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Désiré observe les deux cartes qu’ils ont en face de lui, un neuf de carreau, et un valet de coeur. Dix neuf points en deux cartes est largement suffisant. Le Réparé possède la notion du hasard controlé, il ne tirera aucune autre carte.

Valory quant à elle, possède déjà un As. Lorsqu’elle retournera la carte face cachée, son As prendra la valeur la plus adéquat. Elle pourrait très bien avoir déjà gagné.

En ce qui concerne la mise, Désiré a fait le choix de ne pas tout poser, il a gardé cinquante Eras, en cas de nuit à la belle étoile, ils pourront tout de même s’acheter à manger. De plus, il possède toujours trente Eras restés dissimulés dans sa poche.

« Tu t’arrêtes ici ?

— Pourquoi le BlackJack ? »

Valory pose sa tête sur ses deux mains dont les doigts sont entre croisés. Ses mèches blondes ondulent sur ses épaules.

« Parce que tu aurais pu tricher à beaucoup d’autres jeux, du moment que tu pouvais porter les cartes entre tes doigts. J’ai le sentiment que les jeux qui te conviennent le mieux sont les jeux de hasard.

— Le hasard n’existe pas.

— Alors tu fonctionnes à la chance ?

— La chance se déclenche. »

Valory sent qu’elle est tombé sur son type de joueur préféré. Un sourire satisfait s’affiche lentement sur son jolie visage maquillé.

« Alors tu aurais triché.

— Non. »

Roman écoute très attentivement, il ne se sent plus très à l’aise sans pouvoir mettre des mots sur ce sentiment.

« Moi aussi j’ai une question qui me démange, pourquoi avoir conservé la structure brute de tes doigts ? D’ordinaire, les Réparés se cachent de leurs imperfections, toutes celles qui ne les rendent plus complètement humain. C’est un choix très surprenant, d’autant plus que recouvrir un simple revêtement métallique est plutôt simple aujourd’hui.

— Retourne ta carte.

— Pourquoi ? »

Tant qu’elle le fixe du regard, sa question ne concerne en aucun cas le jeu. Alors, Désiré répète.

« Retourne ta carte.

— Dis-moi pourquoi.

— Parce que je suis un Devon. »

La réaction des clients est presque de s’étouffer, autant pour ceux qui boivent, que ceux qui ont allumés une nouvelle cigarette. La croupière vient de perdre son sourire instantanément et recule d’un pas, les yeux grands ouverts. Roman se crispe, un vent froid lui enveloppe le visage.

« Désiré, putain ! »

Les hommes s’agitent dans le salon, et Désiré remarque que le réceptionniste s’est discrètement éclipsé pour aller composer une numéro sur le téléphone mural.

« Retourne ta carte. »

Valory ne fait pas durer plus longtemps le suspense. Elle révèle sa carte, un cinq de trèfle. Son as lui vaut donc dix points, ce qui lui totalise quinze points. Étant donné qu’elle n’atteint par dix-sept, elle se voit obligé de tirer une autre carte. C’est une reine de carreau qui brule son jeu.

Finalement, le résultat n’a plus aucune importance.

« C’est bon t’as gagné, maintenant on se tire vite d’ici ! » s’inquiète Roman en se recouvrant avec sa capuche.

Valory pousse la sommes totale de l’argent mise en jeu sur la table, elle croise les doigts de Désiré.

« Partir ? Hors de question ! Vous avez gagné suffisamment pour vous payer une chambre ici, laissez-moi vous y conduire. »

Roman n’a pas du tout envie de suivre cette fille qui pourrait leur faire n’importe quoi, comme tous les clients présents ce soir. Il essaie de tirer Désiré avec lui, mais celui-ci ne bouge pas. Le Réparé observe la croupière rassembler les cartes au centre de la table. Elle passe l’une d’elle proche des doigts de Désiré, il est capable de lire le mot « confiance » qui est inscrit dessus, refléter à l’envers sur son métal.

