Chapitre 8. ANTHONY
« Si vos intentions de découvrir la brune ne se limitent qu’à y goûter une fois… je vous suggère vivement de rester définitivement sur la blonde. »
Cette pitoyable menace déguisée me trotte dans la tête, de même que le reste des paroles de ce trou du cul de barman. Comme si j’avais besoin de ses conseils pour choper la petite serveuse. Et comme si une seule fois avec elle pourrait suffire à satisfaire tout ce que j’imagine et j’envisage. Il m’a gavé. J’aurai cette fille quand je l’aurai décidé.
Je m’engouffre dans ma voiture et claque la portière. Je n’ai pas envie de démarrer. Je suis frustré. J’avais envie de voir Cylia. Mais je ne me sens plus d’humeur suffisamment avenante pour le moment. Je me connais assez pour savoir qu’il vaut mieux éviter tant que je n’ai pas retrouvé toute ma sérénité.
J’ai attendu, patiemment, pendant plusieurs semaines, de voir si elle oserait aller au-delà de ses rougissements. Si elle serait capable de me donner son numéro, de me proposer un café en journée, ou autre chose. Mais non. Il faut croire qu’elle ne fait pas semblant d’être intimidée en ma présence. Ça me change des femmes joueuses, aguicheuses, sûres d’elles.
Je ne sais finalement pas grand-chose sur elle. Nos discussions sont très basiques et peu personnelles. Dans un environnement de travail, forcément… Son colocataire – je n’aime pas cette idée, même s’il est pédé – m’a donné presque plus d’informations sur elle que toutes nos petites discussions. Et il a confirmé mes impressions : femme timide, farouche et sensible, mais qui n’est pas indifférente à ma présence.
J’aime l’idée qu’une femme me respecte et m’admire, qu’elle m’adule et me craigne. Je prends plaisir à imaginer une compagne menant une vraie vie de sainte au grand jour, irréprochable et rangée, incorruptible et admirable en public. Et je caresse le fantasme de dévoyer cette même femme la nuit, de la débaucher et de la corrompre, d’en faire ma pute exclusive en privé.
Plus exactement, ce paradoxe m’obsède. Ce contraste me fait bander à la première occasion. Cette serveuse n’a pourtant rien d’exceptionnel au premier abord. Mais il y a un truc. Inexplicable. Je le sens. Pour peu qu’elle soit intéressante à découvrir d’avantage, elle pourrait bien correspondre à mes attentes. Cependant, par précaution, je freine des quatre fers mon emballement.
Il s’agirait de ne pas lui faire peur. Les envies qu’elle provoque en moi ne sont pas compatibles avec le stade de notre relation. Il m’est bien plus facile de me défouler sur la petite pute en attendant d’arriver au bout de mon projet. D’ailleurs à ce propos…
Je sors mon smartphone de ma poche et ouvre l’application de messagerie éphémère. Trop tard pour un rendez-vous ce soir, mais il me faut une séance demain pour calmer mes ardeurs. Même à l’heure du déjeuner, peu m’importe. Oui. Oui, c’est plus sage d’évacuer d’abord toute cette tension. J’aurai ensuite l’esprit plus clair pour réfléchir à la mise en œuvre – ou pas ! – de la seconde phase du plan.
A ma surprise, un message m’attend déjà. Je fronce les sourcils. Je le relis trois fois sans arriver à y croire :
XX
Mes services ne seront désormais plus disponibles.
Bonne continuation.
Qu’est-ce que ça veut dire ? C’est pourtant clair, mais je n’arrive pas à l’accepter. La petite pute me lâche ! Alors que mes besoins n’ont jamais été aussi pressants. Merde !
OK, j’admets que je ne suis pas tendre avec elle et que, ces derniers temps, je l’ai malmenée avec une intensité grandissante. Faut dire aussi qu’elle encaisse tellement bien… Et je la paye suffisamment cher, il me semble, pour jouir d’elle sans avoir à me soucier de son ressenti. Elle veut peut-être une rallonge, tout simplement.
Vous
Je suis prêt à payer +. Dites-moi votre prix.
Je me sens pris en otage, et j’ai horreur de ça. Mais si payer plus est la solution, alors banco. J’attends. Le message éphémère ne disparait pas comme il le ferait d’ordinaire si mon interlocutrice l’avait lu. A la place, un message d’erreur s’affiche : « Vous ne pouvez plus répondre à cette conversation car votre contact a supprimé son compte ».
Bordel. Je bloque devant mon écran redevenu vierge. Je suis dépité. Et encore, ça c’est un putain d’euphémisme. Je jette le smartphone sur le siège passager. Je passe mes mains dans mes cheveux en me massant le cuir chevelu pour calmer les fourmillements de frustration.
