Rue de plaisance
Les grandes allées des banlieues paraissent bien froides parfois et ce n'est pas parce qu'on est en hiver et qu'il est tout juste six heures et demie du matin. Ce n'est pas non plus parce que la nuit a été courte, parce qu'on a fait l'amour une dernière fois avant de se quitter. Non, au-dessus de tout cela, c'est facile de passer au final. Non, ce qui rend le vent glacial, c'est juste le gouffre qui nous sépare entre nos deux humanités. Je n'attendais rien de ta part, ne t'inquiète pas pour cela. Quelque part, au fond de moi, j'avais prédit la fracture et je m'y attendais. Ça fait toujours mal, ce n'est pas pour minorer la douleur que je dis cela. C'est juste qu'on n'est plus surpris. Cela ne donne pas de réponse pour autant : c'est toujours le vide sidéral de ce côté-ci.
Je sais que tu croyais énormément en moi. Je sais que tu t'étais fait à l'idée de mes défauts, de mes silences ou de mes humeurs parfois sorties de nulle part. Je sais que tu t'étais dit que tout ceci n'était pas grave et que même si tu ne pigeais pas vraiment le pourquoi du comment, qu'un jour, tu saurais et que ce serait une raison de plus à ajouter comme le ciment de notre relation. Je sais. Tout le monde réfléchit comme cela. Tout le monde s'illusionne en se persuadant que la beauté triomphe sur la médiocrité de l'âme. Quelque part, on veut croire au rationnel dans un domaine d'où on le chasse au nom de la passion et de la beauté de l'âme elle-même. C'est romantique, ça nous emmène à des années-lumière de nos êtres, de notre quotidien : c'est presqu'un rêve qui tendrait à être accessible.
Tu m'as demandé d'être honnête. Tu m'as dit que tu voulais un peu plus que la franchise dont je te faisais preuve jour après jour. Tu m'as dit que tu voulais comprendre. La vérité : c'est que tu voulais croire que tu étais capable de comprendre. Tu aurais voulu me regarder dans les yeux et après un instant d'interdiction, avoir les yeux embués de cette compassion salvatrice qui vient nourrir et raviver les couleurs d'une affection en manque d'oxygène.
Je t'ai cru. J'ai été honnête et tu n'as rien compris.
*
Je le savais avant même que tu me le dises. Tu sais, les yeux d'une fille ne mentent jamais, surtout dans ces instants-là. S'il y en a certains qui ne le voient pas, ce n'est pas parce que ce n'est pas visible, ce n'est pas parce que la comédie est parfaite et que l'illusion devient réalité. Non. C'est juste que parfois, on préfère ne pas voir, différer l'instant parce qu'on n'est pas prêt ou parce qu'on veut pousser plus loin l'ignorance. Parce qu'on naît effrayé par tout ce qui nous entoure et qui n'est pas nous. Tu as attendu ce matin pour me le dire et tu t'es étonné de voir ma réaction. Elle ne cadrait pas avec celle que tu espérais alors tu m'as demandé : « Pourquoi ? Pourquoi ? ». Tu m'as dit que tu voulais savoir. Tu m'as dit que tu voulais comprendre.
Les gens n'acceptent pas les autres lorsqu'elles vivent avec leurs fantômes. Il faudrait oublier ou bien les taire. Je sais ce que cela représente pour toi, cette nouvelle. Je sais comment cela se grave dans ta chair, dans ta tête et que rien n'effacera jamais chaque minute qui accompagne cet événement. Je sais que tu aurais voulu de moi, un sourire, une expression de joie. Mais tu me demandes d'être honnête.
Je ne sais pas la décision que tu prendras au final. Je ne sais pas si tu m'appelleras pour me dire tout et son contraire à propos de l'avenir, de ce que tu souhaites, de ce que tu désires : la seule chose que je peux te dire est que ma réaction restera la même. Je ne suis pas indifférent, je sais juste comment les choses s'inscrivent dans ma tête. Je ne veux pas choisir pour éviter d'être déçu de ton choix. Je ne veux pas croire à l'idée d'être ce que le passé m'a toujours refusé d'être. Je ne veux pas espérer. Je veux vivre. Et si tu prends cela pour un manque d'engagement de ma part : je le reconnais, c'en est un. Je ne veux pas le ou la remplacer. J'ai déjà essayé. Je ne veux pas d'une situation où je l'aimerais plus que toi. Même sans que cela soit de mon sang, c'est une situation intenable et des pensées qui te reviennent chaque jour, chaque matin.
Fais ce que tu crois devoir faire et si c'est me mettre dehors, j'accepte.
Les grandes allées des banlieues paraissent bien froides parfois et ce n'est pas parce qu'on est en hiver et qu'il est tout juste six heures et demie du matin. Ce n'est pas non plus parce que la nuit a été courte, parce qu'on a fait l'amour une dernière fois avant de se quitter et que tu viens de m'annoncer que tu étais enceinte.
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