Chapitre 2

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2 février 1998             Joan Armatrading, Back on the Road

22.

 Je ne cesse de compter et recompter mentalement à partir de zéro, comme un enfant qui tente de mémoriser la comptine numérique. Je tiens ma tête dans mes mains et fixe le sol bien trop lisse et aseptisé. Charlie assise à côté de moi dans la même position est tout aussi silencieuse. Nous n’osons même pas nous regarder, trop honteux de ce qui nous a menés ici, trop inquiets aussi de patienter ainsi sans avoir de nouvelle.

— Ils arrivent.

 Nous relevons la tête vers Thomas qui vient de raccrocher avec les parents d’Enguerrand. Ces deux mots suffisent pour me sortir de ma tentative désespérée de me rassurer que tout va bien se finir. Il est temps sans doute d’arrêter de croire que si j’invoque suffisamment de fois mon nombre fétiche, un médecin va enfin franchir la porte qui nous fait face et nous rassurer sur l’état du quatrième membre de notre groupe. Derrière lui, l’aiguille des heures sur l’horloge a atteint le chiffre 11 et le léger clic de celle des minutes qui rejoint le 12 me fait presque sursauter. Il sonne comme le début d’un compte à rebours. Il reste une heure pour que mon anniversaire ne se transforme pas en la pire journée de notre vie. Je suis terrifié mais me relève brusquement prenant soudainement conscience que je suis supposé agir et faire quelque chose, même si je n’ai aucune idée du comment. Comment peut-on imaginer que parce qu’on a soufflé quinze bougies, on est automatiquement capable de se comporter presque comme un adulte? Comme d’habitude, c’est Tom, de 5 mois et 12 jours mon cadet, qui a pris les choses en main. Il semble calme tandis que j’ai l’impression que mes jambes vont flancher et que je vais finir par m’effondrer sur le sol. Comment a-t-on pu en arriver là ?

— Ça va mec ? me demande-t-il me voyant vaciller.

 Je me rassois et entend résonner encore sa question, la même qu’il m’a posée il y a quelques heures. Il était dix-sept heures quand il m’avait rejoint sur notre plage. Nous l’avons tenu cette promesse de nous y retrouver quoiqu’il arrive chaque 2 février. Je me souviens de chacun de ces anniversaires, comme si je ne vivais que pour cette journée. Mais cette année, je n’étais pas sûr qu’ils viendraient. Ça fait presque six mois qu’on ne s’est pas vu, un an finalement que je sens que quelque chose s’est rompu. L’année dernière déjà, la bière qu’on a partagée avait un goût amer mais je suis le seul à blâmer.

— Ça va mec ? m’avait-t-il donc lancé.

 J’étais perdu dans mes pensée et je calculais que cela fait dix-huit mois que nos vies ont pris des routes différentes avec la bande. J’attendais sans parvenir à me convaincre qu’on pourrait retrouver notre complicité. Comme je l’avais craint, l’année de répit en CM1 avait été de courte durée et malgré tous mes efforts pour essayer de contenir mes colères et mes angoisses, j’ai vécu l’enfer l’année suivante et entraîné tout le monde avec moi. Toute la classe a subi mes accès de rage chaque jour. La bande a bien continué d’être là pour moi mais j’ai fini par leur en vouloir. Voir la peine dans leurs yeux après chacun de mes coups d’éclat ne faisait qu’accentuer mon mal-être. Je crois qu’il n’y a rien de pire que de deviner l’impuissance de ceux qui comptent le plus pour nous et sentir que la pitié commence à remplacer l’amitié. Même Thomas semblait à cours de mots.