Il va falloir que je m’en trouve une autre. Mais celle-ci était parfaite pour l’usage que j’en avais. Quelques traits de ressemblance au niveau du visage, de la couleur des cheveux et des yeux. Et surtout une grande capacité à accepter sans broncher mes plus sévères excentricités. Elle était rôdée.
Prendre une nouvelle me coutera sûrement plus cher et me fera perdre un temps précieux en négociations et explications de ce que j’attends. Sans oublier le turn-over si elle ne tient pas la route et qu’il faut recommencer avec une autre. Je sens ma queue déclarer forfait rien qu’à l’idée de toute cette logistique à venir.
La pluie crépite lentement sur le pare-brise. Je reste songeur devant la devanture du McLeod – or sur fond bleu nuit – que j’aperçois au loin. Il est peut-être temps d’arrêter les conneries. La démission de la petite pute est probablement un signe. A un moment donné, il faut aller droit au but si on veut atteindre ses objectifs.
* * * * *
J’ai progressé dans mon plan. Depuis que je viens au bar, j’ai pu observer beaucoup de choses. Surtout depuis ma voiture, garée non loin, et qui m’a permis de voir à quels horaires finissait Cylia, quel véhicule elle utilisait, et surtout : où elle habite. Je pensais que son collègue barman était son voisin d’immeuble, vu qu’ils rentraient presque toujours ensemble.
J’ai constaté que les deux colocataires ne prenaient la voiture que les jours de pluie – nombreux, ces dernières semaines. Les soirs où le temps annoncé est acceptable, ils vont et viennent à pied. Je n’ai pas pu voir exactement le chemin, car il y a des zones exclusivement réservées aux piétons, et je préfère rester dans ma voiture, incognito. J’ai remarqué aussi que le mardi soir, le barman finit son service à 20h30. La petite serveuse rentre seule. Et à pied, qui plus est ! Car son coloc prend la voiture qu’ils se partagent. Ça ne me parait pas prudent pour une fille seule de se balader à une heure du matin dans la ville.
Aussi le mardi suivant, une semaine après que ce trou du cul de barman se soit senti obligé de se la jouer protecteur avec sa copine, je retourne au McLeod. Cela fait onze jours que je ne suis pas venu, et j’espère que Cylia s’est languie de mes visites régulières. Il est 23h30, pas de coloc en vue, et le temps s’annonce clément ce soir.
J’ai laissé la voiture au parking en périphérie sud de la ville et j’ai pris un taxi. J’aurais pu prendre le tram A, mais je ne supporte pas les transports en commun. Cette promiscuité forcée, avec des gens de tous bords, me déplait. Je n’aime pas respirer le même air confiné et vicié que les autres dans une boite de conserve de quarante-cinq mètres de long.
La voilà. Avec sa queue de cheval haute, ses grands yeux noisette et son t-shirt bleu nuit moulant. Sa tête se tourne vers la porte dès que je la franchis. Son visage s’illumine puis, aussitôt, elle baisse les yeux en retenant son sourire. A croire qu’elle guettait mon arrivée. Pudique et ravissante. J’imagine qu’elle m’a espéré ainsi tous les soirs, en vain. Cela me remplit de satisfaction. J’ai l’impression d’être un conquérant posant le pied sur un terrain préalablement défriché. Maintenant que je suis décidé, aucun obstacle ne saurait me détourner de mon objectif.
Je m’installe sur un tabouret, à l’extrémité droite du comptoir. Elle discutait avec trois clients avant de me voir. Il y a beaucoup d’hommes qui gravitent autour d’elles. Un peu trop, à mon goût. Cependant, elle les délaisse rapidement pour venir m’accueillir.
— Bonsoir, Cylia.
— Bonsoir, Mr Laplagne, me répond-elle avec son habituel sourire timide.
Je crois que je ne me lasserai jamais de l’entendre me vouvoyer et me donner du « Monsieur », en rosissant. Mais pour progresser dans notre relation, il va falloir faire évoluer les choses.
— Je vous en prie… Allez-vous vous décider à m’appeler Anthony ? Je suis probablement le seul client que vous n’appelez pas par son prénom. Cela me donne le sentiment d’être un vieux monsieur.
Elle pouffe de rire.
— Vous en êtes encore loin ! me rassure-t-elle.
— Voilà une bonne réponse, dis-je d’un air réjoui.
Elle inspire avant de demander :
— Et qu’est-ce que je vous sers… Anthony ?
