de Malefoy devient étonnamment lucide d’un seul coup, et Harry se fige. Mais la lueur disparaît :

– Elle ne méritait pas ce qui lui est arrivé…

Pansy Parkinson avait été lapidée en pleine rue, quelques semaines après le procès de Malefoy. Personne n’avait jamais été arrêté.

Soudain, Malefoy est saisi d’un immense frisson et ses yeux se remplissent de larmes, comme s’il revivait la scène juste devant lui, pétrifié d’horreur :

– Et puis j’ai rencontré Astoria, dit-il très vite. Je la connaissais déjà bien sûr, mais je n’avais jamais fait attention à elle… Je venais d’entrer en sixième année. Tout s’écroulait autour de moi… Mes parents en disgrâce, Voldemort sous mon toit, ma mission, mon tatouage de Mangemort… J’allais mal, mais elle a été là pour moi. Elle savait ce que j’étais, et pourtant, elle a quand même accepté de me parler… Elle m’a soutenu, sans jamais me poser de questions. Sans jamais me juger. Sans rien attendre de moi. Elle a été la première personne au monde à ne rien attendre de moi… Elle voulait seulement m’aimer, et je l’ai aimée en retour… Mal, bien sûr. J’avais seize ans, et elle seulement quatorze. J’étais un ado imbécile et sous pression qui ne pensait qu’avec sa queue… Je voulais coucher avec elle alors que cela lui faisait peur, et j’ai fini par la convaincre. Elle m’a aimé quand même. Jusqu’à la fin… Jusqu’à ce que son taré de père ne lui lance un Avada Kedavra de plein fouet… Une semaine plus tard, j’étais envoyé à Azkaban.

Malefoy pleure. Deux larmes symétriques coulent le long de ses joues. Encore aujourd’hui, il souffre de cette perte, Harry le ressent. Aussi, il se maudit lorsqu’il ne peut retenir ces quelques mots :

– Et Jude… ?

Malefoy tressaille. L’espace d’une seconde, Harry croit qu’il peut le voir, vraiment :

– Jude…, répète-t-il.

Puis, le visage traversé par une tendresse aussi soudaine que lumineuse, il s’exclame :

– Je l’aime… Je dois le protéger… Il doit s’en sortir, il le faut ! Je l’aime…

Harry reconnaît à peine Malefoy, animé par de telles émotions. Une fois encore, il est confronté au gouffre qu’est devenu cet homme qui l’obsède, alors qu’il le connaît si peu…

Pris d’une soudaine inspiration, Harry se lève, se rend dans son bureau, attrape le dossier de Malefoy. Il ne se rappelle pas avoir vu de mention d’aucun Jude parmi les feuillets, mais un détail a pu lui échapper. Revenant au chevet du Serpentard, Harry parcourt les pages, relevant les nombreuses occurrences du gardien, Paul Johnson, dans la rédaction des rapports, et les nombreux accrochages que Malefoy a eus avec des prisonniers comme Manz, Lensher ou Huckleberry. Une date attire soudain son attention, en mars d’il y a deux ans. Après huit ans de cellule privative, Malefoy s’est vu adjoindre un codétenu. Judicaël Blake.

Harry se fige, fixe ce nom sans y croire, tétanisé par ce qu’il vient de découvrir. Le dossier n’en précise pas davantage : tout juste indique-t-il que les deux prisonniers ne se sont jamais portés atteinte l’un à l’autre.

Tremblant de tous ses membres, Harry rédige une rapide missive à l’intention du Ministère, réclamant un complément d’informations sur Judicaël Blake. Quelques minutes plus tard, un hibou arrive, chargé d’un dossier scellé.

Harry découvre le visage de Jude. C’est un prostitué à peine majeur, condamné à Azkaban pour meurtre. Une histoire sordide, que les quelques lignes qui servent à la résumer désignent à l’évidence comme une injustice.

Harry reste en arrêt devant la photo du prisonnier : si jeune, terriblement angélique, et provoquant rien que par son regard…

Jude… Est-ce donc toi que Malefoy aime ? Est-ce qu’il t’a aimé et embrassé, est-ce qu’il t’a tenu dans ses bras ? Est-ce que tu as acquis plus d’importance à ses yeux que qui que ce soit d’autre…

Harry soupire, plus que jamais pris au dépourvu, frappé par la jeunesse et l’innocence du garçon, pris en pitié par son histoire, et en même temps… Est-ce vraiment lui son rival sans visage ? Est-ce lui dont il doit se montrer jaloux ? Ses lèvres sur celles de Malefoy…

Harry tourne distraitement les pages, lisant quelques rapports comportementaux sans réel intérêt – ici aussi, la relation avec Malefoy n’est que très brièvement évoquée – jusqu’à ce qu’une mention, inscrite en rouge tout au bas du dossier, n’attire son attention.

Alors, Harry s’immobilise. Toute chaleur semble se retirer de son corps, et son regard glisse du dossier à Malefoy, de Malefoy au dossier, incapable d’y croire, paralysé par un froid qui n’a rien d’humain : un froid spectral, profond, intérieur.

– Jude…, murmure Malefoy comme s’il souffrait.

Harry referme le dossier et ne répond rien.

Annotations

Vous aimez lire Natalea ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0