 Il a fallu que j’attende deux ans avant de pouvoir intégrer le DITEP, après que les Kleiner aient fait les démarches. Je m’y étais résolu, bien conscient que chaque jour de plus passé au collège, ou plutôt chaque jour manqué vu le nombre de mes absences, ne pouvait plus durer. J’espérer y trouver ma place et y rencontrer d’autres jeunes qui me ressemblent et me comprennent. Sur ce point, je ne me suis pas trompé. Je me reconnais en chacun de leurs gestes violents, insultes et crises de pleurs que peinent à calmer des éducateurs pourtant chevronnés. Mais je déteste d’autant plus mes propres pulsions à force d’être spectateur de celles de mes colocs de dortoir. J’ai essayé de me persuader que j’allais être plus fort qu’eux et que j’allais réussir à dompter cette bête en moi qui parfois prend le pouvoir. Mais je dus me rendre à l’évidence assez rapidement qu’il n’y aurait pas de miracle, que je ne parviendrais pas si facilement à me plier au cadre imposé, aussi assoupli fut-il par rapport à une classe ordinaire du collège Maintenon. Chaque semaine me semblait une éternité, comme si le temps avait son rythme propre à l’Institut. Je suis soulagé à chaque fois que je prends le bus le vendredi soir pour quitter enfin Toulon et retrouver l’appartement des Kleiner. Je le trouve étonnamment accueillant et chaleureux en comparaison de l’internat. Et je repars chaque lundi matin la boule au ventre, redoutant presque d’être contaminé par l’agressivité latente qui semble se propager rapidement au fil de la semaine tel un virus dont personne ne parvient à trouver un vaccin efficace pour l’éliminer.

 J’ai bien essayé de garder contact avec la bande aussi au début. On se retrouvait tous les weekends et pendant les vacances dans notre cabane et ils m’écoutaient leur raconter les exploits de mes co-détenus. Au début en tout cas. J’ai vite réalisé que cela n’avait rien de passionnant et qu’il n’y avait pas de quoi se vanter. Ils me décrivaient leur quotidien et les voir rire d’anecdotes dont j’étais totalement étranger provoquait en moi un certain malaise, une colère même. Et comme la subtilité n’est pas mon fort, je leur vite ait fait comprendre que je me foutais un peu de leurs histoires. Comment leur avouer que j’étais simplement jaloux, jaloux qu’ils puissent continuer à vivre normalement et jaloux de tous ceux qui avaient la chance de pouvoir passer du temps avec eux tous les jours. Thomas avait intégré l’orchestre du collège et il avait même monté un groupe avec trois gars de sa classe. Ils ont déjà un batteur et même s’il ne me l’a jamais fait ressentir, il n’a clairement plus besoin de moi pour jouer. Raphaël, Sasha et Lucas, les trois membres du groupe de Thomas prirent l’habitude de nous rejoindre. Puis nos retrouvailles se transformèrent en squattage de son garage où ils répétaient leurs compos. Pendant ce temps, Enguerrand passait de plus en plus de temps à ses entrainements de foot espérant se faire repérer pour rejoindre le centre de formation d’un grand club. Mais Charlie, telle une groupie, ne ratait pas une répétition des rockeurs boutonneux. J’en eus rapidement assez d’assister à ce remake d’Hélène et les Garçons et j’ai commencé à trouver des excuses pour mes absences. Depuis le début de l’année, je n’y suis plus invité de toute façon.

— Bel anniversaire frérot, ça fait du bien de te revoir. J’ai eu un peu peur que tu nous poses un lapin cette année, avait continué Thomas.

— On est deux. J’étais vraiment pas sûr que vous alliez venir, avouai-je presque en chuchotant.

— On sera toujours là Nico. Quoiqu’il arrive ! ajouta-il en me serrant un peu plus fort.

  Enguerrand nous sauta dessus et nous tombâmes tous les trois dans le sable en riant. Charlie nous rejoint enfin, nous qualifiant de sales gosses, comme si rien n’avait changé. Je pris le temps de les observer tous les trois, un peu gêné d’avoir fait le mort ces derniers mois.

— Tu croyais quand même pas te débarrasser de nous comme ça ? me demanda Engué en me lançant une poignée de sable.

— Les gars, je…

— C’était une question rhétorique mec ! On sait bien que tu peux pas te passer de nous, même si parfois tu redoubles d’efforts pour tenter de nous faire fuir.