Mon prénom sur ses lèvres me fait l’effet d’une douce mélodie.
— Comme d’habitude.
Autant t’habituer de suite à bien retenir mes goûts, ma belle. Je suis un homme exigeant. Alors qu’elle verse la bière en faisant le minimum de mousse, je décide d’aller directement à l’essentiel, cette fois. J’ai assez tourné autour du pot ces dernières semaines.
— Votre colocataire n’est pas là ce soir, observé-je.
— Non, en effet. Le mardi soir il donne des cours de guitare.
— Vous avez un véhicule pour rentrer ?
Je sais déjà que non.
— Oui ! Ce soir, Thierry, notre cuisinier, va me déposer.
— Ah.
Merde ! Encore une fois, il faut qu’un connard de son entourage bousille mes plans ! Je lutte pour ne pas me fermer aussitôt à la discussion. J’essaye de prendre un air détaché mais je suis certain qu’elle a senti que je suis contrarié.
— A vrai dire, j’étais en train de penser que j’aurais pu vous raccompagner ce soir, après votre service. Nous aurions pu marcher, parler un peu et nous assurer que vous arriviez saine et sauve jusqu’à votre porte.
Elle me dévisage, surprise. Visiblement, je la prends de court.
— Jusqu’à ma porte ? répète-t-elle, avec un sourire soupçonneux.
J’irais bien jusqu’à ton lit, ma belle, car je commence sérieusement à avoir envie de vérifier tes charmes sous la couette. Mais prends ton temps… ça m’excite.
— Jusqu’à votre porte. C’est bien ce que j’ai dit.
Encore une fois, ce sourire timide en se pinçant les lèvres.
— Je finis à une heure.
— Je suis un homme patient.
Et ma patience est à deux doigts de payer. J’avale une gorgée de bière, satisfait, pendant que Cylia part avertir son collègue qu’un parfait gentleman propose de la raccompagner ce soir.
Une bonne heure plus tard, je marche aux côtés de la femme qui me remue les sangs jusqu’au fond du caleçon. Le trajet est calme, les rues sont pratiquement désertes. Elle me pose des questions sur le travail. Elle n’ose pas encore me demander des choses trop personnelles. J’agis de même, par mimétisme. Alors que nous longeons la gare de fret et une rangée d’immeubles vides, je ne peux m’empêcher de lui demander :
— Quand vous rentrez à une heure aussi tardive, seule… vous n’avez jamais peur ?
— Pas vraiment. C’est calme, comme vous le voyez.
— Un peu trop, même. S’il prenait l’envie à quelqu’un de vous agresser dans cette ruelle, personne ne viendrait à votre aide.
— Dites-vous cela pour me faire peur ?
Je m’arrête. Elle fait de même. Elle fait une bonne tête de moins que moi. Je me rends compte que c’est la première fois que je suis aussi proche d’elle. J’ai envie de la toucher mais je m’abstiens.
— Je vous fais toujours aussi peur ?
Cylia me sourit sans répondre. Oh oui, ma belle, je lis dans tes yeux que tu flippes encore. Ne perds pas trop vite cette peur. J’aime que tu me craignes et me respectes. Nous reprenons notre chemin. Encore deux cents mètres et je reconnais la rue où elle réside.
— Voilà, c’est ici que j’habite.
Je le sais déjà, mais elle l’ignore. J’acquiesce poliment.
— Merci de m’avoir raccompagnée, ajoute-t-elle.
— Je vous en prie.
Comme le font toutes les femmes dans cette situation, Cylia tripote nerveusement ses clés et garde les yeux baissés. Je ne dis rien, pour la tester. Soudain, elle déclare :
— Vous devez vous attendre à ce que je vous propose de monter, vu que Will n’est pas là. Mais je ne le ferai pas.
Bien joué. La pulsion qui m’a conduit à l’attendre ce soir et à la raccompagner chez elle tend encore tout mon être. Mais je sais aussi que si je la découvre entièrement ce soir, j’aurais demain le même sentiment qu’avec toutes les autres.
— Je comprends, dis-je comme si je n’attendais pas d’elle qu’elle se justifie. « Jamais le premier soir ».
— C’est un adage un peu hypocrite, je trouve. Disons plutôt… « Jamais quand on ne se connait pas encore assez ».
Elle marque un autre point. Ma tête est ravie de sa bonne conduite. Ma queue fait la gueule, en revanche. Je souris à la petite serveuse.
— J’ai une proposition pour commencer à mieux se connaître : je vous permets de me tutoyer. En échange, vous m’autorisez à vous embrasser. Là. Maintenant. Avant de repartir.
Elle pouffe de rire.
