Entremêlés
Drago et Blaise restent là à se dévisager, l'espace d'une seconde absurde. Tout dans l'esprit de Drago voudrait le pousser à attaquer maintenant, car la lueur dans les yeux de Blaise ne laisse aucun doute quant à ses intentions. Seulement, il y a les deux hommes qui l'accompagnent. Drago sait que s'il neutralise leur chef dès maintenant, les gorilles lui tomberont dessus sans poser de questions et qu'il n'aura pas le temps de répliquer. Aussi, c'est uniquement grâce à ses nerfs d'acier que Drago retient son geste et opte pour une nouvelle approche :
– Vous savez qui je suis ? lance-t-il aux deux sbires en ignorant Blaise.
Ce brusque changement d'attitude surprend Zabini, exactement comme Drago l'escomptait. Le sortilège de la mort ne part pas. Alors, profitant de cette poignée de secondes supplémentaires, Drago force son avantage :
– Je suis Drago Malefoy. Vous l'avez entendu prononcer mon prénom, n'est-ce pas ?
Les traits de Blaise se contractent de rage lorsqu'il comprend ce qu'il est en train de faire, mais Drago lève sa baguette :
– Votre maître est venu ici pour me tuer, dit-il toujours en s'adressant aux deux sbires. Et il vous a ordonné de venir avec lui pour l'aider dans cette tâche. Sans vous dire qui j'étais.
Drago inspire à fond et chasse le dégoût que ses propres mots lui inspirent :
– Il y a une hiérarchie dans le monde des sorciers, énonce-t-il très lentement. Et selon cette hiérarchie, votre maître et vous-mêmes me devez obédience. Alors ?
Il plante ses yeux froids dans ceux des deux hommes, l'un après l'autre :
– Allez-vous le laisser m'assassiner pour faire taire mon existence ? Allez-vous prendre part à cette usurpation ?
Les deux hommes se regardent, et Drago perçoit l'hésitation dans leur geste. Zabini la perçoit aussi. En l'espace d'une minute, Drago a inversé le rapport de force, et Blaise n'est désormais plus sûr de ses propres hommes :
– Je dirige ce réseau depuis presque dix ans ! crache-t-il. Je vous ordonne de le faire taire !
Mais Drago le devance :
– Il va vous tuer aussi, à présent. Il y est obligé. Vous êtes au courant. S'il veut m'éliminer, c'est parce qu'il craint que mon existence ne remette en cause son pouvoir, son statut de chef. Il ne peut pas se permettre de vous laisser libres dans la nature maintenant que vous savez qui je suis. Vous risqueriez de répandre la nouvelle, comme une traînée de poudre...
– La ferme !
Des veines palpitent sur le visage contracté de Zabini. Mais le doute perce toujours sur les traits de ses acolytes, et il ne peut plus se permettre d'éliminer Drago devant eux. Drago enfonce le clou :
– Vous me devez allégeance, dit-il d'une voix dure, ferme, irrévocable. Il en a toujours été ainsi depuis plus de dix siècles. Votre maître trahit notre héritage, nos traditions, notre sang. Je vous ordonne de l'éliminer.
Les deux hommes se concertent une dernière fois. Ils contemplent Zabini, puis lèvent soudain leurs baguettes. Alors, Drago s'autorise un bref sourire pour son ancien camarade de classe :
– Bonne chance, Zabini.
Et il transplane.
℘
Debout dans la cuisine, Hermione découpe soigneusement ses légumes en petits carrés, uniquement pour s'empêcher de penser. S'empêcher de penser à la présence fantomatique de Ron sous son toit. S'empêcher de se demander depuis quand cette présence est devenue une ombre, une menace, quelque chose qui la met mal à l'aise et qui lui donne envie de se réfugier dans sa cuisine, sous n'importe quel prétexte.
Ron est rentré quelques heures plus tôt. Comme ils en ont pris l'habitude maintenant, il n'a pas dit un mot sur son absence, et elle ne lui a pas posé de questions. Tous deux savent que tout dialogue serait inutile. Il ne ferait que provoquer un conflit, envenimer la situation. Crever un abcès que tous deux veulent préserver intact. Inutile d'affronter la vérité. Inutile de réaliser qu'ils se sont éloignés, qu'ils ne se connaissent plus, qu'ils ne sont plus que deux étrangers que le contact de l'autre fait souffrir. Quand cela a-t-il commencé ? Hermione ne saurait le dire. Ron n'a plus jamais été le même depuis son retour miraculé.
