Chapitre IX, Partie 4 : Aux portes du savoir
Cela dura une fraction de secondes. Ce que le jeune garçon avait entendu ressemblait plus, après reflexion, à un grincement de porte qu'à autre chose. Dans cette direction, Dieter le savait, se trouvaient les bureaux des officiers supérieurs. Celui du grand-lieutenant Tadéo s'y trouvait, mais dans cette portion particulière de l'édifice travaillaient plus particulièrement les envoyés spéciaux du général démocrate de la ville, Parkov.
La hierarchie militaire de ce pays était organisé, depuis la révolution, de manière pyramidale. Chacune des neuf villes du pays était dirigée par un "général démocrate". C'était un titre un peu pompeux, derrière lequel se cachait un militaire qui organisait les opérations militaires menées par la cité. Or, le général démocrate Parkov, en tant que chargé de mission à Quantopolis, capitale de la république, était de loin celui qui avait le plus d'influence. Tout militaire lui était entièrement soumis. Au dessus de lui, on ne trouvait que le général des armées Kobe, son représentant spécial ainsi que le président de la démocratie. Un pouvoir pyramidal, donc.
C'est pourquoi le groupe EXODUS, à la charge de Tadéo, était le siège de représentants du général Parkov. Ils veillaient au bon déroulement des opérations.
Mais Dieter s'étonna tout de même qu'un de ces représentants fût encore présent à cette heure-là. Ils étaient peut-être de hauts fonctionnaires de l'armée, mais ils restaient des grattes papiers : ils arrivaient après les autres, et partaient avant. Il baissa donc sa lampe torche, plutôt rassuré. Il jeta un coup d'oeil furtif à sa montre. Celle-ci indiquait maintenant presque dix heures du soir. Dieter souffla. Il hésitait à repartir et aller se coucher, mais la souris traînait toujours dans le coin. Il ne pouvait décemment pas la laisser courir dans les couloirs du groupe toute la nuit. Il continua donc sa petite enquête nocturne.
Il passa à pas feutrés devant le bureau dont la porte s'était ouverte. De la lumière en sortait, et des voix, des chuchottements s'y faisaient entendre. Mais une fois qu'il eut passé la pièce occupée, il s'arrêta, comme retenu par ce qu'il venait d'entendre.
-Ecoutez, vous savez que nous ne pouvons pas avoir l'oeil sur tout et tout le monde...
-J'aimerais que vous vous rapelliez notre contrat, mon ami. Nous n'entreprendrons rien avant d'avoir eu ce que nous voulons. C'est bien clair?
Dieter regarda discrètement à l'interieur de la pièce. Il s'agissait, somme toute d'un bureau très standard, avec un secrétaire, une armoire, une horloge et trois fauteuils contre les murs. Sur la chaise principale, un homme en costume était assis, et en face de lui se trouvait un autre personnage. Seulement, celui-ci était capé. Il semblait être assuré, et dominait clairement la discussion. Le fonctionnaire, probablement un de ces représentants du général démocrate, suait à grosses gouttes et gardait les yeux baissés sur sa lampe de bureau. Tout cela était assez tendu.
-Oui, je sais monsieur.
-Bien. Voici donc vos nouveaux ordres. Je ne fais que transmettre, je ne les connais pas moi-même.
L'homme capé tendit à l'autre une enveloppe en papier kraft, agraffée, et frappée d'un sceau que Dieter n'eut pas le temps d'apercevoir. Il essaya de se mettre debout pour voir le visage du mysterieux homme, mais les jeux d'ombres et de lumières ne le permettaient pas. Il se repositionna donc derrière le battant de la porte, l'oreille à l'affût. Qui savait, peut-être entendrait-il des choses intéressantes au sujet de ce qu'il cherchait.
-...pour le garçon. Il est impératif que vous le surveilliez de très près. On ne peut pas lui faire confiance. Il pourrait se réveler dangereux. On sait parfaitement ce qu'il entreprend de faire.
Dieter écarquilla les yeux : un garçon à qui ils ne pouvaient faire confiance et à surveiller? Se pouvait-il qu'ils fussent en train de parler de lui?
C'était impossible, se rassura-t-il comme il put. Cela aurait signifié qu'ils connaissaient son identité, pourtant secrète. Ces gens, quels qu'ils étaient, étaient-ils au courant de l'existence du prince disparu? Peut-être étaient-ils au courant des rumeurs qui couraient au sujet de ce petit garçon disparu durant la révolution. Peut-être qu'ils avaient voulu lancer des recherches pour le trouver. Des impérialistes cachés au sein de l'armée? Cela aurait expliqué la cape, ils n'étaient vraiment pas bien vus, et même carrément pourchassés. Oui, cela faisait sens pour le garçon à la chevelure brune : cet homme cherchait des indices sur le prince égaré ! Et le fonctionnaire avait chargé Tadéo de le placer sous étroite surveillance !
Certaines choses ne concordaient pas tout à fait, mais il prendrait le temps d'y réflechir à tête reposée. Pour l'heure, il cherchait à glaner toutes les informayions dont il pourrait avoir besoin à l'avenir. Quand on était une taupe, il fallai savoir se faire discret et selectionner ce qu'il nous fallait !
-Vous devez avoir des informations pour nous, je me trompe?