Il ouvrit son sac à dos pour dévoiler des bouteilles de bière et des flûtes en plastiques. Thomas dégaina un saucisson du sien et un paquet de chips tandis que Charlie installait une couverture sur le sable. Je les regardais s’affairer à ouvrir tant bien que mal les canettes que le trajet en vélo avait quelque peu secouées, découper des rondelles de rosette bon marché et verser les tortillas dans un bol en plastique. Il ne m’en fallait pas plus. Heureusement qu’Eve avait accepté que je reste un jour de plus ici. C’était exactement ce dont j’avais besoin aujourd’hui : retrouver ma bande, ma famille et profiter de chaque seconde avant le retour à la réalité, eux ensemble au collège et moi tout seul au DITEP, où j’erre maintenant depuis un an et demi.

  Après qu’on ait tous trinqué et bu une gorgée, Thomas me tendit une enveloppe décorée avec des autocollants en forme de notes de musique.

— C’est de notre part à tous les trois.

  Je l’ouvris en prenant soin de ne pas la déchirer et en sortis un courrier précisant les dates d’un stage d’une semaine de perfectionnement en pratique d’instrument, prévu pendant les vacances d’été, avec la case « batterie » cochée.

— Je vais avoir besoin de toi dans la groupe à la rentrée prochaine. Si tu reviens sur Hyères au lycée agricole comme t’as prévu, on va s’éclater Nico.

— Et Lucas ?

— Lucas déménage dans trois mois. Mais de toute façon, on l’a juste pris dans le groupe parce que toi tu pouvais pas en ne rentrant que les weekends. Y’a qu’avec toi que j’ai envie de continuer à jouer. Et les jumeaux sont d’accord avec moi. Ils ont trop hâte aussi.

  J’ai dû avoir l’air complètement crétin ne parvenant pas à cesser de sourire sans être capable de prononcer le moindre mot.

— Apparemment, on s’est pas trop planté pour le cadeau, me chambra Enguerrand.

— Vous êtes dingues ! Vous êtes complètement oufs, vous le savez ça ? J’ai plus qu’à aller mettre des cierges pour être accepté au Bac Pro viticulture.

— T’as pas le choix, frérot, j’arrête tout si tu rejoins pas le groupe de toute façon.

— Ça va le faire, essaya de me rassurer Charlie. J’ai confiance moi.

— Si Madame Irma l’a vu dans sa boule de cristal, y’a pas de raison. Merci les copains. Vous avez pas idée comme ça me rebooste. Je sais pas comment vous remercier.

— C’est simple. Tu t’accroches, tu déconnes pas sur cette fin de troisième et tu reviens. Y’a pas moyen qu’on passe une année de plus séparés. J’ai oublié de te préciser que j’y serai aussi à ce stage, ça va être génial.

  C’est dingue comme une heure avec eux peut rattraper des mois d’ennui, comment soixante minutes de rires cicatrisent mes plaies invisibles, pour un temps en tout cas. J’ai profité de chaque seconde, en espérant que l’univers ralentisse un peu le cours du temps pour prolonger cet instant. On a regardé le coucher du soleil, chantant à tue-tête « Partir un jour » et « Men in black » , déjà bien éméchés par les bières avalées trop vite.

— Bon, si on passait aux choses sérieuse ? avait suggéré Charlie en tendant fièrement une bouteille de vodka et une de rhum.

— Waouh, ça sort d’où ça ? l’avait interrogée Tom, alors que j’avais déjà ouvert la bouteille de vodka pour en boire une gorgée.

— C’est une excellente idée pour finir cette journée en beauté mademoiselle, l’avais-je remerciée, le ton ivre.

— Tu remercieras mon grand-frère la prochaine fois que tu le croiseras.

— On a déjà pas mal bu non ? avait lâché Enguerrand, en pointant du regard les cannettes vides disséminées sur le sable.

— Allez mon pote, fais-moi plaisir pour mon anniversaire.

— T’as pas de match cette semaine. Profite un peu ! l’avait encouragé Charlie.

  Je lui avais tendu la bouteille et après avoir hésité quelques secondes, il avait souri puis finalement bu une gorgée, puis deux. Il avait presque ingurgité le quart de la bouteille quand Thomas la lui avait arraché des mains.

— Arrête ! T’es dingue. Tu bois jamais, ça va te rendre malade.

— Oh ça va, je gère, avait-il rit avant de s’emparer de la bouteille de rhum et de partir en courant dans le sentier.

