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Aucune idée du sujet du cour, Roman n’écoutait pas, il pensait à ses figurines laissées par terre dans sa chambre. Si son père voyait ça, il serait près à interrompre le cours pour les lui faire ranger dans l’immédiat. Le tableau noir se remplissait peu à peu, des chiffres dans tous les coins, des résultats qui n’ont aucun sens, des problèmes sans intérêts.
« Roman, vous n’êtes pas concentré.
— Ça ne m’intéresse pas. » La gouvernante fut outrée par cette réponse désobligeante. Une petite dame rondelette pour qui Roman n’avait pas grand intérêt, pourtant, Mademoiselle Cake était connu pour ses enseignements strictes. C’était le premier enfant de sa carrière qui lui faisait des difficultés. Évidement, elle en toucherait un mot au Docteur Devon.
Et justement, le voilà qui passait près des vitres de la salle de classe, dans le couloir. En voyant qu’il arrivait par ici, Roman retînt son souffle, il s'imaginait se faire gronder pour aller ranger ses jouets, quelle coïncidence. Lorsque son père frappa à la porte, la gouvernante alla ouvrir la porte avec agacement, décidément, on ne cesserait pas de perturber son cours.
Roman attendait avec appréhension qu’on lui tombe dessus, mais il n’en était rien. Son père et la gouvernante restaient discuter dans le couloir. Alors il se pencha légèrement en arrière sur sa chaise pour voir qui les accompagnait.
C’était le patient de la dernière fois.
Roman retint son souffle, cela faisait deux semaines qu’il avait oublié le regard triste de ce patient, le revoilà, bien debout, bien vivant. La curiosité du petit garçon n’était pas assez discrète, le patient tourna la tête dans sa direction, et le regarda au travers de la fenêtre.
Par rapport à la dernière fois, sur le siège des patients, il avait changé.
Évidemment il n’était plus aussi sale, il était bien habillé, ses cheveux propres et peut-être même coupés. Et son visage, il avait perdu une grande partie de sa tristesse. Ses beaux yeux verts ne ressemblaient à aucun autres et la teinte châtain de ses cheveux renvoyait de magnifiques reflets. C’était un beau jeune homme en apparence entre vingt et trente ans.
La discussion se termina assez rapidement, et en revenant, la gouvernante n’en toucha pas un seul mot à Roman, impossible de savoir ce qui venait de se dire. Le petit garçon regardait les deux hommes s’éloigner et disparaître du couloir.
« Au travail maintenant ! »
***
En général, les repas étaient assez silencieux, un désir de Madame Devon qui détestait le bruit et l’agitation. Tout le monde était réunis autour d’une immense table dans la salle à manger, elle aussi immense, et mangeait en regardant le fond de son assiette. Il arrivait que Monsieur Devon reçoive des invités, et alors ils parlaient affaires, travail, Roman n’y comprenant rien, ce n’était pas amusant. Au moins, il y avait quelques échanges.
Alors que tout le monde s’installait, Mademoiselle Cake, Monsieur et Madame Devon, Roman…
Quelqu’un d’autre prit place à la table. Le petit garçon retint son souffle, en face de lui, c’était le patient de Monsieur Devon qui venait de s’installer. Le cuisinier de la maison vint ajouter un couvert pour ce garçon silencieux. Il bougeait la tête comme si sa nuque était coincée, comme s’il y avait plusieurs roulements dans sa gorge, ou comme si sa tête vibrait. Roman ne put s’empêcher de croire que cette personne avait des rouages à la place du squelette.
Probablement vrai.
« Roman, veux-tu saluer notre invité de ce soir ? » demanda aimablement Monsieur Devon en pointant le nouvel arrivant de la main.
Le petit garçon eu tun doute, finalement, il hocha la tête et siffla un minuscule « bonjour ». En réponse, l’invité lui sourie en étirant ses lèvres de part et d’autres, bien que sincère, ça ne semblait pas très naturel.
« Désiré va vivre avec nous un petit moment, sois gentil avec lui.
— Oui papa. »
Roman ne pu s’empêcher de l’observer pendent tout le repas. Sa façon de manger était singulière, Désiré avait une certaine difficulté à tenir ses couverts, et ses doigts n’arrêtaient pas de craquer, de claquer comme pour décoincer chaque phalange. De plus, les quantités de nourriture qu’on lui avait servies était ridicules, Roman aurait pu engloutir le double, ou même le triple.
Pour le dessert, le cuisinier servit aux membres de la famille Devon un splendide morceau de fraisier, rose et brillant. La politesse retint Roman de se jeter dessus. Mademoiselle Cake, elle, ne pu rien avaler d'autre, elle ne mangea pas plus.
Quant à Désiré…
On lui servit un bol rempli d’un liquide noirâtre. Sa brillance était étrange. Personne ne réagit pendant un instant, et bientôt, le dégoût recouvrit les visages. Monsieur Devon s’appuya sur le dossier de sa chaise, baissant le regard, évitant celui de son patient.
Du malaise, en quantité.
« Ce n’est pas très ragoûtant, je suis désolé… mais tu te sentiras mieux après ça. C’est une huile de qualité, tes doigts cesseront de claquer. Fais-moi confiance. »
Désiré observait le bol d’huile, les mains sous la table, Roman voyait sa poitrine se soulever plus fort, et soudain, la pluie sur son visage.
Tout en silence, c’était dérangeant. Tout en silence, Désiré but l’intégralité du bol d’huile.
Monsieur Devon regrettait sans doute d’avoir invité son patient à rejoindre le dîner, c’était encore trop tôt. Il pensait que l’entourer d’une famille pour manger lui remontrait le moral. Les larmes de Désiré ne lui provoquaient qu’une colère monstrueuse, envers lui-même, envers tout et rien à la fois, mais absolument pas envers son pauvre patient.
Le bol était vide et posé au centre de l’assiette. Mademoiselle Cake quitta la table sans un mot, Madame Devon alluma une cigarette, et se fit immédiatement réprimander par son mari. C’était une dispute discrète qui débutait, la présence de Roman qui atténuait les choses, jusqu’à ce que son père lui demande de quitter la table.
« Roman, va dans ta chambre s’il te plait. »
La chaise grinça sur le sol, Madame Devon détestait ça, mais cette fois, elle ne dit rien.
Une fois dans sa chambre, Roman ne se sentait pas très bien. Le diner de ce soir avait le même goût que l’huile noire que Désiré a entièrement ingéré. L'enfant s’était mis en pyjama tout de suite, s’était lavé les dents, et s’était sagement allongé dans son lit. Personne n’était venu lui souhaiter une bonne nuit, et sa chambre avait une allure angoissante jusqu’au matin.
Le lendemain, Désiré était introuvable, et personne ne parla de lui. Roman préféra ne pas poser de question. Il finirait sans doute par oublier cette personne bizarre après deux semaines.
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