Prologue
Les mondes se construisent autour des civilisations qui les peuplent. L'Histoire se batît, elle, sur les tas de cadavres ammoncelés au fil des siècles par les guerres intestines et les luttes de pouvoirs. La vengeance, la rancoeur, la haine et le desespoir. Quand ces quatre états d'âme sont réunis au sein d'un seul esprit, l'Histoire elle-même cesse de s'écrire pour écouter son récit...
Au milieu de vallons verdoyants illuminés par la pleine lune, durant une longue et froide nuit d'hiver, se tenait, immense et fier, le gigantesque mont Pharos. Du haut de ses quatre mille mètres de haut, il observait de loin l'océan de l'est, et tournait le dos au pays libre du peuple pharien. Une large et flamboyante cité s'étendait sur toute l'ampleur de la base du mont, où cohabitaient alors deux peuples d'origines et de culture très differentes. Les collines, les lacs, les vivants et les morts, tout était calme en permanence autour de la montagne sacrée de cette civilisation pacifiste, qui jusqu'à quelques siècles plus tôt, n'appartenait qu'à eux.
Le roc fut longtemps sujet de nombreuses chansons, tant il inspirait dans le coeur des hommes le respect de la nature et la crainte des dieux. La mythologie de Pharos associait cette montagne au dieu de la foudre et de la colère. Il y a plus de dix mille ans, ce dernier aurait, suite à une altercation avec les représentants de la race humaine, séparé le grand continent d'Amatus en quatre grandes parties, dans un orage incroyable. Elles forment aujourd'hui les quatre continents principaux. Il est dit que le point de rupture des terres se situe à l'exact emplacement du mont, qui symbolise aujourd'hui la puissance divine destructrice, et peu d'êtres humains s'étaient jamais rendus ne serait-ce qu'au pied de cet inviolable endroit.
Mais ce soir là, le silence intangible de cet endroit cessa. De hautes colonnes de fumée s'élevaient de la ville. L'est et l'ouest semblaient en proie aux flammes, tandis que l'écho sourd des coups de canons se répandait aux alentours, amplifié par les parois du grand pic. Quelques maisons flambaient en rejetant une fumée noire et crasse. L'air empestait l'odeur du suif et de la chair brulée et le sol était criblé d'impacts de balles explosives et de profonds cratères. Les quelques habitations qui tenaient encore debout n'y parvenaient qu'en s'appuyant sur leur mur porteur de pré-fabriqué renforcé, qui leur assurait une importante stabilité en cas de tremblement de terre.
L'accès au quartier des Orchidées, adjaçant au pied du sommet, avait été rendu innaccessible par les forces armées de la cité. Des bandes noires et rouges en interdisaient l'entrée. Une quinzaine de militaires s'assuraient que personne ne vienne franchir la limite, bien que celle ci fût également défendue par la présence de deux canons à strabonite, très efficaces contre les excités qui prétendraient outrepasser l'autorité de l'armée.
Des maisons de materiaux composites alignées le long de la grande allée centrale, qui desservaient le quartier tout entier ainsi que quelques maisons en bordure de la ville, il ne restait guère que des amas de gravats calcinés et noircis par l'opaque nuage mortel. Au sol, des restes humains déchiquetés jalonnaient les abords des ruelles, aux côtés des carcasses de véhicules dernier cri et des derniers rats fuyant la zone de conflit. Le ciel, d'ordinaire si bleu, renvoyait maintenant l'image sordide de la guerre par sa couleur rougeâtre putride et ses charognards, dont l'appétit n'avait pas attendu la fin de la bataille pour se manifester. Certains d'entre-eux s'étaient déjà posés sur les corps des habitants du quartier et commençaient lentement à grignoter leurs restes. Si l'enfer existait, le voilà qui s'étendait sur des centaines et des centaines de mètres.
Plus rien à voir avec les quelques patés de maisons que les riverains avaient toujours connus. Ses rues dégagées, ses lampadaires rayonnants d'une lumière bleutée les nuits sans lune, ses rigoles, ses arbres décoratifs et ses pavés polis qui faisaient de cette avenue la plus belle qu'on eût vu sur tout le continent, tout était méconnaissable.
