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Les pavés sont humides, et procurent de jolis reflets sur le sol. L’image du ciel sur la terre, Désiré se dit qu’il pourrait croire au fait de marcher sur le ciel. Dommage que les étoiles ne soient pas de la partie cette nuit, il aurait carrément l’impression de rêver.
Un autre bus passe et distribue des passants tous identiques. Des gens pressés, aigris et maussades. Même à une heure pareille le malheur se diffuse dans l’air. Le véhicule n’à pas eu le temps de couper le moteur qu’il repart déjà, laissant une traînée grise derrière lui qui fait tousser Roman.
« Celui-ci est bondé, comme tous les précédents. On arrivera jamais à s’infiltrer avec tout ce monde. » explique t-il en s’appuyant contre la paroi de la petite infrastructure.
Ils ont l’air d’avoir choisi une rue passante très prisée, même à une heure pareille, le monde afflue dans tous les sens. Et puis, cette avenue compte pas moins de cinq arrêts de bus pour elle seule. Avant de s’arrêter, ils ont pris grade à lire les plans du réseaux de transport en commun d’Ephice, mais aussi de se renseigner auprès des passants pour trouver une auberge où dormir. Une auberge pas très chère si possible… Alors évidement pour le bus, payer n’est pas une option.
Désiré est assis sur le banc en métal rouillé. Les extrémités de l’assise ont comme été rongées, dévorées par la corrosion régulière. Dans cette ville, l’eau s’infiltre dans les moindres recoins.
Le Réparé observe le reflet de son visage dans la flaque d’eau brillante qui est à ses pieds, se voir dans des couleurs mélangés et dans le bleu de la nuit à quelque chose de fascinant.
« Désiré, maintenant. » ordonne Roman en se ruant sur l’ouverture arrière du prochain bus à faire escale.
Ils se faufilent tous les deux entre les portes à peine ouverte, profitant de la foule pour se dissimuler. Roman observe le rétroviseur du conducteur, celui-ci ne les a pas vu, il ne surveille absolument aucun mouvement, aucun passagers de son véhicule. Son regard est terne et la fatigue fait sans doute partie de la mixture de ses pensées.
A l’intérieur, pas de quoi s’asseoir, en revanche, Désiré trouve un petit coin contre la fenêtre pour s’appuyer et faire cesser les cliquetis incessants de sa nuque. Le morceau perdu est enfoncé dans la poche de son manteau, pendant tout le trajet, il sa serre dans la paume de sa main. Quant à Roman, il tient la barre horizontal du plafond pour rester debout, près de son compagnon.
Tous les sons on quelque chose de discret, pas une seule voix ne se prononce, pourtant, on entend aisément les frottements des vêtements, le moteur brumeux du bus, les tap tap des adolescentes sur leur téléphone, les percutions trop régulières de la musique qui s’échappe des écouteurs… C’est une manière d’apprendre le quotidien de tous ces habitants, même à vingt-deux heure, ils n’ont pas le courage de dormir. Leur méfiance est préférable au repos. Et lors de chaque arrêt, c’est un renouvellement de doutes et de suspicions.
L’air n’est jamais bon.
Désiré se sent étrangement bercé par tous les courants froids qui s’infiltrent lors de l’ouverture des portes. Tous les pas qui tapotent contre le sol pour trouver le placement idéal provoquent comme des frissons dans sa tête. La pluie salie percute délicatement la vitre qui se trouve juste derrière son crâne, des taches agréables qu’il voudrait expérimenter sur le bout métallique de ses doigts.
« On y va, c’est notre arrêt. »
Le réveil est un peu brutal, tant pis.
Roman est Désiré sortent du bus, en revanche ils ne sont pas suivis par des dizaines de personnes comme aux arrêts précédents. Ils ne sont que tous les deux, et se retrouvent dans une ruelles bien moins fréquentée, un lampadaire sur deux ne fonctionne seulement. Lorsque le véhicule s’en vas, Roman extirpe de sa poche deux portes-feuilles épais.
« Voilà ma récolte, et toi ? »
Désiré montre à son tour une petite pochette en cuire, le visage morose.
« Je sais que tu n’aimes pas faire ça, mais ça pourrait bien nous payer deux ou trois nuits. Et puis, n’oublie pas qu’on doit consulter un réparateur.
— Je n’oublie pas.