« Nous devrions la suivre.

— Tu vas nous mettre encore plus dans la merde ! On sait pas qui c’est cette meuf.

— Je vous ai donné mon nom tout à l’heure, alors nous ne sommes plus des inconnues maintenant. »

Le visage joyeux de Valory énerve passablement Roman qui lui, ne se sent pas dans une situation très confortable. Elle les conduit jusqu’à une entrée qui donne sur un couloir noir jusque là. Allumer la lumière est presque dangereux étant donné le grésillement des néons au plafond. Leurs tintes jaunes agressent les yeux. Désiré est le premier à s’aventurer dans le corridor serré derrière la blonde, et Roman le suit de très près. Ils grimpent un escalier dont les marches sont très courtes, il est plus prudent de les monter deux par deux. En observant murs et les portes, les deux voyageurs remarquent qu’il manque des numéros, il y a à peine un instant ils croisaient la chambre douze, et en quelques marches plus haut, ils passent devant une pièce qui porte le deux cent trois. Ce bazar incontrôlable est du à un manque d’entretient et une négligence pendant la pose des numéros, on en voit certains qui sont échoués sur le carrelage.

Valory s’arrête au centre du couloir, il n’y a aucune fenêtre vers l’extérieur, Roman reste prudemment caché derrière son camarade.

« Bon, hors de questions qu’on dorme ici cette nuit, tous ces gars en bas, ils vont essayer de découper ton copain Réparé, ou essayer de le vendre, ou plein d’autres trucs horribles.

— Je suis au courant des risques, merci ! » s’énerve Roman.

« Alors voilà ce que je vous propose, pour cinquante Eras chacun, je vous invite à passer la nuit dans une planque sécurisé. Et pour cent de plus, je répare ton copain.

— Parce que tu es réparatrice maintenant ? Qu’est-ce qui me prouve que tu ne va pas essayer de l’ouvrir comme les autres ? »

Valory sort un porte carte en cuir d’une pochette accrochée à sa ceinture. Elle montre la carte et l’insigne en forme de croix qui figure dessus, accompagnée d’une photo de son visage.

« Docteur Iris Valory, j’ai réparé des tas et des tas de gens, et je t’assure que j’ai ma petite réputation à Ephice. Alors ? Deux cent Eras pour une nuit tranquille et les soins pour ton copain.

— grrr… très bien. »

Empilement satisfaite, Valory pousse la porte numéro deux cent sept, c’est une chambre utilisée de fille ou des vêtements traînent au sol, des sous-vêtements en particulier, qui mettent Roman très mal à l’aise.

La blonde rassemble le plus important de ses affaires qu’elle fourre dans un sac trop petit.

« On va passer par la fenêtre, j’espère que vous n’avez pas le vertige. Heureusement qu’il fait nuit, on aura plus de facilité à se faufiler dans la rue, par contre, la prochaine fois ne vous habillez pas en blanc si vous voulez vous faire discret. C’est… la base.

— Tu es docteur, pas styliste, merci de ne pas critiquer notre tenue quand on porte des vêtements aussi dépravés. » se vexe Roman.

« Je peux te garantir que mon style de pute se fait moins remarquer que la blancheur de ton manteau volé. » rit la blonde.

Elle ouvre en grand la fenêtre de la chambre qui n’est pas bien large, et invite ses deux nouveaux amis à se faufiler sur le toit. Seul le lampadaire qui se trouve à dix mètres les éclaire, et encore, celui-ci n’arrête pas de sauter toutes les dix secondes. Roman fixe ses pieds et avance lentement en se tenant aux tuiles qui ne sont franchement pas stables. Valory passe juste après lui, d’après son aisance, on devine facilement que c’est une experte. Désiré passe en dernier, et son goût pour le détail le pousse à refermer la fenêtre correctement derrière lui.

« Aller bonhomme, debout, très peu de personne sont morte en tombant de ce toit.

— Je ne suis pas suicidaire.