Le rafut incessant qui régnait n'était autre que celui des dizaines de soldats occupés à s'écharper sur la dernière ligne de défense organisée par les phariens. Ceux-ci, cloitrés derrière un mur fait de gravats et de carosseries de voitures, resistaient difficilement aux assauts menés par l'occupant Lazarien, dont la technologie surpassait en tous points celle des derniers combattants du quartier.
Soudainement, alors que l'on finissait d'acheminer quatres chars sur le champ de bataille pour en finir au plus vite, un homme fit irruption du côté lazarien. Flanqué de cinq gardes du corps lourdement armés, un bandeau de tissu illustré de quatre bandes dorées accroché sur le bras gauche, il se déplaçait d'un pas décidé vers ce qui semblait être un complexe de déplacement militaire autonome. Sans prêter attention aux balles sifflantes et aux explosions constantes qui se déroulaient autour de lui, il ordonna d'un signe de la main à ses hommes de s'arrêter juste devant la double porte. Ce faisant, il sortit de la poche de son manteau un badge plastifié qu'il inséra dans une fente. Un signal sonore, et l'accès au centre lui fut permis.
A l'interieur, autour d'une grande table ovale de verre tactile sur laquelle figuraient des informations militaires, étaient assis une quinzaine de personnes, toutes portant le même uniforme noir et rouge avec un bandeau à deux barres horizontales. En pleine discussion, ils n'avaient pas remarqué la présence de l'homme. Ce jusqu'à ce que l'un d'eux, ne levant les yeux, l'aborde précipitemment pour se mettre au garde-à-vous devant lui et le saluer.
-Monsieur le Grand-Lieutenant ! C'est un honneur de vous accueillir au centre des opérations du quartier ouest !
-Repos, sous-lieutenant. N'en faites pas trop, réservez cet accueil pour le General-Démocrate lorsqu'il passera dans la matinée. D'ailleurs, c'est lui qui m'envoie. Il veut un rapport détaillé de la situation. Et moi aussi. Ca fait presque quatre cents ans que cette partie du continent de Pharos est sous notre domination. Qu'est-ce qu'il peut bien prendre à ces maudits phariens de se rebeller maintenant?!
En face de lui, le jeune homme, qui devait avoir la trentaine, semblait légèrement mal à l'aise. Tremblant légérement, une goutte de sueur perlait à sa paupière droite. Il grattait nerveusement sa barbe de trois jours. Il sortit de sa poche de pantalon un carnet de notes, qu'il feuilleta energiquement pendant près d'une minute. A bout de patience, son officier superieur reprit.
-Dites, j'ai pas que ça à faire, j'ai un compte rendu de la situation à rendre à son excellence dans moins d'une demi-heure . Alors soit vous êtes capable de m'expliquer ce foutoir en moins de cinq minutes, soit vous redscendez au rang de simple bidasse ! MAINTENANT !!
Il n'en fallait pas plus au sous-lieutenant pour reprendre ses esprits, saluer de nouveau, et s'élancer vers la table. Il manipula les informations apparaissant sur l'écran et les ordonna de manière à eclaircir la situation. Il prit son carnet de note, à la bonne page cette fois-ci, se racla la gorge, puis commença son rapport.
-Alors voilà...les hostilités ont été engagées par les phariens tôt dans l'après-midi. Ils ont fait exploser une voiture piégée juste devant le poste de la garde civile, ce qui a tué trois personnes, deux gardes et un militaire un exercice. Ils se sont ensuite divisés en deux groupes, l'un allant se réfugier tout à l'est dans un batîment de stockage, et l'autre se repliant au quartier des orchidées. Le premier groupe s'est rendu plutôt rapidemment, il ne semblait pas disposer d'un arsenal suffisant pour nous faire face. Le deuxième, en revanche...
Il s'arrêta. Un silence pesant s'installa. L'ensemble du personnel présent semblait gêné et avait baissé le regard vers le sol, ou bien observait avec une attention toute particulière un coin parfaitement ininteressant de la salle. Cela eut pour effet d'agacer au plus haut point le grand-lieutenant. Ce dernier, après avoir sorti de sa veste noire une sorte de magazine qu'il roula, donna un grand coup à l'arrière de la tête de son officier. Surpris, il releva la tête d'un coup, comme le reste de la compagnie, et reprit son discours.
-Euh...et bien...le fait est que...il semblerait qu'ils nous aient forcé un entrepôt où étaient stockées nos armes à strabonite, ainsi qu'une bonne partie des munitions. La serrure a été forcée à l'aide d'un chalumeau à fusion ancienne génération, trop efficace contre nos verrous electroniques. Ils ont volé une liste de véhicules et d'armes non négligeable que voici.