Debout dans la cuisine, Hermione s'attend à passer la soirée seule à préparer le repas, que Ron ne partagera pas avec elle. Elle ne le lui proposera même pas. Il y a bien longtemps que Ron ne se nourrit plus que de restes sur le canapé, tard dans la nuit, jusqu'à ce qu'il finisse par s'endormir une bouteille de Bièraubeurre à la main. Quelque part, Hermione en est soulagée.
Mais cette nuit-là, des pas se font entendre dans les escaliers, et Ron apparaît soudain dans l'encadrement de la porte. Hermione sursaute. Tout en lui lui fait peur. Son cœur se serre à cette seule pensée. Il y a eu une époque où elle a aimé cet homme. Où elle aurait couru dans ses bras, où elle l'aurait enlacé, embrassé. Mais aujourd'hui, Ron ne lui inspire que terreur et incertitude. Elle sait qu'un rien peut le mettre en colère. Que pour un rien, il risque de mal réagir. Elle ne sait pas quoi faire, quoi penser, comment agir, pour que surtout la dispute n'éclate pas. Elle a la sensation de marcher sur des charbons ardents, de se tenir en équilibre au-dessus du vide, et elle déteste cette angoisse constante qui la force à peser chacun de ses actes, chacun de ses mots. Elle voudrait être libre de respirer, l'espace d'une minute. Libre d'agir selon son inspiration du moment, sans aucune crainte, aucune contrainte. Elle voudrait dire adieu au nuage noir qui s'est refermé sur leurs vies. Mais ce soir-là encore, Ron la dévisage de son air de zombie, et elle sait qu'elle ne va pas aimer ce qui va suivre.
Il s'avance, d'une démarche lourde, horriblement lente. Il a le teint pâle et les traits tirés. Les cernes ombragent son regard autrefois si bleu. Où est passé le sourire sur ce visage ? La bienveillance, la bonté, la joie de vivre ? Toutes ces choses qu'Hermione avait aimées chez Ronald Weasley. Ce n'est plus lui aujourd'hui. Ce sont bien son corps et sa chair qui marchent, mais quelque chose d'autre s'est emparé de lui, et c'est ce quelque chose qui agit et s'exprime désormais par lui. Ce quelque chose n'aime pas Hermione. Il lui en veut, de toute la force de ses os. Hermione a peur de savoir pourquoi, mais comme d'habitude, c'est une vérité qui doit demeurer cachée, et elle ne dit rien.
C'est Ron qui parle :
– J'ai mis Rose au lit, dit-il d'une voix étonnamment sombre, en totale contradiction avec ses propos.
Hermione hoche la tête, tachant de ranimer un peu d'enthousiasme en elle, même s'il n'est que de façade :
– C'est bien, sourit-elle.
Ron fait encore un pas jusqu'à elle. Hermione peut presque sentir l'odeur de pluie qu'il a ramenée avec lui à présent :
– J'ai voulu lui lire ce conte qu'elle aime tellement, tu sais ?
– La Belle au Bois Dormant.
– Oui...
Ron fait une pause, une longue pause qu'Hermione ne comprend pas, et qui, sans qu'elle ne sache pourquoi, la paralyse d'angoisse :
– Elle m'a arrêté au bout de la première page, finit-il par dire. Elle m'a dit qu'elle préférait quand c'était Drago qui la lui lisait.
Hermione se fige. Le couteau dérape et lui entaille l'index – elle le sent à peine. Ron se jette soudain sur elle et la plaque contre le mur derrière elle, lui agrippe les poignets entre ses mains serrées :
– Maintenant..., gronde-t-il, le visage déformé par la rage, tu vas me dire ce que Drago Malefoy venait foutre dans ma putain de maison ! Tu vas me dire ce que Drago Malefoy foutait au chevet de ma fille ! Bordel de merde !
Il hurle, mais Hermione ne peut que le dévisager, épouvantée, incapable de savoir comment réagir. Le monde entier s'écroule sous ses pieds, et elle est incapable de réfléchir : à cet instant, elle ne peut qu'avoir peur pour sa vie, pour celle de sa fille, peur de cet homme qu'elle ne reconnaît plus.
– Je... Je..., balbutie-t-elle.
– Tu l'as invité chez nous ! hurle Ron. Tu l'as fait entrer ici, dans notre propre maison, sous notre propre toit ! CE SALE FILS DE PUTE !!!