-Euh...oui, oui, tout à fait. Tenez, voici ce que vous cherchiez.
Le bureaucrate tendit d'une main tremblante une nouvelle enveloppe à son interlocuteur. Celui-ci la saisit rapidemment, et dans la volée, l'enfourna dans sa poche interieure.
-La bibliothèque de Quantopolis recèle décidemment pas mal de secrets. Nous nous y rendrons nous-même en temps voulus.
Dieter poussa un petit cri, mais plaqua très vite sa main sur sa bouche pour ne pas se faire repérer : la bibliothèque centrale de Quantopolis, bien évidemment ! Comment avait-il pu ne pas y penser plus tôt ! Il était déjà allé là-bas pour y faire des fouilles, quelques décennies auparavant, mais seulement dans les documents accessibles à tous. Ce batîment contenait également des papiers anciens et cachés aux yeux du grand public. Peut-être y trouverait-il quelque chose d'interessant...
-Mais...
C'était l'homme en costume qui avait parlé. Il tenta de poser une question à l'homme capé, plus concentré sur une autre enveloppe scéllée que sur le militaire.
-Mais...vous m'avez parlé des sept...posent-ils toujours un problème?
-Tatata...n'imaginez pas que votre position actuelle vous donne le droit d'en savoir d'avantage. Je dois partir maintenant. Tâchez de faire ce pourquoi vous êtes là. D'autres viendront vous voir.
Sur ce paroles, il se retourna vers la porte, en prenant bien soin de cacher son visage sous cette épaisse capuche. Dieter s'écarta rapidemment, mais discrètement du cadrant de la porte, dans l'ombre du corridor. La silhouette sortit, sans bruits. Il regarda à gauche et à droite. Dieter ne savait pas qui se cachait sous ces vêtements, mais il espérait qu'il -ou bien elle- ne viendrait pas dans sa direction. Sans un bruit, la personne prit le couloir opposé et disparut dans la noirceur de la nuit. Dieter ne vit même pas ses jambes porter son corps. L'impression qu'elle lui laissait était pour le moins étrange, vaporeuse.
Mais peu lui importait, au final. Il avait des informations toutes fraîches à mettre en application. Sa prochaine cible serait donc la bibliothèque centrale de Quantopolis, et plus précisemment les bas-fonds. Sous contrôle direct du ministère de l'interieur, peut-être que cet endroit recelait encore plus d'informations que les archives d'EXODUS. Peut-être n'aurait-il finalement pas besoin de rester un chien de l'armée trop longtemps.
Il fallait simplement qu'il récupère un peu de matériel par-ci, par-là avant de partir. Son sabre, déjà, et peut-être quelques fournitures médicales et quelques produits chimiques. On a toujours besoin d'un peu d'acide.
Il descendit ainsi les marches d'escaliers quatre par quatre, reprit les mêmes corridors qui l'avaient mené jusqu'à ce bureau, non sans mal.
Il parvint au hall principal, désormais presque aussi sombre que le reste de l'édifice. Quelques lampadaires répandaient leur lumière bleue dans toute la rue, à travers les grandes baies vitrées du siège d'EXODUS. Il sortit à nouveau sa lampe mais, sans doute par manque de batterie, celle-ci refusa de s'allumer. Dieter donna quelques coups dessus, sans succès.
-Rhhaaa, c'est dingue ça. Allume toi...
-Un problème d'allumage, Diet?
Le jeune prince sursauta et recula d'un pas. Tadéo se tenait juste devant lui, une lampe torche à la main, et celle ci bien fonctionnelle. Il lui éblouissait le visage et se tenait là, l'air souriant, comme s'il venait de prendre Dieter la main dans le sac. Dans quel sac, il ne savait pas encore trop lequel, mais ce rictus sur le visage de son superieur ne lui plaisait pas du tout.
-Vous m'avez fait peur, monsieur. Evitez de me faire sursauter, je suis légèrement cardiaque.
-Oh mais je n'en doute pas une seconde, mon petit. Viens avec moi, tu tombes très bien.
-Où ça, demanda Dieter d'un air inquiet ?
-Un petit débriefing avec l'enquêteur Boisclair.
-Encore??! Ah non, ça commence à bien faire vos petites magouilles de politiciens ! Je suis presque sûr que j'ai le droit de refuser...
-Un SDF n'a aucun droit. Tu viens avec moi, un point c'est tout. On a des questions pour toi.
-Dîtes plutôt que vous avez des accusations injustifiées à porter... je commence à vous connaître vous et votre oncle...
-Fais bien attention quand tu parles de tonton. Oh, et puis qu'est-ce que je m'embête à parler à un sale gosse ?
Tadéo se saisissa brusquement du col de chemise de Dieter et le tira vers lui. Le jeune garçon chuta lourdement sur le sol, et sa lampe roula jusqu'à rencontrer le bureau du secrétariat d'accueil. Il pensa à se débattre, mais il savait que face à un militaire surentraîné, et qui plus est ancien de la guerre contre la CMO, il ne pouvait pas grand chose. Il laissa alors tomber ses bras ballants, et se dit qu'il vallait mieux pour le moment se laisser traîner par son superieur. Après tout, la bibliothèque n'allait pas s'envoler dans la nuit...
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