— Partage un peu ! l’avait interpellé Charlie en le rattrapant.

— Ça va mal finir Nico, m’avait crié Thomas pour tenter de me raisonner.

  Nous avons trouvé refuge au fort de la Tour Fondue et avons commencé à jouer à «Je n’ai jamais». Le principe est simple. A tour de rôle, on commence une phrase par « Je n’ai jamais…» et on la complète par quelque chose qui ne nous est jamais arrivée mais dont on est quasi certain que les autres par contre l’ont déjà vécue. Celui ou celle qui est concerné(e) doit alors boire.

— Je n’ai jamais insulté un prof, annonça fièrement Charlie.

— Bien joué, lâchai-je avant d’avaler mon verre. Je n’ai jamais porté de protège-tibia.

— Ah, ah, râla Enguerrand avant de finir le sien. Je n’ai jamais joué à la guitare, continua-t-il en défiant Thomas qui nous observait de loin.

— Je joue pas à votre jeu débile, avait-il répondu. Je ne joue jamais aux jeux à boire.

— Triple combo, avons-nous ri tous les trois avant de trinquer.

  C’est la dernière chose dont je me souviens. La suite est beaucoup plus floue. Les images qui me reviennent en mémoire, ce sont les cadavres des bouteilles sur le sol et la tête de Charlie posée sur mon épaule à tenter de me décrire une constellation au-dessus de nous. Juste avant qu’Enguerrand ne s’effondre tout à coup et se cogne sur le mur en pierre de la forteresse. Le dernier son qui me hante encore, c’est le cri qu’a poussé Charlie avant de se relever et de tituber jusqu’à lui. Puis telle une vision saccadée stroboscopique, Thomas qui accourt pour tenter de le relever, le sang sur ses mains et son ombre qui s’enfuit vers la cabine téléphonique la plus proche, les gyrophares aveuglants du camion de pompiers et enfin les néons de cette salle d’attente qui me donnent la migraine.

  Ce n’est donc pas seulement la peur qui m’empêche de me tenir debout, mais plutôt les litres d’alcool qui coulent encore dans mes veines.

— Ça va aller tu crois ? parviens-je enfin à articuler.

  Un simple souffle lourd de sens accompagne la main qu’il pose sur mon genou après s’être agenouillé devant nous.

— Il le faut, ajoute-t-il enfin. Les trois Mousquetaires ne sont invincibles que lorsqu’ils sont quatre.

  Charlie craque et plonge son visage dans mon cou, ses larmes chatouillant ma peau en glissant sous mon pull. Mon bras entoure son corps tremblant, Thomas prend sa main dans la sienne et nous restons ainsi quelques minutes, priant silencieusement que notre chevalier préféré s’en sorte sans séquelle.

  Je suis le seul à voir les trois flics qui se dirigent vers nous et je sais que c’est mon moment. C’est à moi de dérouler mon meilleur rôle, celui pour lequel je suis le plus crédible. Aussi, à peine nous ont-ils interrogés sur ce qu’on avait à leur dire concernant l’accident et notre état d’ébriété qui l’a très certainement précédé, que je me lève après avoir soufflé un autoritaire « tu dis rien surtout » à Charlie. Tout est de ma faute. J’ai piqué les bouteilles dans le placard du salon et je suis le seul responsable. S’il arrive quelque chose à mon pote, je suis prêt à en payer les conséquences.

— On n’en est pas là, mon garçon. On veut juste s’assurer que c’était bien un accident et que vous n’avez pas été impliqués dans une bagarre, me répond calmement le plus costaud d’entre eux.

— Vous avez prévenu vos parents au moins ? nous lance son collègue.

— Oui Monsieur, répond Thomas à ma place. Ils arrivent.

