Chapitre X, Partie 2 : Impasse
Un vague sentiment de crainte parcourut Dieter, de la tête à la plante des pieds. L'armée semblait avoir de nouvelles pièces contre lui, de nouveaux éléments à charge. Il gardait confiance en ses capacités de dissimulation, mais c'est avec apréhension qu'il ouvrit cette partie là de son dossier.
Mais ses peurs se révélèrent plus ou moins infondées. Il ne s'y trouvait, à l'interieur, que quelques malheureux rapports. En y regardant de plus près, Dieter y découvrit un témoignage, un échantillon de tissus noir ainsi qu'une douille. Ce fut celle-ci que le prince reconnut tout d'abord : il s'agissait, et il en était sûr, d'une douille du canon de son arme. La dimension, la composition chimique de la coque et les quelques inscriptions ne faisaient aucun doute. Mais l'arme que Dieter possédait de son père, et qu'il gardait si précieusement, n'était plus en fabrication depuis des siècles. Ce genre d'armement avait été conçu pour l'armée impériale, et ce sabre là était unique au monde car transmis dans la famille impériale même. Aucune chance, donc, que l'enquête ne trouve quoique ce soit sur cette douille.
Le bout de tissus noir, lui, était clairement un morceau d'uniforme de la garde. Quand au témoignage, il ne suffit à Dieter que d'une petite minute pour comprendre que rien là dedans ne le mettait en cause. C'est avec le sourire qu'il referma les soi-disant "pièces à conviction". Il n'y avait rien du tout là dedans. Tout ce qu'il avait à craindre, c'était les analyses sanguines. Son ADN était bien entendu enregistré dans les bases républicaines. Même s'il était censé être mort depuis des centaines d'années, beaucoup feraient vite le rapprochement. Dans tout les cas, il serait inculpé de meurtre, s'il ne se retrouvait pas sur une table de dissection.
Dieter soupçonna Boisclair d'avoir voulu lui la faire à l'envers : sans doute espérait-il que, effrayé par de nouvelles preuves concordantes, Dieter ferait un faux pas qui mènerait à sa perte. On avait dit au jeune brun que "la Chouette" était une vipère, il méritait bien son surnom d'oiseau de proie. Toujours à l'affût d'une marmotte ou d'une autre petite créature, il épiait le monde de ses yeux acérés et fondait sur ses victimes avec la vitesse de l'éclair. Certes, Thérésin de Boisclair était myope comme une taupe, et ses articulations ne lui permettaient plus de faire des accélérations fulgurantes. Mais il faisait toujours très peur, car son esprit lui n'avait pas pris une année.
Il se renfonça dans le moelleux du bois de sa chaise, la tête posée lourdement sur le dossier et les yeux fermés. Il entra dans une intense reflexion, cherchant comment agir rapidemment et sans faire de vagues. Il n'était resté ici que trop longtemps. La bibliothèque centrale et ses archives l'attendait, là bas, dehors. Lui n'avait qu'une seule envie : s'y rendre, fouiller de partout. Retourner les meubles, détapisser les murs, dégonder les portes s'il le fallait. Pas seulement celles de la bibliothèque, d'ailleurs.
Il était là depuis quelques jours, quand il avait sauvé Eiolia d'une tentative de meurtre, malgré lui. C'avait été comme si une pulsion soudaine s'était emparée de lui à cet instant précis. Une envie de jouer les héros, peut-être, ou simplement le fait qu'il était alors dans le feu de l'action. Ca n'avait plus d'importance pour lui, pour quelles obscures raisons son corps s'était mis à se déplacer sans demander la permission au cerveau. Il l'avait fait, il était là. Cet acte l'avait mené ici, après un court passage au commandement du groupe EXODUS.
Il ne s'en était pas plaint durant la petite semaine qu'il avait passé auprès de Marty, Eolia, Sélena, Alicia et Will. Tous étaient très sympathiques, à l'exception du dernier, et rester avec eux lui avait ouvert les portes des archives d'EXODUS au grand complet. Il avait pu fouiller le peu d'archives papier qui s'y trouvaient, le reste étant à la bibliothèque, et il leur restait tous les documents numériques. Il y accèderait en temps voulus.
Mais désormais, pour lui, la situation était un peu différente. Il s'était fait passer pour celui qui trouva Eolia après sa tentative de meurtre. On trouvait, ensuite, les cadavres des gardes qu'il avait tués, et l'enquête était tout naturellement ouverte. Il était devenu le suspect N°1, mais aucune preuve suffisante pour le faire inculper n'avait été apportée. Il jouait avec le feu, à railler le grand lieutenant Tadéo et l'armée. Il avait fait le malin.
Maintenant, l'étau se resserait, et il serait définitivement coincé quand les analyses ADN seraient terminées. Elles ne tarderaient pas à arriver, et on viendrait prendre le sien pour comparaison. Quand le lien serait fait, il serait arrêté, jugé et probablement condamné à mort.
Il jouait son secret sur ce coup-là, et rester à EXODUS s'avérait plus dangereux que prévu.
Il jeta donc un coup d'oeil à sa petite montre : Tadéo disait être parti pour deux heures, mais il serait sûrement revenu après une heure pour le duper. Ou pas. Peut-être était-il trop sûr de lui pour jouer ce coup-là. Mais s'il le laissait seul avec les pièces, cela voudrait dire qu'il reviendrait plus tôt que prévu...
-Aaaargh, arrête de réflechir comme ça toi !
Il se donna un grand coup de paume sur le côté droit de la tête. Il décida de partir pour la bibliothèque, en pariant que l'incident de Boisclair retienne bien le grand lieutenant durant deux bonnes heures. La caméra le surveillait toujours, mais il avait des connaissances en informatique. Il se plaça dans un angle mort, trifouilla quelques câbles dans la caméra et redescendit assez vite : il venait de faire défiler en boucle les mêmes images de lui assis sur sa chaise. S'il revenait sans être vu, personne ne pourrait l'accuser d'être parti et d'avoir pénétré illégalement dans la bibliothèque centrale de Quantopolis.
Il plaça ses deux poings sur ses hanches, satisfait du résultat. Il rit même, doucement pour ne pas attirer l'attention de l'exterieur, mais de bon coeur quand même.
-Oups, pardon, dit-il en posant une main sur sa bouche. On va éviter de crier victoire trop vite. Si je me loupe et qu'on me voit chercher certaines choses, c'est comme si j'avais avoué.
Il se tourna vers la porte. Elle était fermée à clef, mais peu de choses resistaient aux doigts agiles et à l'intelligence habile du dernier prince lazarien. Il secoua donc la porte qui, comme il s'en était douté en entendant Tadéo la fermer, avait du jeu. Un coup vers le haut, un coup vers le bas, et il était libre de sortir et d'aller où il voulait.
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