– Ron, tu me fais mal...
Ron la lâche soudain, et le regard qu'il porte sur elle s'emplit de dégoût :
– Tu l'as baisé ? demande-t-il.
Hermione manque de perdre pied :
– Quoi ?!
– Est-ce que tu l'as baisé ?
Hermione se retient au mur derrière elle pour ne pas tomber. Elle est tellement choquée par la question, par la façon dont il l'a posée, par toute la morgue qu'il y a dans ses yeux et dans sa voix, qu'elle ne trouve pas les mots pour répliquer :
– Tu es complètement fou..., souffle-t-elle.
Il part d'un grand rire :
– Fou ? C'est toi qui accueille ce salopard sous notre toit, et c'est moi qui suis fou ?
Le rire qui secoue Ron devient hystérique, soulève ses membres comme un pantin désarticulé, une poupée de chair qui n'a plus rien d'humain :
– Arrête de faire ta sainte nitouche, ma chérie, lance-t-il. Tu as toujours été obsédée par cet enfoiré, tu l'as toujours désiré au fond de toi, je le sais. Alors dis-moi. Est-ce qu'il baise bien ? Est-ce que c'était bon de sentir la queue d'un assassin entre tes cuisses ?
– Tu es dégoûtant, crache Hermione. Tu ne sais pas ce que tu dis.
Puis la tristesse la rattrape soudain, l'horreur de cette scène, et de ce à quoi ils ressemblent tous les deux à présents : deux âmes perdues et brisées :
– Je l'ai recueilli pour l'aider, sanglote-t-elle dans une tentative désespérée de s'expliquer. Il avait besoin d'aide, c'est tout...
– D'aide..., répète Ron. Drago Malefoy avait besoin d'aide...
Hermione peut suivre le cours de ses pensées, sans même qu'il ne les formule. Elle a aidé Malefoy. Une fois encore, elle lui est venue en aide, à lui. Et lui dans tout ça ? Et lui, son mari ? Pourquoi a-t-elle été incapable de l'aider ? Pourquoi a-t-elle renoncé à essayer ? Elle l'a abandonné, encore une fois. Elle l'a abandonné, pour le choisir lui...
– Je t'assure qu'il ne s'est rien passé..., souffle Hermione, en larmes.
Ron se redresse soudain et réplique :
– Comme avec Harry ?
Sa voix claque comme un fouet. Son visage est devenu lisse, il n'exprime plus rien, si ce n'est une intense froideur :
– Comme avec Harry ? répète-t-il, impitoyable.
Hermione soupire. Ce n'est pas la première fois qu'ils débattent sur de tels soupçons, mais cette fois, elle sent qu'elle n'aura pas le courage de se défendre :
– Il ne s'est rien passé avec...
– Est-ce que tu as aidé Malefoy comme tu l'as aidé lui ? l'interrompt Ron. Est-ce qu'il y en a eu d'autres ? Est-ce que l'intégralité du Ministère de la Magie t'est passée dessus, pendant qu'on me croyait mort ou que je risquais ma vie ?
– Ron... Tu n'es pas juste...
– Juste ? Juste ? Et coucher avec mon meilleur ami, c'était juste ?! Coucher avec Malefoy ?!!
– Je n'ai pas couché avec Malefoy !!!
Ron se fige. Hermione sent, à la seconde où elle a formulé ces mots, qu'elle s'est trahie. Elle a nié, une fois de plus. Mais seulement pour Malefoy.
L'espace de quelques secondes – les secondes les plus longues et les plus horribles de sa vie – Ron ne dit rien. Puis soudain, il attrape une pile de vaisselle sur l'évier et la balance à travers la pièce :
– AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAHHHHHHHHHHHH ! hurle-t-il.
Hermione se recroqueville contre le mur, trop déchirée par ses pleurs pour songer à se défendre.
– Merde ! rugit Ron, et chaque cri sonne comme une sentence. Merde, merde, MERDE !!!
Il s'approche d'elle comme pour la frapper, mais l'agrippe seulement par les épaules :
– C'est terminé ! s'écrie-t-il. C'est terminé : j'en ai plus qu'assez de toi, de Harry, et de votre putain de Drago Malefoy ! J'en ai plus qu'assez de vivre dans vos délires de fous !