— N’importe qui ayant quelque chose à faire à Ephice est suicidaire. »

Avant qu’ils ne sautent le pas, Désiré retire son manteau et l’abandonne en dessous de la fenêtre. En dessous, il porte un pull noir aux manches retroussées, et son jean bleu n’a rien de spécial. En revanche, il est bien contant d’avoir choisis de garder cette paire de Rangers qui lui permettent toutes ces prouesses dangereuses.

Roman peine à laisser le sien, il se souvient de la difficulté avec laquelle ils ont du fuir après avoir volé ces manteau pendant une représentation théâtrale dans une grande ville de la région. Et puis, il fait froid, il pleut, il fait nuit…

La descente de ce toit ne se fait pas sans difficulté, les tuiles font du bruit, et plusieurs des hommes du salon se trouvent dans la rue en bas. Pour les éviter, Valory décide de faire le tour jusqu’à la façade arrière, où ils vont pouvoir sauter sur un autre bâtiment tout aussi en ruine que le précédent.

Le petit groupe s’éloigne sans mot, ils rejoignent une rue déserte ou le sol est enfin stable, pour le plus grand plaisir de Roman. Valory leur fait prendre de très étroits chemins, certains sont couverts, et presque tous plongés dans le noir. A première vue rien de rassurant pour les deux voyageurs, pourtant Désiré s’obstine à lui faire confiance.

Dix minutes se sont écoulées avant que la jeune femme ne se munisse d’un trousseau de clefs bien garni. Cette porte en bois est dans un piteux état, au bout d’une impasse toute aussi misérable. Cette ruelle partage seulement deux habitations, et d’après l’absence d’ouverture pour la seconde, on déduit que le logement est abandonné.

« Faites comme chez vous, laisser vos affaires sur le fauteuil, là, on rangera plus tard. » explique t’elle en jetant elle même sa veste sur un fauteuil recouvert de griffures.

l’intégralité de ce logement est dans le même état que ce pauvre fauteuil. Les murs sont dépeints et tachés, le sol jonché d’objets et de vêtements en tous genres, la table a mangé qui est en réalité une table basse, est envahi de pot de yaourt vides et de dizaines de cuillères.

Roman et Désiré ont franchement du mal à poser leur sac dans un endroit aussi sale, l’endroit le plus sûr reste encore cet horrible fauteuil. Roman y dépose son sac très délicatement, comme si ses affaires s’exposaient à une grave maladie encore inconnue.

« Suis-moi. »

Désiré n’hésite pas un seul instant avant de rejoindre Valory derrière cette porte en bois jaune.

Surprise.

Derrière cette porte, un grand atelier. Rangé et minutieusement propre, tout est en ordre, le jour et la nuit par rapport à ce désastreux séjour. La doctoresse enfile une blouse blanche impeccable et se lave les mains dans un lavabo en dessous d’une fenêtre aux volets fermés. Puis, d’une façon presque élégante, elle invite le Réparé à s’installer sur le siège des patient.

« Je m’occupe de ton copain, bonhomme, et ensuite je vous montrerai où vous allez dormir.

— Bonhomme… » se vexe Roman.

« Aller oust, j’ai une auscultation à faire. » souffle t’elle en enfilant des gants stérilisés.

Roman croise les bras, visiblement insatisfait de se faire jeter dehors comme ça. Mais surtout, se séparer de Désiré, même un court instant, ne le rassure pas du tout.

« Je peux très bien rester, je veux être sûr que tu ne lui vole rien.

— Écoute mon bonhomme, je tiens à la pudeur de mes patients, et pus ton copain est grand, il n’a pas besoin d’une nounou pour aller chez le médecin. Dehors maintenant. »

Valory pousse Roman vers l’extérieur et ferme brutalement la porte derrière lui. La dernière chose que le brun voit avant de se retrouver seul, c’est un sourire amusé de son compagnon.

« Pff… je suis pas ton bonhomme. »

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