Chapitre V, partie 4 : Les premiers jours
Son tissu était maintenant complètement imbibé de liquide, et commençait vraiment à être attaqué. Heureuement qu'elle portait des gants, je n'auras pas donné cher de sa peau sinon. Elle releva la tête vers moi, et me regarda inquisiteur. On aurait dit qu'elle voulait me percer par la seule force de ses yeux. Elle se redressa et jeta l'éponge dans un évier, et fit couler de l'eau dessus pour attenuer l'acidité.
-Et toi, dis moi, pourquoi as-tu accepté, me demanda-t-elle avec un petit sourire en coin?
Je ne savais pas trop quoi répondre. Je n'allais quand même pas lui dire que la raison de ma présence était mes petites fouilles dans leurs archives militaires classées, non? Qu'allais-je pouvoir inventer comme excuse?
-Oh, moi, disons que j'ai juste besoin de me changer les idées
J'attendais sa reaction. J'étais moi aussi resté très évasif, il n'y avait pas de raisons pour qu'elle en sût plus sur moi que je n'en savais sur elle. Je voyais bien que je l'avais contrariée, ses traits s'étaient largement affaissés et elle avait repris ses petits mélanges. J'avais bien envie de lui reposer la même question.
-Et donc, toi, qu'est ce que tu cherches en me gardant ici?
-Oh, moi, eh bien disons que j'avais besoin de certaines connaissances...et de me changer les idées.
Elles se moquait vraiment de moi, ma parole. Enfin, ce n'était pas grave, et puis c'était assez amusant. Nous restions tout les deux évasifs sur nos motivations, et nous avions chacun besoin de l'autre pour arriver à nos fins. Personnellement, il me fallait juste son accréditation et son badge pour regler mon problème. J'avais déjà accès à la plupart des informations, celles sur papier, mais nombre de documents numeriques m'étaient cachés.
-En fait, pour être honnête, le grand lieutenant m'a demandé de te tenir à l'oeil. L'affaire concernant le garde civil retrouvé mort ce soir-là plane toujours au dessus de ta tête, donc tiens toi tranquille et tout devrait aller.
C'était uniquement pour ça? Non, je n'en croyais pas un mot. Bien entendu que ce bureaucrate de militaire voulait me garder sous surveillance, c'était tout à fait normal. J'allais devoir trouver un échappatoire vite fait si je ne voulais pas finir dans une des charmantes cellules de la garde. Mais elle voulait autre chose de moi. Elle avait besoin de moi pour quelque chose. Effrayant.
-Acétate de plomb, Dioxyde de soufre, Sels fulminates.
Je retournai vivement la tête vers elle. Eolia se tenait au dessus du produit en préparation, toujours sur le feu, à remuer les sels au fond à l'aide d'une petite spatule. Mais elle avait l'air bien plus méfiante et pensante que d'habitude. J'étais assez surpris de l'entendre énoncer à haute voix la liste des ingrédients de ce poison, j'aurais plutôt pensé qu'elle tenterait de finir ce travail au plus vite et de passer à autre chose.
-Tu vois, Dieter, j'ai étudié pendant six ans à l'EDL dans la section Sciences Herbologiques et Chimiques. C'était la section dans laquelle le bourrage de crâne politique était le moins intense, et celui qui m'interessait le plus. Autant te dire que jai non seulement l'esprit plus clair que la majorité des membres de cette armée, mais que j'ai aussi des connaissances très poussées en ce qui concerne les poisons...et les armes chimiques.
Elle avait dit tout cela en me fixant droit dans les yeux. Je commençais à être très intéréssé par ce qu'elle disait : peut-être l'avais-je mal jugée dès le départ. Je la prenais pour une militaire tout ce qu'il y a de plus idiote, bonne à appliquer les ordres et à tuer des innocents sans le moindre état d'âme. Or, je me rendis compte qu'elle avait peut-être assez de matière grise pour discuter les ordres de ses superieurs. Bonne nouvelle, ça.
-Depuis que je travaille ici, soit environ quatre ans, on m'a demandé de préparer toutes sortes de mixtures, de solutions, de nouveaux explosifs. Des produits toujours plus puissants, plus explosifs. Mais aujourd'hui...
je pouvais, de là où j'étais, voir que ses yeux commençaient à briller. Qu'essayait-elle de me dire?
-...mais aujourd'hui, c'est différent. Dans les quantités où nous les avons mélangés, associés à des sels fulminates hautement explosifs et soumis à des radiations straboniennes spécifiques, je me rends compte que ce que nous avons préparé est plus qu'une simple arme au chlore.
Elle me montra un tube à essai dans lequel reposait la préparation, ou du moins une partie.
-Ce produit est explosif et très volatile. Actuellement, il est stable car non irradié, mais une fois enfermé dans une mine ou une bombe et soumis à des rayonnement energetiques constants, il risque de causer la mort de centaines, voir de milliers d'êtres vivants en même temps sur une très large zone.
A peine eut-elle le temps de terminer sa phrase qu'une lumière orangée teinta la salle. Par le sas, trois personnes intégralement couvertes de blanc entrèrent et vinrent récuperer le produit qu'Eolia et moi venions de terminer. Ils placèrent le liquide dans une autre fiole, hermétiquement fermée, elle même recouverte d'un tissu blanc. En quelques minutes seulement, les hommes étaient repartis comme ils étaient venus, avec le poison. Celui ci allait probablement finir sur une étagère, dans la chambre froide. Il reposerait là en attendant sa production industrielle, et son utilisation.
Eolia et moi n'eûmes plus qu'à nettoyer et à ranger verrerie et produits, avant de repasser par le sas de sécurité, sans un mot de plus concernant le poison. Nous repassâmes par les vestiaires, reprîmes nos habits dans un silence plutôt pesant. Le retour se fit très rapidemment, calmement. En trois minutes, nous étions de retour devant la grande salle. Mais alors que nous allions y rentrer, Eolia m'aggrippa par la manche. Je me retournai, et m'approchai d'elle.
-Ecoute, concernant tout ce qu'on a dit à l'interieur de ce laboratoire...j'aimerais que tu gardes tout ça secret. C'est pas des trucs dont on peut parler à n'importe qui, n'importe quand. La plupart des membres du groupe executent les ordres sans discuter. Si je t'en ai parlé, et je n'en ai jamais parlé à personne, c'est uniquement parce que je pense que toi non plus tu n'es pas un stupide soldat lobotomisé. C'est une des raisons pour laquelle je t'ai gardé. Tu n'es pas passé par l'EDL, ton esprit est au moins aussi clair que le mien, si ce n'est plus. Compris?
Je prenai la main qui m'avait attrapé et la serrait dans les miennes, comme pour la rassurer. Elle leva les yeux vers moi, le regard empli d'un mélange de confiance et de stress. J'avais désormais une alliée, plutôt innatendue certes, mais qui me serait très utile plus tard. Pour le moment, l'objectif était de la pousser à toujours plus de confidences et à toujours plus de naïveté à mon égard.
-Rien de ce que tu m'as dit ne sortira de cette salle, Eolia, crois moi sur parole.
Elle me gratifia d'un très leger sourire, presque imperceptible, puis nous rentrâmes comme si de rien n'était dans la salle de contrôle.
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