Il la lâche et Hermione tombe à genoux. Elle ne pleure plus. Quelque chose s'est bloqué en elle, elle n'en a plus la force. Tout juste entend-elle vaguement les pas de Ron qui monte à l'étage, puis qui redescend, chargé d'un sac. Elle ne fait rien pour le retenir. Elle sait que c'est peine perdue. Et au fond d'elle résonne cette terrible pensée : le voudrait-elle, de toute façon ?
Lui non plus ne lui adresse pas un au revoir. Ron s'en va.
℘
Dans un premier temps, Drago a transplané dans une ruelle quelque part près du London Bridge. Pourquoi ce lieu en particulier, aucune idée. Peut-être parce qu'il est en plein cœur du quartier Moldu. Et que Drago en a par-dessus la tête des intrigues sorcières.
Mais très vite, il est devenu évident qu'il devait bouger. Se remettre en route, trouver un endroit où il serait en sécurité. Ce n'était pas une bonne idée de revenir dans le même motel. C'est sans doute Michael, le jeune dealer, qui a donné l'alerte à ses maîtres. Drago s'en rend compte à présent. Mais il n'a pas de temps à perdre en se traitant d'imbécile.
Assis sur un banc au plein cœur du quartier touristique, Drago réfléchit. Il n'a pas pu récupérer ses affaires, et il est prêt à parier que si Zabini s'en est sorti : il n'aura rien laissé dans la chambre. Non, c'est trop dangereux d'y retourner. Drago ne possède rien de valeur, de toute façon.
Pris d'un soudain accès de rage, Drago serre les poings. Comme s'il n'avait déjà pas assez d'emmerdes dans sa vie... Pourquoi a-t-il fallu que Blaise lui déclare la guerre ? Il n'en a rien à foutre de ses magouilles de merde ! Drago n'aspire pas à devenir le nouveau mage noir de Londres : tout ce qu'il veut c'est la vengeance. Et disparaître...
Avec un soupir, Drago pense aux conséquences de son face à face avec Zabini. Etonnamment, il n'éprouve aucune peine, aucune nostalgie à l'idée d'affronter son ancien ami. Seules les images de ses protégés lui viennent à l'esprit : les gamins qu'il a pris sous son aile, sous le nom de Constantine... Zabini cherchera certainement à le retrouver grâce à eux.
L'esprit ferme, Drago trouve sa nouvelle destination. A l'abri des regards, il transplane dans l'Allée des Embrumes.
Le visage dissimulé sous un capuchon noir, il évolue jusqu'à retrouver l'enseigne qu'il a montée à peine quelques semaines plus tôt. Il lui semble que cela fait une éternité. Chez Constantine. Sans omettre le foulard sur son visage, Drago entre sans frapper.
Il trouve la boutique quasiment pleine à craquer, investie par ses propres hommes, qui se regardent comme des gamins désœuvrés. Derrière le comptoir, le plus âgé d'entre eux, celui que Drago avait pris comme second, se redresse dès qu'il l'aperçoit et s'exclame :
– Chef !
Un boucan infernal se fait aussitôt entendre à travers la minuscule échoppe. Drago lève les mains, et aussitôt le silence se fait :
– Où vous étiez passé, chef ? demande son second.
– Je suis désolé d'avoir disparu si longtemps sans donner de nouvelles, répond Drago. Mais je suis venu vous prévenir. Je me suis brouillé avec Blaise Zabini. Il est très probable qu'il se lance à ma recherche, et que ce faisant il s'en prenne à vous.
Le second fronce les sourcils :
– Pourquoi ? demande-t-il, avec toute l'insolence qui le caractérise. Qu'est-ce qui s'est passé ?
Drago soupire. Il veut en terminer et au plus vite. Telle une marque de confiance, il retire le foulard de son visage :
– Je ne m'appelle pas Constantine, dit-il. Je suis Drago Malefoy. Zabini me pourchasse parce qu'il craint pour sa légitimité. Il connaît ma fausse identité, il sait que vous m'êtes associés.
Contrairement à ce qu'il escomptait, aucune réaction de surprise ne bouleverse les rangs. Seul le silence lui répond. Jusqu'à ce qu'au bout d'un moment, devant son air interrogateur, son second ne déclare :
– On sait.
Drago n'est pas sûr de comprendre :
– Vous savez ? répète-t-il.
