Chapitre I, partie 2 : Princeps
Il rangea sans plus tarder sa lame dans un fourreau, accroché à une large ceinture de cuir. Il reprit de même le sac qui lui avait été confisqué, et quitta la rue. Il sortit de la rue, très lentement, afin de voir si l'autre avait eu le temps d'avertir ses équipiers. Mais dans l'artère principale, rien. Pas un bruit, pas un chat. Ses poursuivants devaient être loins.
Du coin de l'oeil, il remarqua un engin, un deux-roues motorisé posé négligemment contre le mur d'une maison proche. Il regarda une dernière fois derrière lui, pour s'assurer qu'il n'y eût personne, et courut jusqu'à ce qui semblait être une moto. Lorsqu'il fût devant, il regarda un peu partout pour y trouver un signe d'appartenance, mais à l'évidence elle appartenait à un organisme. Sur sa carosserie étaient en effet gravé le sigle G.C.Q, le même que sur les badges volés. Elle avait probablement été utilisée par le jeune garde tué par le garçon.
Un sourire traversa le visage de celui-ci. Il sauta à califourchon sur le siège, passa un des nombreux passes qu'il possédait dans une petite fente et démarra le véhicule. Au son du moteur, il passa une main dans ses cheveux poussiéreux et éclata d'un rire sonore incontrôlable.
-Je suis vraiment méprisable, dit-il en désactivant le pilotage automatique de l'engin.
Il eut bien du mal à arrêter celle-ci, qui répétait inlassablement "Bienvenue sur l'interface du pilotage automatique PLOD. Sélectionnez votre destination.".Il sortit quelques fils après avoir déboulonné un cadran metallique.
-Chut, dit-il en s'adressant à l'ordinateur, tu vas rameuter les troubles-fêtes.
Il profita du fait qu'il était encore à l'arrêt pour retirer sa vieille chemise trouée et racommodée. Par dessous, un simple T-shirt à manches courtes, lui aussi plutôt abîmé, le protégeait. Mais la température était très bonne, en cette soirée d'été, et quitter quelques couches de vêtements l'aiderait probablement à s'échapper plus efficacement.
Le moteur émit un léger sifflement. Il enclencha le débloquage des roues, et lança l'engin à faible vitesse. Le voilà ainsi, libre de ses mouvements, circuler dans les rues de cette cité immense. Il prit soin de ne prendre que les grandes avenues, celles-ci devaient en effet être moins surveillées que les autres.
Sur la grande rue qui longeait un fleuve paisible, le jeune homme ralentit encore la vitesse de son nouveau cyclomoteur. Sur le bord gauche, d'immenses grattes-ciels aux façades de verre transparent cachaient la lueur argentée de la pleine lune.
Il roulait donc paisiblement dans l'artère principale de Quantopolis. Celà faisait longtemps qu'il n'avait pas emprunté cet itinéraire, et la configuration avait bien changé. Toujours plus de grattes ciels, toujours moins de verdure. Les grandes baies vitrées des immeubles d'affaires du quartier Valentinien avaient depuis longtemps remplacé les maisonnettes d'avant, et seuls quelques pauvres platanes témoignaient encore du temps révolu d'avant la révolution pourpre.
La révolution, Le jeune garçon y repensait régulièrement. Il se rappela, par ailleurs, que la Démocratie de Lazaria allait bientôt fêter le quatre-cent neuvième anniversaire de ce sanglant été. En l'an deux-mille onze du calendrier impérial, les masses bourgeoises de la captitale du grand empire Lazarien avaient pris les armes et mis la ville à feu et à sang. Le palais impérial avait été envahi par ce qu'il qualifiait de "bande de dégénérés", et lui aussi avait été complètement ravagé. Des milliers d'années d'histoire impériale parties en cendres, et dans le sang des membres de la famille impériale.
En effet, ce jour-là, l'empereur Archus Lazarus ainsi que sa femme, l'impératrice Thalia et leurs enfants Sonja et Ionios avaient été éxécutés en place publique. Certaines théories couraient quant à la survie d'un troisième fils, mais ce n'étaient que des racontards. La dynastie Lazarus était morte ce jour là, et un système démocratique avait prit sa place. Sur son siège, il en rit, et rirait encore longtemps sûrement de ces théories fumeuses.
Même la resistance était morte, enfin, quasiment achevée devrait-on dire. Quelques petits groupuscules impérialistes et fidèles à la famille impériale survivaient de çà et de là, à travers le continent, mais les continuelles chasses organisées par l'armée et la garde réunies réduisaient leur nombre au fur et à mesure. Ils n'étaient plus que les fantômes d'un passé trop vite oublié, c'était bien le sentiment qu'en avait l'adolescent.
