4 - Aux Portes de l'Ancien Village

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  Les portes du village retentirent dans les tréfonds de la forêt, où rôdaient les entités damnées. Le jour déclinait lentement, le crépuscule peignant le paysage de teintes orangées et pourpres. Après avoir scruté les agissements humains, des doutes profonds m'envahirent. Les hommes m'apparurent perfides, des âmes égarées ne pensant qu'à leurs envies tandis que les créatures tuaient pour survivre.

Une brise légère agitait les feuilles des arbres, diffusant un parfum de terre humide et de mystère. La forêt gigantesque, avec ses ombres profondes et sa magnificence, m'attirait autant qu'elle m'horrifiait. Les silhouettes des arbres dansaient dans la lumière déclinante, créant un jeu de clair-obscur fascinant et inquiétant. Le calme régnait à l'horizon. J'entendais encore, faiblement, le bruit du village, un murmure lointain se mêlant aux chuchotements des feuilles. Mais à qui appartenait ce "nous" avec lequel j'avais rendez-vous? Ma mère serait-elle là ? Avec le chef ?

Je m'assis en tailleur, ouvris le petit sac en lin et contemplai avec stupéfaction son contenu : le couteau de mon père. Sa lame scintillait faiblement dans la lumière du crépuscule, vestige de sa présence et de sa force. Le chef du village m'avait confié cette arme, qui insufflait en moi le courage nécessaire pour avancer. Il y avait aussi une gourde et quelques morceaux de pain. Je me précipitai sur l'eau ; cela faisait presque une journée entière que je n'avais pas bu. Ma gorge irritée me brûlait à chaque gorgée, le goût amer du sang rendant l'expérience encore plus pénible. Chaque goutte semblait griffer ma gorge en feu, mais je vidai entièrement la gourde, réservant la nourriture pour plus tard.

Agrippant d'une main mon couteau, le serrant contre mon cœur de toutes mes forces, et de l'autre, je tenais fermement une branche à laquelle était accroché le tissu de lin. Terrifié, j'avançais, bien que par moments je m'arrêtais pour contempler la beauté de la nature qui m'entourait. Des arbres gigantesques, feuillus et aux couleurs riches, émergeaient ici et là. Leurs branches entrelacées formaient une voûte majestueuse au-dessus de ma tête, filtrant les dernières lueurs du jour.

Les murmures de la forêt, amplifiés par le silence crépusculaire, éveillaient en moi un sentiment de vigilance accrue. Mais cette sensation d'être épié ne me quittait pas. Le calme, si apaisant en temps normal, devenait sinistre dans ce décor qui s'offrait à moi. Chaque craquement de branche, chaque souffle de vent me faisait sursauter. Des ombres furtives glissaient entre les troncs, semblables à des spectres éphémères. Le bruissement des feuilles ressemblait à des murmures conspirateurs. L'air était imprégné d'une tension palpable, alourdissant chacun de mes pas. Malgré la terreur qui nouait mon ventre, je poursuivais ma progression, mes yeux capturant la beauté sauvage qui m'entourait, un contraste saisissant avec la peur qui m'assaillait.

Je remontai les sentiers escarpés jusqu’à la source. La nature, enveloppée d'un silence oppressant, déployait une splendeur insoupçonnée. Chaque recoin semblait receler des mystères insondables, et chaque frisson de vent électrisait mes nerfs. De petites créatures étranges croisèrent ma route, émanant d'un univers parallèle aux règles mystérieuses. Elles observaient mes mouvements avec une vigilance curieuse, leurs yeux brillants d'une lueur intrigante. Je pris soin de ne pas les perturber, et tout se passa sans encombre.