  Mon personnage commence à s’effriter. Je m’attendais à être malmené, à être la cible d’accusations, à devoir m’expliquer et me justifier alors j’ai enfilé ma carapace de gros dur mais qui espérais-je leurrer ? Moi-même sans doute. C’est plus facile de tenter de se faire passer pour un mec costaud, prêt à encaisser les coups, que de montrer à tout le monde à quel point je suis vulnérable en ce moment. Plus je grandis et plus je me rends compte que je ne suis pas équipé pour devenir adulte. Quand je vois Thomas avoir de l’ambition, oser sans se poser de question et assurer à chaque fois qu’il se retrouve face à une difficulté, je me demande pourquoi moi je préfère tout gâcher plutôt que d’essayer ou pourquoi j’ai tendance à fuir dès que je suis mal à l’aise. Il est évident que je ne suis qu’un gosse empêtré dans un corps bien trop grand pour moi et personne n’est dupe. Je ne suis qu’un imposteur.

  L’arrivée au pas de course les uns après les autres des parents de Thomas et Charlie, suivis de près par ceux d’Enguerrand qui s’empressent d’aller demander des nouvelles de leur fils me renvoie à la particularité de mon existence. Mes parents ne se résument qu’à la vivacité d’un spermatozoïde et la fécondité de l’ovule qui l’a accueilli. Comment la rencontre d’une sorte de ver frétillant et d’une boule 300 fois plus grande pourrait-elle suffire à engendrer un être humain complet ? Je suis parfaitement monté tel un Légo. Il ne semble manquer aucune pièce. Ils s’enlacent tous et je réalise qu’un un élément essentiel me fait défaut. Une vis, une roue, la pile du moteur, quelque chose qui semble anodin mais sans lequel rien ne tient. Puis une main frôle mon dos, des yeux inquiets me scrutent de haut en bas et deux bras m’entourent enfin à mon tour. Les Kleiner sont venus. Eux aussi me demandent si je vais bien, si je ne suis pas blessé. Ils ne semblent même pas en colère. Personne ne pourrait imaginer en ce moment que je ne porte ni leur ADN, ni leur nom de famille. Eux partagent mes galères et je les trouve tout à coup bien plus parents que s’ils l’étaient vraiment. Ils ne sont obligés de rien et pourtant ils sont là. Et je ne suis plus si fragile tout à coup. Ce n’était pas de tomber qui m’inquiétait finalement, mais qu’il n’y ait personne pour m’aider à me relever. Je n’hésite plus quand je vois Mme Dupré franchir la porte qui nous sépare des soins intensifs. Je la rejoins pour lui demander des nouvelles.

— Comment va Enguerrand ?

— Plus de peur que de mal. Il sort du scanner, il a un léger traumatisme crânien et il va être hydraté.

— Je suis désolé. Tout est de ma faute.

— A part si vous avez-vous-même fait couler l’alcool dans sa gorge, vous n’êtes pas plus fautif que lui. J’espère que ça lui servira de leçon. Et à vous aussi. Vous avez eu les bon gestes en le mettant sur le côté pour qu’il ne s’étouffe pas et en appelant rapidement les secours. On peut au moins vous féliciter d’une chose.

— C’est Thomas qui a eu les bon reflexes.

— On a été nuls, compléta Charlie. Je sais pas ce qui m’a pris de…

— Boire autant, je la coupe avant qu’elle n’ait le temps de confesser que c’est elle qui a apporté les bouteilles.

  Il est décidé d’un commun accord qu’une punition collective sera réfléchie par l’ensemble des parents mais qu’il est temps pour le moment que chacun rentre chez soi.

— On peut le voir ? osé-je.

— On peut pas partir comme ça, ajoute Charlie.

— S’il vous plait ! conclut Thomas.

  Les parents d’Enguerrand échangent un regard et se dirigent vers le médecin qui est en train de compléter des formulaires. Après une longue minute de discussion, ils nous rejoignent.

— On a eu quinze ans nous aussi, commence Mr Dupré. Comme vous, on a cru qu’on était invincible et qu’on pouvait assimiler des litres d’alcool et faire la fête sans risque. Je ne peux pas dire là tout de suite que je suis enchanté qu’Enguerrand soit amis avec vous. Il ne serait peut-être pas ici s’il n’avait pas fêté ton anniversaire Nicolas.

— Monsieur, je …

— Mais en même temps, je ne suis pas sûr d’avoir eu des amis aussi proches que vous l’êtes tous les quatre. Alors pour tous les autres jours où je suis heureux de le savoir si bien entouré, allez-y.

  Notre enthousiasme est aussi débordant que notre attente était figée.