— Ce n’est pas un peu déséquilibré comme marché ?
— Vous trouvez ? Je peux reformuler : tutoie-moi et je te laisserai m’embrasser avant de repartir.
J’ai dit cela d’un ton très sérieux. J’avance d’un pas, pour marquer une proximité avec elle. Je la sens immédiatement devenir un peu plus nerveuse. C’est comme si l’air se chargeait de particules électriques. Je sens des fourmillements au bout de mes doigts.
— Des semaines que je te tourne autour… même sans bien me connaître je suis certain que tu as déjà imaginé ce moment, chuchoté-je.
Elle s’empourpre. J’adore ! J’espère que son cul rosira aussi vite sous mes doigts.
— Tu crois ça ? me demande-t-elle d’une toute petite voix.
Il y a quelque chose d’espiègle dans son regard, alors que je lui fais remarquer, triomphant :
— Tu viens de me tutoyer.
J’ai à peine achevé ma phrase qu’elle comble la faible distance qu’il restait entre nous en posant ses lèvres sur les miennes. Enfin ! L’instant est court, à la mesure de son niveau d’audace, mais parfait. Je suis même étonné qu’elle ait osé.
Alors qu’elle se recule, je me penche pour l’embrasser à mon tour. Mes mains s’emparent de son visage alors que cette fois, ma langue part à la rencontre de la sienne. Et soudain je la sens, douce et lisse entre mes lèvres. L’effet que cela provoque en moi est bien plus intense que ce que j’avais pu imaginer jusque-là. C’est comme si mon torse s’embrasait, comme si le feu se répandait dans chacun de mes membres. Un désir violent m’envahit. Je la veux ! Oh oui je la veux, à la fois pure et sale, à la fois sainte et pute. Je la veux comme jamais je n’ai désiré une autre femme. Et ce constat est presque effrayant.
Je m’arrache à elle pour me maitriser et retrouver une contenance. Les joues toujours aussi rouges mais le regard pétillant, elle baisse les yeux en se mordillant les lèvres. Le sourire qui étire les coins de ses lèvres suffit à me convaincre qu’elle a aimé ce moment autant que moi.
Comme je l’ai dit, j’aurai cette femme quand je le désire. Et il n’y aura désormais plus aucun obstacle entre elle et moi.
* * * * *
Le marché de Noël de Strasbourg a débuté depuis quelques jours. Ce n’est pas quelque chose que j’affectionne particulièrement. La foule, le bruit, les odeurs de vin chaud et de friture, ce n’est pas pour moi. Néanmoins, quoi de plus approprié pour flâner avec sa belle à son bras ?
J’ai vu juste. Avec son bonnet à pompon blanc et ses joues rouges qui m’évoquent deux jolies pommes d’amour, Cylia est à croquer. Ses yeux brillent comme ceux d’une enfant face à ce kaléidoscope de couleurs et d’illuminations. Chaque stand l’émerveille. Elle s’extasie devant la moindre babiole fabriquée à la main. Si personnellement je ne suis pas friand d’artisanat local, je reconnais que voir une femme se pâmer devant autre chose que des bijoux est une vraie bouffée d’air frais.
J’en apprends sur elle un peu plus à chaque minute. Cylia est originaire de Mulhouse et n’a pas été une enfant désirée. Elle est ce qu’on a coutume d’appeler un « accident ». Le genre d’accident qui rapproche les gens. Ou plutôt, qui les oblige à se marier pour assumer. Elle vient d’un milieu social modeste, avec un climat familial détestable. Tout l’opposé de ce que j’ai connu étant enfant, avant que ma mère – cette trainée – ne se fasse la malle avec le garçon de piscine.
Au divorce salutaire de ses parents, elle a compris qu’elle avait toujours représenté un fardeau pour eux, et qu’elle serait désormais le boulet qui les empêcherait de reconstruire leurs nouvelles vies. Charmant ! Vivre sous le même toit qu’eux dans les cris et les disputes avait dû être fatigant. Vivre en alternance chez l’un ou l’autre, sans se sentir chez elle nulle part a dû l’être tout autant. Dès qu’elle a pu, elle a enchainé les petits boulots pour pouvoir louer son premier studio et payer ses études.
Sa vie était partagée entre ses cours d’art à la HEAR – la Haute Ecole des Arts du Rhin – la journée, son travail le soir, et ses travaux d’étude à boucler le reste du temps. Je suis impressionné par sa détermination. Elle peint, dessine, et je suis curieux de voir sa créativité.
— Et tu n’as pas trouvé de travail dans ce domaine ?
— A vrai dire… je n’ai pas obtenu mon diplôme.