J'aperçus enfin le bout du ruisseau. L’eau, claire scintillait sous les derniers rayons du soleil, semblant m'inviter. Je m'approchai doucement, mes pas résonnant sur les cailloux polis qui bordaient le cours d'eau, mes sens en alerte, prêts à toute éventualité. Épuisé, mes membres alourdis par l'effort, je glissai maladroitement dans l’eau. Me relevant ruisselant, je ressentis néanmoins une fraîcheur revigorante envahir mon corps épuisé. Mes vêtements et la nourriture du vieux chef, emportés dans ma chute, furent également trempés. Les morceaux de pain s’étaient imbibés d'eau . Avant qu'il ne soit trop tard, je dévorai ce qui restait de pain. Il n'avait plus de goût, mais m'apporta néanmoins un peu de force. Une marre rougeâtre s'éloigna de moi, témoin de l’horrible journée passée. Profitant de l'occasion, je lavai mes vêtements que je disposai soigneusement sur les pierres. Après un court moment, l'eau redevint translucide, révélant les fonds sablonneux et quelques petits poissons jouant à cache-cache entre les pierres. De temps à autre, ils venaient m'effleurer le pied, chatouillant ma peau de leurs nageoires agiles, mais dès que j'essayai d'en attraper un, ils s'échappérent, glissant comme des ombres dans les reflets dansants à la surface. Ne maîtrisant pas l'art de la pêche, je laissai donc ces habitants aquatiques jouir de la tranquillité qu’ils méritaient. J'essayai de me détendre, laissant mon esprit vagabonder au gré du clapotis de l'eau et des chants d'oiseaux nocturnes. Un court instant, je me sentis léger sous la nuit tombante. Le clair de lune scintillait, les poissons passaient furtivement, leur présence fugace animant ce tableau paisible. Cependant, je n’étais guère serein et me sentais observé, chaque bruissement de feuillage semblant cacher un danger potentiel. La réalité me frappa : cela n'était que le commencement d'un long voyage semé d'embûches. Je devais me fortifier, pour l'honneur de mon père, dont je serrais le couteau contre mon cœur, pour mon engagement envers ma future bête de compagnie, et pour la mission confiée par le chef. Mes pensées se tournèrent intensément vers ma mère, mais ce sentiment d'abandon s'intensifiait. Cette douleur grandissante me poussait à découvrir la vérité avant d'explorer cette terre inconnue.

Les portes de l’ancien village se dressaient à proximité, leurs contours indistincts dans la pénombre croissante. Nu, je sortis de l’eau et récupérai mon bâton, y attachant mes vêtements trempés. Une fois mes souliers chaussés pour soulager mes pieds endoloris, je me dirigeai vers les vestiges du passé.

Les portes titanesques portaient les stigmates des assauts du temps et des batailles anciennes. Le bois, autrefois robuste et imposant, montrait désormais les ravages des années, avec ses veines noircies et ses fissures profondes. Le passé y avait laissé ses marques, quelques trous dispersés, trop étroits pour permettre le passage d'un homme. Des lierres grimpaient paresseusement le long des murs, leurs feuilles bruissant doucement dans la brise nocturne. Les ombres des arbres environnants dansaient sous la lueur pâle de la lune, formant un ballet silencieux et inquiétant. Malgré tout, une conviction ardente brûlait en moi : je devais survivre pour découvrir la raison de l'abandon de ma mère, et accomplir mon destin tragique. Sous les étoiles, témoins rares de ma détresse, scintillant faiblement au-dessus de moi, elle semblai me guider dans cette quête périlleuse.

Devais-je simplement patienter maintenant ? Et s'ils ne venaient jamais ? Attendre dans ce décor d'insécurité, armé seulement d'un couteau, m'emplissait d'une profonde angoisse. Je me blottis contre la grande porte d'entrée, serrant le couteau des deux mains, scrutant l'horizon à la recherche du moindre danger. Une envie de sommeil me tenaillait, mais l'angoisse m'en privait, et, étrangement, j'en étais presque reconnaissant, car tout était possible dans cette terre étrangère. Après quelques instants, une lueur apparut à travers les crevasses des remparts. Qui était-ce ? Le chef ou bien Trosp ? M'avaient-ils vu errer près des murs ? Des pensées sombres m'assaillirent de toutes parts, mais je les chassai et me mis à l'abri avec prudence.

Un retentissement tonitruant déchira le silence, gelant mon souffle dans ma poitrine. Deux silhouettes se dressaient fièrement, avançant avec une démarche feutrée. Elles franchirent les limites sacrées de l'ancien village, s'éloignant dans les ténèbres. Mon cœur battait la chamade à l'idée qu'une d'elles puisse être ma mère, mais cette lueur d'espoir s'éteignit brutalement dans une froideur implacable. Ce n'était autre que Travounn, le fils du chef, accompagné d'un mystérieux homme vêtu d'une robe de lin immaculée et d'une capuche soyeuse, dissimulant entièrement son visage. Reconnaître cet homme s'avérait ardu, mais sa posture trahissait son rang : Damce, notre chef respecté. Figé par le poids du chagrin, tel une vague déferlante, je m'avançai lentement vers eux, déterminé à arracher la vérité. Chaque pas me rapprochait inexorablement de la lumière obscure de la réalité.

Pourquoi avec son fils ? Quelle était la raison de cette rencontre ? Je ne comprenais pas. Mes espoirs, quant à eux, s'effondrèrent.

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