Il lui donna un morceau de papier froissé, sur lequel était écrit à l'encre noire baveuse des noms d'armes lourdes, de véhicules blindés spéciaux et de munitions extrêmement coûteuses. L'homme lut le document. Ses mains se mirent à trembler et ses yeux exorbités semblaient eux sur le point de lui jaillir du crâne pour aller étrangler les responsables de ce scandale.
Il fit cependant mine de reprendre ses esprits, réajusta ses fines lunettes rectangulaires, et tendit le morceau de papier à peine reconnaissable à une autre des jeunes recrues . En effet, toutes les personne présentes, hormis le grand-lieutenant, semblaient ne pas dépasser la trentaine. Ils étaient tous probablement fraîchement sortis de l'EDL et avaient rejoint au plus vite l'armée pour avoir un bagage utile afin de travailler dans la fonction publique.
Il sortit un carnet de cuir et y nota au stylo plume les précieux renseignements que lui avait donnés son interlocuteur. Il s'avança ensuite vers le poste de commande qui se trouvait au fond de la salle et parut vouloir prendre la place de la femme qui s'y trouvait. Il lui tapota l'épaule. Elle portait en effet un casque anti-bruit sur les oreilles afin de ne pas être déconcentrée. Elle se retourna vivement, et visiblement surprise de la présence de l'homme, elle se leva et le salua.
-Monsieur le Grand-Lieutenant Torcoing ! C'est un honneur de vous re...
-Repos, lieutenant. On a pas le temps pour ces anneries protocolaires, j'ai seulement besoin d'accéder au canal de communication prioritaire. Connectez moi à Central, et dans la seconde !
La jeune femme hocha de la tête et s'exécuta. Elle ouvrit un boitier transparent qui laissait entrevoir un petit bouton rouge, qu'elle pressa. Sur l'écran mural, un symbole s'afficha, une sorte de D entouré de trois étoiles, avant de laisser la place à une fenêtre vidéo. Un homme massif et peu chevelu à la moustache noire apparut assis sur un fauteuil. Il portait un uniforme blanc et rouge, sur lequel était brodées, au niveau du coeur, cinq bandes dorées. Le regard pénétrant, il scrutait d'un oeil attentif l'assemblée de chercheurs et de militaires qui s'étalaient devant lui, avant de s'arrêter sur Torcoing.
-Torcoing, j'ose espérer pour vos fesses que vous ne m'avez pas dérangé pour m'annoncer une mauvaise nouvelle.
Après un rapide salut, le concerné pencha légèrement la tête et commença à parler.
-J'ai bien peur que si, votre excellence. Les rebelles ont bouclé un quartier et nous attaquent avec notre propre équipement. Je préconise l'envoi d'un négociateur afin de les rai...
-Taisez vous. Je ne veux pas de vos conseils, imbécile, cette situation n'aurait jamais eut lieu si vous aviez modernisé notre système de sécurité comme demandé.
L'homme se tut, parut réflechir pendant un court instant, puis déclara :
-Envoyez les Gauss. Quatre. Exterminez moi ces singes, on ne parlemente pas avec des animaux.
Son ton était dur. A l'évocation du terme de "Gauss", le grand-lieutenant, qui avait la tête baissée, fut pris d'un leger tremblement et ravala un glaire. Il semblait maintenant mal à l'aise, et une goutte de sueur perlait à son menton. Devant l'ordre direct de son superieur, il salua vigoureusement et reprit.
-A vos ordres !
Quelques instants plus tard, on put entendre quatre sons graves et lourds, ainsi que sentir la terre trembler sous les impacts des mastondontes ballistiques qui venaient de réduire le quartier des orchidés à un immense cratère. Ce ne furent cependant là que les prémisces d'un évènement bien plus grand, bien plus destructeur et infiniment plus meurtrier, causé par le seul homme dont l'Histoire n'effacera jamais le nom. Nom tracé en lettres de sang sur ses pages immaculées. Génocides, meurtres, guerres, trahisons, jalonneraient ainsi la vie de celui qui, au nom d'un secret, mettrait le monde à feu et à sang dans un déluge incessant de cadavres. Son nom, Dieter Lazarus...
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