Chapitre 7 : Compromis
Je suis en train de me masser les tempes, gêné par des maux de tête, quand on frappe à ma porte, je maugrée intérieurement contre la personne qui vient me déranger.
" Entrez ! "
La porte s’ouvre. Mon regard embrasse alors l’allure professionnelle d’Éléonore : elle a attaché son indomptable chevelure, mais a gardé le même rouge à lèvre trop criard à mon goût. Je note néanmoins avec satisfaction qu'elle a troqué sa robe indécente pour un tailleur pantalon. Ça m'évitera de lui faire une remarque sur une tenue acceptable. Bien que je lui aie demandé de venir me faire un rapport de la situation, je la laisse venir vers moi avec un peu de réticence.
– Bonjour monsieur De Rivesaltes. Comme vous me l'avez demandé, je suis venue avec les rapports complets. Je me suis permise de les annoter, vous me permettez de m'asseoir ? Peut-être vous importuné-je ?
– Je vous en prie, asseyez-vous. Avez-vous trouvé l'origine du problème ?
Est-elle réellement obligée de se dandiner de la sorte en marchant jusqu'à mon bureau ?! Elle s'assoit sur la chaise que je lui désigne et envahit mon espace de son ordinateur portable et de la pochette cartonnée qu'elle sort de son sac à dos.
– Merci. À vrai dire, je peux vous indiquer les IP, cependant, je ne sais pas à quel poste ils sont attribués. Vous devriez, de votre côté, posséder la liste des concordances.
Je constate que son front est strié par deux vagues, ondulations que je n'ai pas remarquées vendredi soir. Il semble devoir se concentrer fortement. Peut-être souffre-il ?
– Vous n'avez pas l'air d'aller très bien. Peut-être suis-je venue au mauvais moment ?
Je regarde les documents qu'elle me tend et mon sang ne fait qu'un tour. L'IP en question est celle de Bruno ! Dire que je lui ai gardé sa place malgré ses nombreux arrêts maladie. J'ai vraiment l'impression d'avoir été pris pour un con là !
– Vous semblez contrarié, vous n'attendiez pas ce résultat-là ? Je peux vérifier à nouveau si vous le désirez... Mais je ne pense pas m'être trompée.
– Oui, non. Je vois très bien à qui correspond cette adresse.... Je suis juste profondément déçu. Remarque depuis le temps je devrais avoir compris qu'on ne peut pas faire confiance aux êtres humains. Ils sont par essence égoïstes et traîtres.
– À qui le dîtes-vous... J'ai choisi la voie de l'informatique pour ça, au moins, les machines on peut leur faire confiance. Toujours obéissantes, rarement versatiles. Que du bonheur. Mais bon, ça ne vous intéresse sûrement pas. Je peux peut-être vous programmer quelque chose... Une sorte de pop-up qui s'affichera sur son écran la prochaine fois qu'il s'immiscera sur ce genre de sites, le conviant à se rendre dans votre bureau, ou n'importe quoi, je ne suis pas limitée par le support. Je peux aussi rediriger le trafic vers son téléphone et le bloquer de sorte à ce qu'il ne... Enfin. Qu'il ne s'absente pas trop longtemps aux sanitaires... Si vous me suivez.
Je réalise soudainement que je me suis plus épanché que je ne l'aurais souhaité. Je reprends la situation en main.
– Oui, c'est une bonne idée !
Un sourire illumine fugacement mon visage à l'idée que ce fumier soit pris la main dans le sac (enfin la main dans le slip !).
– Merci pour votre travail Madame... ? lui demandé-je en lui tendant la main.
– Mademoiselle. Mademoiselle Kermor. Mais je préfère Éléonore. Vous m'en voyez ravie, j'aime bien divaguer et effectuer ce genre de petites manipulations informatiques. Euh.
Je feins d’ignorer cette main tendue.
– Je vous laisse sur ceci, annoncé-je en prenant machinalement mon pc, lui laissant les notes sur son bureau. Mais... j'espère ne pas avoir été trop cavalière vendredi soir.
Je sors de mon sac la bouteille de vin non entamée de l'autre soir et la pose sur son bureau.
– Au revoir, lancé-je par-dessus mon épaule en m'engouffrant par la porte pour sortir.
Je reste comme un con avec ma main tendue. Je regarde, l'air hébété, la bouteille qu'elle a laissée sur mon bureau et la porte qui se referme sur elle. Il ne reste plus que son parfum qui flotte encore dans l'air. Avec un soupir, je reprends mon travail.
À peine sortie de son bureau, je laisse échapper un souffle ardent, de relâchement, de décompression. Il va me rendre folle celui-là, avec son air austère, c'est implacable. Ça me fait fondre. Bon cela dit, je repars complètement à zéro. Pas d'invitation à dîner, ni rien d'autre, juste la concision professionnelle poussée à son paroxysme. Moi qui pensais avoir la situation en mains, j'ai peur que cela ne se retourne contre moi, à force de me laisser attiser de la sorte. J'ai encore une fois remarqué qu'il déteste mon rouge à lèvres. C'est dommage, je suis si peu apprêtée, il pourrait au moins m'accorder, ça. Tant pis.
Au moins il me fait confiance... Professionnellement. C'est triste que je m'arrête à ça, mais je ne vois ce qui peut réellement me consoler de ce cuisant échec.
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