Le second jette un coup d'œil à ses camarades. Puis il explique d'un air vaguement hésitant :
– Un Auror est venu nous voir il y a quelques jours. Potter. Il nous a dit qui tu étais. Il nous a montré ta photo.
Rien qu'à ce nom, Drago voit rouge. Son sang brûle dans ses veines. Qu'est-ce que Potter vient foutre dans tout ça ?
– Qu'est-ce qu'il voulait ? s'entend-il demander, un peu plus sèchement qu'il ne l'aurait voulu.
Le second voit sa réaction, mais répond quand même :
– Il a demandé si on savait où tu étais. Bien sûr, on l'a envoyé chier. Mais après, il nous a dit que certains de tes ennemis en prison avaient tué un de tes amis. Que tu voulais te venger, et qu'il voulait t'y aider...
Drago se retient de ricaner. Il ne sait ce qui le déchire le plus : la colère ou le ridicule de la démarche de Potter :
– Et vous l'avez cru ? demande-t-il.
– Non, répond le second. Mais après, il a dit qu'il voulait nous engager pour l'aider à obtenir ta vengeance.
– Il cherchait à vous piéger.
Le second hausse les épaules :
– Il a dit que s'il avait voulu nous arrêter, ce serait fait depuis longtemps. Et il n'avait pas tort. C'est l'Elu, après tout, il peut faire ce qu'il veut.
– Il ne t'est pas venu à l'esprit qu'il voulait se servir de vous pour m'arrêter moi ?
A nouveau, le second hausse les épaules, comme si c'était une supposition particulièrement stupide :
– Il ne se serait pas montré lui-même en plein jour s'il avait voulu te tendre un piège. Il aurait été sous couverture, sous Polynectar. Et puis sous sa véritable apparence, il n'aurait pas eu le droit de nous engager : c'est un Auror, c'est illégal.
Drago secoue la tête :
– Potter est cinglé... Je ne veux pas de son aide.
Puis, pointant du doigt son second :
– Et je ne veux pas que vous vous mêliez de tout ça.
– Pourtant, Potter a un plan. Ça pourrait marcher. Il m'a laissé une adresse où le contacter, si tu veux lui parler.
Drago soupire. Rien que le souvenir de Potter lui donne envie de vomir. Il sent une rage inconnue se débattre en lui. Mais cette rage prend la forme de Manz, de Lensher, du visage ravagé de Jude, et l'espoir, même infime, d'une véritable revanche en chair et en os lui torture l'esprit.
« Patience », lui intime la part de son esprit encore capable de raisonner. « Granger a dit qu'elle t'aiderait. Qu'elle obtiendrait la mort pour ces porcs. Patience, Malefoy... ».
– Je dois réfléchir, déclare-t-il finalement. En attendant, interdiction de dire à Potter que vous m'avez vu. Et ne marchez pas dans ses plans foireux. Vous devez partir maintenant.
– Mais, et « Chez Constantine » ? objecte le second.
– Il n'y a plus de Constantine.
– Tu es Drago Malefoy ! Tu nous as recueillis, entraînés, protégés ! Tu ne peux pas nous laisser tomber maintenant ! Tu as tous les droits de défier Zabini !
Drago fait non de la tête :
– Ce n'est pas mon combat.
Et il s'en va. Pensif, il déambule dans les rues de Londres, ignorant où aller. Une petite voix traîtresse, insidieuse, lui répète la proposition du second en boucle, encore et encore. Potter. Potter qui s'est mis en tête de lui obtenir sa vengeance... Est-ce là tout ce que tu as trouvé pour te raccrocher à moi, Potter ? Es-tu désespéré à ce point ?
L'espace d'un instant, Drago envisage de transplaner directement pour rendre visite à Potter, mais non, il ne lui fera pas ce plaisir. La seule idée de revoir son visage lui retourne l'estomac. Les souvenirs de la cave d'Harpocrate se débattent en lui... Que crois-tu accomplir, Potter ? Tu te compromets dans des plans douteux, mais jamais, jamais je ne pourrai pardonner ce que tu m'as fait.
Mais alors, la petite voix reprend. « Vengeance », murmure-t-elle. Une vraie vengeance. Une vengeance dans la mort et le sang. Pas une vague condamnation en justice dont il ne pourra même pas voir la sentence...