Je l’interroge du regard alors qu’elle effleure du bout des doigts des boules à neige en exposition sous un des chalets.
— Mon directeur de projet de fin d’études a essayé d’abuser de moi. J’ai tout plaqué et j’ai quitté Mulhouse.
— Mais ! Tu n’en as pas parlé ? Tu n’as pas porté plainte ? m’exclamé-je.
Elle fuit mon regard.
— J’avais vingt-trois ans, Anthony, soupire-t-elle. J’étais surmenée entre le travail et les études et mes parents ne m’étaient d’aucune aide. J’ai craqué sous la pression. Je suis partie presque du jour au lendemain. Pas question de remettre les pieds à la HEAR. Je suis venue à Strasbourg. Au début je louais une chambre AirBnB pourrie pour ne pas dormir dehors et j’ai retrouvé des petits boulots. Jusqu’à commencer à travailler au McLeod.
A l’évocation de ce souvenir, un sourire tendre fleurit sur ses lèvres.
— C’est là que j’ai connu Will. C’est comme ça qu’on est devenus amis, et puis rapidement colocataires. Il m’a été d’une grande aide. Je lui dois beaucoup.
Serveuse alors qu’elle aurait dû être dessinatrice, designeuse ou scénographe… tu parles d’un échec ! Je romps sa nostalgie :
— Allez viens, on va boire quelque chose de chaud.
Je lui tends mon bras avec galanterie et elle s’y accroche. Sentir son corps contre le mien me réchauffe le ventre. Nous marchons quelques minutes jusqu’à un petit salon de thé.
Le bois, présent du sol au plafond, confère à la salle un caractère rustique et chaleureux, de même que les nappes rouges et blanches à motifs alsaciens. Le feu qui brûle dans la cheminée baigne l’ensemble d’une atmosphère orangée et intimiste. On peut difficilement faire plus romantique. Cette nouveauté n’est pas pour me déplaire au final.
Un café pour moi. Un chocolat pour elle, avec de la chantilly et un peu de cannelle saupoudrée par-dessus. Je comprends mieux d’où viennent ses petites rondeurs. Cylia est gourmande. J’espère qu’elle aura le même appétit dans mon lit. Pour l’instant, je poursuis ma découverte.
— Tu veux vraiment qu’on parle de mes relations passées ? me demande-t-elle.
Je lui pose beaucoup de questions. Ma curiosité n’a pas de limite avec elle. Maintenant que j’en sais davantage sur son historique familial et professionnel, je veux en savoir plus sur son passé affectif.
— Pourquoi pas ?
Elle hausse les épaules.
— Il n’y a pas grand-chose d’intéressant à raconter. J’ai connu pas mal de toquards.
Si je ne suis pas surpris qu’elle, si naïve, soit tombée sur des abrutis, je tique en revanche sur l’emploi de « pas mal ». Est-ce que ça sous-entend qu’elle a de nombreuses conquêtes à son actif ? Est-elle du genre à multiplier les histoires ? Combien d’hommes sont passés dans son lit ? Combien se sont vus accordés les privilèges qui devraient me revenir et qu’elle me refuse pour le moment ? J’essaye de répondre d’un ton léger, bien que l’idée m’agace.
— J’ignorais que tu étais attirée par les toquards. Du coup, je me demande si je rentre dans cette catégorie.
— Les toquards ne se révèlent jamais d’entrée de jeu, me répond-elle avec un soupir. Sinon, tu penses bien que j’aurais fui immédiatement.
— Tu parles pour eux ou pour moi ?
Cylia rit, et se faisant, elle élude ma question.
— Il ne faut pas m’en vouloir si je suis prudente avec toi. Je ne tiens pas à refaire les mêmes erreurs.
Argument valable. Je lui souris et porte sa main à mes lèvres pour y déposer un baiser. Geste désuet et supposément romantique, bien loin de mes pratiques habituelles.
— Je ne pourrais jamais en vouloir à une femme de prendre son temps avant de se donner à un homme.
D’autant que cela ne fait que renforcer mon obsession de la baiser, dès qu’elle m’en laissera l’occasion. Autant il y a trois semaines je me sentais capable d’avoir l’âme d’un saint pour elle et de rester chaste jusqu’à ce qu’elle daigne m’inviter entre ses draps, autant maintenant j’ai l’impression qu’elle essaye juste de jouer avec mes nerfs. Et ce n’est pas la démission de la petite pute qui m’aide à calmer mes ardeurs.
Continue à me mettre à l’épreuve, ma belle. Mais très bientôt, c’est moi qui fixerai les règles du jeu.
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