— Merci, merci m’sieur, j’ai presque crié, en lui serrant la main après avoir rebondi sur place.

— Sans lui, on est bancal comme une chaise à trois pieds, on est un carré incomplet, on est…, tente d’expliquer Charlie.

— On est comme les trois Mousquetaires sans d’Artagnan, complète Thomas.

— J’ai compris le concept, s’amuse presque Mr Dupré. Vous avez cinq minutes et ne le brusquez pas.

— Promis, jurons nous en levant les bras comme pour croiser des épées imaginaires.

 Il est endormi quand nous arrivons dans sa chambre et toute la culpabilité qui m’avait légèrement abandonné me revient en pleine face. Son crâne est recouvert d’un pansement et un cathéter planté dans son bras le relie à une poche de solution glucosée à 10% comme je parviens à lire sur l’étiquette. Malgré les propos rassurants concernant son état, c’est impressionnant de le voir ainsi. On voulait juste s’amuser un peu, s’enivrer pour se sentir plus libre. On n’avait pas prévu que le retour à la réalité pourrait être aussi violent. On reste là sans bouger ni dire un mot, bien moins euphoriques que quelques heures plutôt.

— Je n’ai jamais tiré une tête d’enterrement dans une chambre d’hôpital.

 Il a parlé les yeux toujours fermés mais un grand sourire vient conclure sa phrase.

— Je vous obligerais bien à boire cul sec un verre de ce truc qui coule goutte à goutte, mais à mon avis c’est bien dégueu, ajoute-t-il en ouvrant enfin les paupières. Ben quoi, arrêtez de me regarder comme ça. Détendez-vous les gars, je vais m’en remettre.

— On était super inquiets, tu t’es pas raté, chuchote Charlie en se rapprochant du lit et en effleurant le bandage.

— Comment tu te sens ? lui demande Thomas en s’avançant à son tour.

— J’ai l’impression que mes neurones font du trampoline là-haut et j’ai l’estomac en vrac, mais ça va. Je suis content de vous revoir.

— Je suis désolé mec, je murmure la voix tremblante.

— Faut pas.

— Si. C’est moi qui devrais être à ta place. Vous avez voulu me faire plaisir, vous êtes venus alors que ça fait des mois que je fais la gueule. Et moi je trouve rien de mieux à faire que de vous faire boire. Je vous entraîne toujours dans mes conneries et si Thomas n’avait pas assuré, qui sait ce qui aurait pu se passer.

— Nico, c’est moi qui ait apporté ces bouteilles et je te remercie de vouloir me protéger mais je dirai la vérité demain me coupe Charlie. T’es pas responsable de mon erreur.

— Et j’aurais pu dire non comme Thomas, souffle Enguerrand.

— Arrête de croire que t’es la cause de tout. On est tout à fait capable de se planter nous aussi. Et t’inquiète pas, c’est pas un truc contagieux que nous tu aurais refilé. Y’a un truc par contre dont tu es responsable. Si c’était pas pour toi, on irait sans doute plus sur cette plage. On y vient pour toi, mais aussi pour nous. Parce que c’est notre spot et puis parce que ton anniversaire, c’est le seul moment de l’année qu’aucun de nous ne veut rater. Je sais pas combien de temps on pourra encore s’y tenir et je sais qu’on peut pas se faire de promesse mais j’angoisse déjà de me dire qu’un jour peut-être, on sera trop loin les uns des autres pour pouvoir se retrouver, ajoute Tom. Notre amitié, c’est ce qu’il y a de plus beau en chacun d’entre nous. Et tu en es responsable, tout autant que nous.

 Je fais le tour du lit lentement en silence, ne sachant quoi répondre à cette tirade.

— Mec, t’es vraiment trop sentimental, lâche Enguerrand.

 Nous éclatons de rire tous les quatre puis nous serrons nos mains pour former un cercle. J’observe l’horloge au-dessus du lit dont l’aiguille des heures s’apprêtent à rejoindre le douze et avant que la trotteuse n’indique la fin de cette journée, je les regarde tous et reprend enfin la parole:

— Ne rien se promettre, mais s’autoriser à tout espérer.

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