— Le vol est une pratique comme une autre. Du moment qu’on ne se fait pas prendre, rien n’est interdit. »
Cette marche est la dernière étape avant de pouvoir se reposer. Sur le chemin, Désiré porte une attention particulière à tous les commerces qui se trouvent sur chemin. Une bonne moitié est encore ouverte, en majorité des restaurants de rue, des bars ou des boutiques minuscules et secrètes. Les rues de ce quartiers ne sont pas linéaires, et leurs surfaces ne sont pas plates. Les deux voyageurs gravissent des marches en pierres et en béton de largeurs variables, et parfois, ils descendent des pentes abruptes. Si bien que lorsqu’ils arrivent devant l’auberge convoité, ils sont essoufflés.
Le bâtiment devant lequel ils se trouvent n’a rien de très attirant. Sa devanture est toutes rouillée, les vitres sont recouvertes de voilage blanc, et des dizaines de bouteilles d’alcool vides sont exposées sur le pas de l’entrée. La pluie dégrade des morceaux de papiers et de journaux étalés sur le pavage, ainsi que tous autre déchets, quoi qu’ils soient.
Roman presse la poignée sans la moindre vigilance
La lumière jaune agresse les regards. La salle de réception qui ressemble d’avantage à un bar est dans un état déplorable, elle est bordé par un semblant de salon avec du vieux mobilier. Le réceptionniste fait de son mieux pour expulser un homme ivre en train de pleurer, pendant que quelques personnes installées dans un canapé décoloré se moquent de lui. Il n’y a que cette fille qui fume dans un fauteuil qui observe les nouveaux arrivants.
Roman s’avance jusqu’au comptoir ou un autre réceptionniste vient à sa rencontre. Le reste du personnel est trop occupé à jeter dehors le pauvre homme saoul.
« Monsieur, que puis-je pour vous ?
— Nous voudrions une chambre, avec deux lits séparés. » demande Roman en posant les quelques billets récoltés sur le comptoir en bois pourrie. L’employer se met à sourire d’une façon malveillante.
« Quoi, c’est tout ? Il va falloir au moins le double si tu veux ne serait-ce qu’un seul lit.
— Pourquoi est-ce aussi cher ! »
Il n’a pas fallut beaucoup de temps avant de se faire remarquer, Désiré pense qu’il a eu raison de dissimuler son visage en dessous de sa capuche en entrant dans cet habitat.
« Et bien parce qu’on en est ville mon petit bonhomme. Tout se paye. Je ne sais pas de quelle campagne profonde tu viens pour penser que tu pourras louer une chambre pour deux avec seulement trente Eras. »
Presque l’ensemble des résidents qui se trouvent dans le salon rient de l’ignorance de Roman, ce qui ne lui plait pas du tout.
« Très bien… que puis-je avoir pour trente Eras ?
— Un bon verre de scotche et un allé simple pour les caniveaux, escorté par notre vigile. »
Les clients rient de nouveau. Dans les poches de Désiré se trouvent vingt Eras supplémentaires, mais il préfère ne pas réagir, l’humiliation est déjà conséquente. Roman songe à simplement quitter cette auberge, dormir dans la rue lui conviendrait mieux plutôt que de se reposer près de ces voleurs. Quelle ironie.
« On se tire.
— Attendez ! » les retient la fille du fauteuil. Elle se plie vers la table basse et écrase sa cigarette dans un cendrier en verre violet. Désiré observe ses collants déchirés et ses bottes en cuir noires. Ses semelles sont très abimées. Roman préfère regarder son visage de gamine et ses cheveux blonds mal attachés derrière sa tête en une ou deux couettes bancales.
« On ne va tout de même pas laisser ces deux monsieurs dormir dans la rue. Je vous propose un jeu. Si tu gagnes ma mise, tu aura suffisamment de quoi te payer une semaine dans la chambre qui te plaira.
— A quoi joue-t-on ? »
— Aux cartes. »
Avant de se prononcer, Roman jette un coup d’œil à con partenaire, Désiré n’affiche pas un visage très rassuré, il préfère garder le silence. Cette fille, elle a très bien remarqué la position qu’occupe le Réparé au saint de ce duo.
Alors que tout le monde les observe, ce jeu amuse particulièrement tous ces hommes qui ont l’air aisés et amateurs d’audacieux.
« Je joue. »
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