« Obtenir justice, c'est tout ce qui compte », objecte sa conscience. « Tu as connu assez de morts. Assez de sang. Manz et Lensher vont payer pour ce qu'ils ont fait, mais tu n'as pas à t'impliquer. Pas avec Zabini, pas avec ces jeunes, et encore moins avec Potter. Laisse-les se débattre dans leur merde. Ce ne sont pas tes histoires, ce n'est pas ce que tu souhaites... »
« Mais tu souhaites les tuer. En personne. Tu souhaites les voir mort. Et si Potter pouvait t'obtenir cela ? C'est un Auror. L'Elu, le Sauveur du monde sorcier. Il a des relations. Il doit pouvoir te conduire jusqu'à eux... »
« Et s'en remettre à celui qui m'a volé une partie de mon âme ? »
« Qui en a quelque chose à foutre de lui ? Si cela te permet de venger Jude... »
Las de ce débat au fond de lui, Drago se prend la tête à deux mains. Il se trouve quelque part dans le quartier de Camden. Il est complètement perdu. Il se sent coincé en équilibre au bord d'un gouffre, au bord d'un choix qui le précipitera soit vers la lumière, soit vers les ténèbres. Il est déchiré en deux, littéralement. Justice et Vengeance se disputent en lui telles d'exactes opposées. Morale et Désir. Raison et Sentiments. Conscience... et cette chose colérique et impulsive qui s'est logée en lui, à la place de l'âme qu'il a perdue. Drago se sent sur le point de basculer. De très nombreuses fois dans sa vie, il a fait les pires choix possibles. Il a été confronté à ce qu'il y a de pire au sein de l'humanité. Il connaît les ténèbres : il y a vécu. Veut-il vraiment y retourner ? C'est ce qu'il a toujours connu, cela l'a-t-il jamais rendu heureux ?
Il pense à Granger. Aussi difficile qu'aient été les semaines suivant la mort de Jude, ce temps passé chez Granger lui apparaît avec le recul comme un havre de paix. Un sanctuaire où, malgré la douleur, il a été capable de reprendre son souffle. De respirer. De sortir enfin la tête de l'eau. Peut-être est-ce à cela qu'il aspire, désormais... Peut-être devrait-il laisser la justice faire son œuvre. Peut-être que c'est ce que Jude aurait voulu.
Soudainement, Drago réalise, planté tout seul au beau milieu de la rue, qu'il brûle de retrouver ces instants de paix, cette quiétude, cette chaleur : un rayon de soleil, tout simplement, au milieu de sa vie. Il veut faire les bons choix, pour une fois. Il ne veut pas laisser les autres décider à sa place. Il a désespérément besoin de cette sérénité, de cette certitude d'avoir bien agi, de cette lumière éclatante, blanche et pure, autant que de boire ou de respirer.
Alors, parce qu'il sent qu'il suffoquerait s'il restait indécis une seconde de plus, Drago transplane devant la maison d'Hermione.
℘
Il fait nuit. Drago sait que Weasley a dû rentrer chez lui, et il ignore comment contacter Granger. Il songe un instant à lui envoyer un hibou. Et puis, finalement, il jette un coup d'œil par la fenêtre de la cuisine, d'où filtre la seule lumière de la maison. Ce qu'il voit suffit à le décider à entrer. Granger est agenouillée par terre, à même le sol, et il y a des éclats de verre dans toute la pièce.
Sans chercher à dissimuler sa présence, Drago frappe à la fenêtre. Granger sursaute. Elle l'aperçoit, fond en sanglots, se reprend. Elle finit par se relever et quelques secondes plus tard, Drago l'entend ouvrir la porte d'entrée :
– Qu'est-ce qui s'est passé ? lui demande-t-il aussitôt.
En un instant, toutes ses préoccupations se sont envolées. Il se sent comme aspiré par les larmes de Granger. Etrangement, il déteste l'idée qu'on ait pu la faire pleurer. Pas elle, qui ne le mérite pas, pas une seule seconde.
– Ron est parti, répond-elle, et sa voix se brise.
– Raconte-moi...
Il est obligé d'insister pour qu'elle le laisse entrer, tant elle semble bouleversée.
– Rose lui a dit que tu avais séjourné ici..., explique-t-elle entre ses larmes. C'est ma faute, j'aurais dû y penser... J'aurais dû lui demander de ne pas en parler, mais... Elle n'a que cinq ans...
– Chut, calme-toi, fait Drago tandis qu'il la suit instinctivement vers la cuisine.
En constatant le carnage, Drago inspecte le visage de Granger :
– Est-ce qu'il t'a frappée ? demande-t-il.