Il était toujours perdu dans ses pensées lorsqu'il vit tomber, à quelques mètres de luii, un petit objet rond métallique. Il rebondit quelques fois, en emmettant une légère lumière bleutée. Revenant progressivement à la réalité, il réalisa une seconde trop tard qu'il s'agissait d'une bombe.
Brusquement, il donna un coup de guidon vers la gauche afin d'éviter la déflagration. En un instant, les vitres de l'avenue furent soufflées, et les arbres balayés comme des fétus de paille. Une porte s'envola également, et le souffle de l'explosion manqua de peu de le renverser. Il tint cependant bon, et réussit à garder le contrôle de son engin.
Derrière lui, la grand rue ne ressemblait guère plus qu'à un champ de bataille, la route noircie et les façades des batîments carbonisées par les flammes. Les quelques plantes qui avaient résisté étaient en train de brûler. Un panache de fumée noire se dégageait et obstruait la vision vers l'arrière. Il ne pouvait plus voir ses poursuivants, et c'était mauvais signe.
Mais celà n'empêcha pas les motards de la garde de surgir de cet opaque nuage pour le reprendre en chasse.
La course poursuite reprit de plus belle, à travers les étroites ruelles de la ville.
Trouvant que ce petit jeu commençait à se faire un peu long,il décida d'accélérer franchement et de s'engouffrer dans le pont Parimit, qui passait directement en dessous du grand fleuve du nord. C'était un tunnel pas très large, construit à l'époque de l'empereur Parimit au IVème siècle, et qui était utilisé à l'époque pour acheminer des marchandises de l'est à l'ouest lors de la première guerre du pouvoir.
En résultait un conduit étroit ou les deux-roues ne pouvaient pénétrer que les uns après les autres. il donna encore un coup sur l'accelerateur pour pousser la machine tout droit vers la sortie. Si tout se passait bien, pensa-t-il, il devait arriver directement sur le QG ouest de l'armée. Là-bas, il savait que ces membres de la garde ne viendraient pas mettre les pieds, les flingues du quartier général militaire de la capitale étaient bien plus gros que les leurs.
La traversée s'effectua sans problèmes. Il en sortit aussi vite qu'il en était rentré, et fit un brusque demi tour pour arrêter le véhicule. Curieux de savoir comment s'en sortiraient ses traqueurs, il se posa tranquillement à la sortie.
Il avait vraiment du mal à ne pas éclater de rire : de l'autre côté du cours d'eau, un tas informe constitué des motos de la garde s'était formé devant l'entrée du tunnel. Cette bande de guignols ne savait à l'évidence pas qu'il y avait une entrée trois fois plus large à peine cent mètres plus loin. Dire qu'ils se plaignaient d'être la risée du pays, se dit interieurement le garçon affalé, il ne fallait pas s'étonner de certaines choses quand on était pas capables de réflechir correctement.
La course poursuite était terminée. Il faisait maintenant nuit noire, et les rues étaient de plus en plus sombres. Il allait devoir regagner son abri au plus vite, ou les responsables de l'OLCASA allaient encore lui tomber dessus, et lui enfoncer une de leurs saletés de puce GPS. Dans ce pays, on avait vraiment l'impression que les sans-abri étaient considérés comme des malpropres qu'il fallait parquer. Un peu comme les impérialistes.
Il abandonna donc la moto sur le quai du fleuve, en prenant bien soin de retirer le badge qui avait servi à la faire démarrer. Il attendrait jusqu'au lendemain pour utiliser les autres dans les bureaux de la garde,et avait eu assez de divertissement pour aujourd'hui. Il était très fatigué.
Il se mit donc à courir, assez rapidemment pour éviter les rondes de nuit, et emprunta les routes les plus sombres, les rues les plus étroites, pour se faufiler discrètement jusqu'à "chez lui". Il n'avait pas vraiment de "chez lui", c'est le principe du sans-abri, mais il avait trouvé depuis quelques jours un grand arbre artificiel -oui, c'était la grande mode à Quantopolis de toute artificialiser- dans lequel il avait creusé une cabane. Elle n'était pas très grande, mais il parvenait tout de même à y vivre presque correctement.
Arrivé tant bien que mal au nord de la ville, Il s'arreta un instant derrière une ruelle deserte pour reprendre son souffle. Mais il remarqua, du coin de l'oeil, une avenue qu'il n'avait jamais vue...
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