IV
Le soleil était déjà haut dans le ciel lorsque les trois hommes suivis de leurs deux rangées d'esclaves solidement enchaînés entre eux pénétrèrent dans l'enceinte du bâtiment. Considérant l'empressement des gardiens pour les faire entrer, on semblait les y attendre. L'intérieur était plutôt prosaïque contrairement à l'individu bien portant qui les accueillirent. Il était vêtu d'un ample bliaud rouge et couvert de bijoux de valeur signant ainsi son appartenance à une caste de privilégiés. Zach ne se sentit pas naïf au point de croire que l'homme demeurait ici mais pensa que cet endroit pouvait tenir lieu de couverture afin que personne ait la surprise de voir débouler une ribambelle d'esclaves mal-portants dans sa prestigieuse tour. En somme, sûrement un de ces personnages qui jugeait bon de rester discret lorsque la circonstance l'imposait. L'individu les entraîna à l'autre bout d'un long couloir à l'intérieur d'une petite pièce tout aussi sordide que le reste et vide de mobilier. Là, deux colosses que l'on devinait attentif derrière leur masque d'impassibilité, se tenaient immobiles contre le mur du fond.
Le protocole commercial pouvait débuter. D'abord, leur hôte marcha quelques minutes, silencieux, les bras dans le dos le long de la rangée de malheureux qu'avaient établi préalablement les deux commerçants. Le jeune homme aurait voulu se trouver loin d'ici à cet instant normalement consacré à la préparation du dîner familiale. Lui qui éprouvait une aversion pour les tâches ménagères aurait volontiers briqué le domaine dans ses moindres recoins si cela lui avait permis de fuir la scène. L'homme s'immobilisa enfin, fit une moue dubitative et désigna cinq individus tour à tour d'un signe de main après avoir interpellé les trois acolytes qui venaient d'entrer dans la pièce quelques instants plus tôt.
― Enmenez-moi ces cinq-là pendant que je traite avec ces messieurs, ordonna-t-il d'un ton calme mais assuré. Zach constata que la jeune femme qu'il avait soigné quelques jours plus tôt faisait partie du lot. Mal à l'aise, il n'osa pas diriger son regard dans sa direction mais avait une fois de plus remarqué sa beauté farouche.
― Il était convenu que vous preniez la totalité de la marchandise Messire Lambriard, s'agaça le père de Zach. Les traits des différents protagonistes se furent alors tendus ce qui conférait à la rencontre une ambiance plus pesante encore qu'elle ne l'était auparavant.
― Je ne prends pas les misérables maladifs, envoya l'autre fermement. J'ai besoin d'individus jeunes et vigoureux pour travailler au domaine, pas de loques tenant à peine sur leurs deux jambes. Remarquant certainement que la réponse n'avait pas satisfaite ses hôtes, il se ravisa : « Très bien ... je vais vous régler sur la base de ce qui a été convenu ». Aussitôt, il fit signe aux deux hommes appuyés contre le mur qui sortirent aussitôt de leur torpeur apparente pour s'approcher de la rangée d'esclaves la plus proche. Ils dévoilèrent chacun un couteau et les poignardèrent tour à tour avec un applomb terrifiant. Des gémissements et des mouvements de panique vite réprimandés se firent entendre parmi les malheureux restants.
― Vous voilà à présent débarrassé de votre fardeau, fit-il les bras légèrement écartés et un sourire cynique au coin des lèvres. L'air enjoué et profitant de la perplexité suscitée chez ses interlocuteurs, il demanda : « Combien avons-nous évoqué déjà pour chaque tête ? ».
Soudain, un cri aigu et déchirant retentit de l'extérieur suivi de nombreux autres hurlements inhumains. D'amples ombres semblant se projeter depuis l'extérieur parcoururent la pièce.
― Par Dreanys, que se passe-t-il ici ? s’enquit le dénommé Lambriard perdant subitement toute sa verve à l'instar de ses sbires qui avaient troqués leur visage fermé pour un comportement agité et désordonné. Surgissant du couloir emprunté quelques minutes plus tôt par la troupe, un des gardiens, blême, lâcha :
― Venez voir ça ! Que Dreanys, déesse des cieux, nous protège !
Aussitôt les individus présents s'exécutèrent. Lambriard fût le premier à sortir et à constater la confusion ambiante. Les autres freinèrent leur curiosité et firent volte-face lorsqu'ils virent l'homme au bliaud rouge se faire happer par d'énormes serres appartenant sans doute à une créature ailée d'envergure.
Zach, encore hébété, entreprit enfin de se retourner et à suivre, hagard, les autres à travers le bâtiment. Il vit son père s'engager à travers une porte dérobée menant à l'arrière du bâtiment mais une créature humanoïde indescriptible à l'allure terrifiante l'intercepta d'un violent coup de lance dans le dos avant de pousser un grognement guttural. Cette redoutable arme semblait surmontée d'une tranchante lame à chacune de ses extrémités. D’autres de ses semblables s’engouffraient maintenant en nombre, brisant les fenêtres et jaillissant du dos de leur créature volante. Des hommes en armes s’étant retranchés dans le bâtiment combattaient les créatures avec une terreur et une sidération telles que leur manque d’efficacité au combat face à la fureur adverse leur était pour la plupart fatal.
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