Granger fait non de la tête :
– Non... Mais j'ai cru qu'il allait le faire. Il le voulait en tout cas...
Brusquement, elle le fixe droit dans les yeux :
– Tu aurais dû voir la façon dont il me regardait, dit-elle. Je n'avais jamais vu ça... Il n'y avait que du dégoût, de la haine, dans son regard...
Elle pleure, une fois de plus :
– J'ai dû lui dire pour Harry et moi...
Parce qu'il n'y a pas de mots en de pareilles circonstances, Drago la prend dans ses bras. Il se sent dépassé par les événements, mais en un sens... soulagé de s'éloigner de ses propres problèmes. Les choses semblent tellement plus concrètes, ici. Plus importantes. Plus réelles.
Lorsque Granger fait mine de se dégager pour ramasser les fragments de vaisselle, il la retient :
– Attends, laisse-moi t'aider, dit-il très doucement.
Sortant sa baguette, il rassemble les morceaux pour réparer la vaisselle qui vient se déposer en un petit tas bien net sur le bord de l'évier.
– Merci, fait Granger avec une ombre de sourire.
Puis, comme si elle le voyait pour la première fois :
– Pourquoi est-ce que tu es revenu ?
Drago lui retourne son sourire pour éviter de répondre :
– Peut-être que j'ai senti que tu avais besoin de moi, plaisante-t-il.
Elle acquiesce avec un léger rire. Elle se détend, il le voit. Tant mieux. Il respire mieux rien que de la voir apaisée. Mais c'est Granger, après tout. Avec sa curiosité et son obstination habituelles, elle insiste :
– Sérieusement, dit-elle. Pourquoi es-tu revenu ? Est-ce que tu as des ennuis ?
Drago détourne le regard :
– Ça ne vaut pas la peine d'en parler.
– Malefoy, je t'en prie... Est-ce que ça concerne Harry ?
Il fait non de la tête :
– Rien qui ne doive t'inquiéter.
Elle se ferme devant son refus. Drago comprend qu'il l'a surprise à l'un des moments les plus critiques de sa vie, et qu'elle se sent blessée qu'il l'ait vue à ce point vulnérable, sans rien lui livrer en retour. Parce qu'il comprend, Drago lui caresse la joue :
– On m'a proposé un choix aujourd'hui, murmure-t-il. C'est pour ça que je suis revenu. Pour faire le bon choix.
Elle le dévisage sans comprendre, et pour une fois, il ne cherche pas à dissimuler la fragilité qui se cache en lui, l'abîme dans lequel il a bien failli plonger. Granger reste muette devant cet aveu silencieux. Avisant le sang sur ses mains, Drago la conduit jusqu'à l'évier et nettoie la plaie heureusement peu profonde. Granger le regarde faire sans rien dire, telle une très jeune enfant.
Finalement, tous deux se retrouvent face à face, et silencieux. Dans cet instant étrange où tout semble possible. Un instant hors du temps. C'est dans ce genre d'instant que tout peut basculer, que l'on passe à l'acte ou que l'on renonce, pour le meilleur ou pour le pire. Une fois qu'il est passé, il est trop tard. On ne peut plus le récupérer. Combien d'instants magiques sont morts de n'avoir ainsi été saisis ?
Drago ne réfléchit pas à cet instant, mais il sent, comme une perception physique, la connexion qui s'est établie entre Granger et lui dans cette pièce, là où quelques heures plus tôt sans doute se déchaînait la fureur. Pour la première fois depuis très longtemps, il ressent une intimité, une douceur, et une confiance si entière qu'elle réchauffe la moindre de ses blessures. Il aime ce sentiment, comme la chaleur d'une flamme au milieu de la nuit et du froid. Il veut l'épouser tout entier.
En face de lui, il sent, il sait que Granger est attirée par lui, comme par un aimant. Parce qu'il souffre autant qu'elle souffre ? Parce qu'elle est fascinée par ce qu'elle a vu en lui, par ce qu'il lui a laissé voir, à elle et à elle seule ? Parce que tous deux ont vu au fond de la peine de l'autre ? Où est-ce la lumière qui, inlassablement, pourchasse l'ombre, lui livre une guerre sans merci, la rattrape pour la perdre aussitôt ? Etrange histoire que celle du soleil qui aime les ténèbres. En dévisageant la jeune femme, Drago sent que cet amour est réciproque.
Il ne sait pas si elle le repoussera. Elle est blessée, épuisée, physiquement et mentalement. Mais il n'a pas peur. Drago se penche sur Hermione, appuyée contre le plan de travail, et il incline son visage vers le sien. Il la voit se détourner, un instant. Puis elle ne bouge plus. Alors il se rapproche encore et pose ses lèvres sur les siennes.
Tout d'abord, elle ne réagit pas. Drago sent la pulpe très douce de sa bouche sous la sienne. Il l'embrasse comme une chose rare et précieuse, un rayon de miel, de lumière et de chaleur. Elle pleure : il sent deux larmes couler sur ses joues, s'écraser sur les siennes. Elle finit par lui rendre son baiser, et alors, elle passe ses bras autour de son cou pour l'enlacer, comme s'il était son unique raison de vivre sur cette Terre, sa seule bouée de secours, sa bouffée d'oxygène. Elle l'embrasse comme on respire à pleine bouche, comme on revient à la vie.
Drago sent son sang le brûler dans ses veines : une brûlure comme il n'en a plus ressentie depuis une éternité, cinglante comme un coup de fouet, et bien différente de la rage ou de la haine. Il soulève Hermione par la taille pour l'asseoir sur le plan de travail, et elle passe ses jambes autour de lui. Ils s'embrassent à perdre haleine, avec une passion désordonnée et brouillonne qui correspond tellement bien à leur relation. Ils ne veulent pas réfléchir à cet instant, ils se laissent emporter. Ils se veulent et tout de suite. C'est devenu un besoin, aussi vital que l'air.
Instinctivement, leurs mains trouvent ce qu'elles cherchent, défont les boucles de leurs pantalons. Drago passe un instant ses doigts sous les sous-vêtements d'Hermione, effleure ce monde chaud et caché qui la fait se cambrer contre lui. Il la déshabille juste assez pour pouvoir se glisser entre ses cuisses. Alors, sans qu'ils aient besoin de se concerter, il la prend comme ça, serrée contre lui, vite et fort. Cela a quelque chose de si impulsif et viscéral qu'aucun d'eux ne le réalise vraiment, sur l'instant. Ils ne font qu'un, excités par la seule idée de ne faire qu'un. Par la frénésie qui les a saisis et qui les mêle l'un à l'autre, irrésistible, insatiable. Drago n'a plus connu de femme depuis tellement longtemps, et c'est une sensation si merveilleuse, si indescriptible... Hermione quant à elle, brûle à la morsure de l'interdit. Ron et elle n'ont plus partagé ce genre d'intimité depuis des années. Et puis c'est Malefoy. Tout en elle se tend à la recherche de son amant. Sa présence l'envahit entièrement : son odeur, ses baisers, lui en elle, et cette étreinte aussi imprévue que salvatrice.
Tous deux sont bien trop à vifs pour que leurs ébats durent longtemps. Lorsqu'ils se libèrent, essoufflés, ils prennent brusquement conscience de ce qu'ils ont fait. L'espace d'une seconde, Hermione se sent mortifiée. Elle l'a fait, encore. Elle a trompé Ron. Après la dispute qu'ils viennent d'avoir... Une terrible culpabilité monte en elle, et puis Malefoy se rappelle à elle, et leurs mains jointes, et ses vêtements défaits, et la sensation de le sentir encore en elle...
Doucement, comme si elle craignait de revenir à la réalité, de briser l'instant, Hermione descend du plan de travail. Elle rajuste ses vêtements et pendant quelques secondes, n'ose pas dévisager l'homme en face d'elle. Cet homme qui a peuplé ses pensées depuis si longtemps, et pour tant de raisons différentes... Cet homme qui l'a possédée aujourd'hui...
Drago l'attire à lui pour l'embrasser encore. C'est un baiser plus doux, plus profond. Son corps épouse le sien à la perfection, comme s'il voulait se fondre en elle. Alors, sans un mot, Drago l'entraîne à sa suite hors de la cuisine. Il monte les escaliers, la conduit dans cette chambre où il n'est encore jamais entré. Hermione comprend que ce qui s'est passé dans la cuisine n'était que la première fois, mais que ce ne serait pas la dernière. Ce n'était pas qu'un instant hors du temps. C'était le début d'autre chose.
Dans la quiétude de la nuit, Drago et Hermione font l'amour, encore et encore, jusqu'au lever du jour.
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