Chapitre VII. Donnacona et la douce Agnès

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Michel Vauvenargue avait été un de mes meilleurs étudiants. Je me rappelais bien de lui, brillant, passionné, le retrouver ici ne m'étonnait qu'à moitié. J'avais déjà retrouvé d'anciens étudiants, certains m'avaient salué du bout des lèvres, d'autres avaient fait comme s'ils ne me reconnaissaient pas. C'était la première fois que l'un d'entre eux voulait me présenter son travail, j'en étais fier .

J'avais adoré ce métier, j'avais une chance folle, j'avais eu dans ma carrière, en presque vingt ans d'enseignement, des dizaines de bons éléments, certains étaient devenus profs à leur tour, avaient écrit des livres qui avaient épaissi ma bibliothèque déjà bien fournie. D'autres avaient bifurqué en chemin. On ne savait jamais ce que la vie réservait. Mais, quelque chose au fond de moi, sourdait, une intuition, une impression. Il était temps que je tourne la page.

Sans même nous regarder, comme le vieux couple que nous n'étions pas, puisque, au risque de me répéter, nous n'en étions pas un , de couple, nous prîmes le chemin de l'accueil !

De là, nous étions surs de ne pas rater Michel. J’avais tant envie de lui faire plaisir, je ne le savais pas encore, mais ce qu’il allait me montrer allait changer ma vie, à jamais, sans doute.

  • C'est ta dernière année comme enseignant ?

Cette fille avait vraiment, une prescience, elle formulait, à la perfection ce que me disait mon corps depuis quelque temps déjà, je me retournais vers elle , ahuri ! j'allais lui répondre, une fois de plus, c'est elle qui eu le premier mot.

  • Ne fais pas ta tête d'ahuri, tu es encore plus craquant comme ça, si nous étions au milieu des bois, je t'aurais embrassé, pas ici, je ne veux pas te mettre dans l'embarras. Quand je dis t'embrasser, ne t'affole pas. Ce serait comme une fille embrasse son père, bien entendu, puisque t'embrasser autrement m'est interdit !

Puis plus bas, trop bas pour qu'un autre que moi l' entende, elle chuchota :

  • De toute façon, si c'est notre chemin, tu devras t'y résoudre, il pourrait t'arriver des choses pires que moi… Mais, ne t’inquiète pas, tu n’en as pas l’impression , mais tu réfléchis tout haut, tu viens de dire que tu ne voulais pas faire l’année de trop, il me semble...

Elle ne put en dire plus, Michel était là et nous cherchais. J'étais sauvé, momentanément, mais je commençais à avoir chaud, très chaud, cette fille était vraiment très forte. Après tout, peut-être avait-elle raison. Je fis semblant d'ignorer ce petit corps chaud qui cherchait le mien, je me tournais face au guide.

  • C'est marrant que je vous trouve ici,dit-il juste devant cette Marine, cette toile d'Amiel, Louis Félix, Jacques Cartier a Stadaconé . Mon histoire commence ici, lorsque jacques Cartier levait l'ancre et emmène avec lui, le vieux chef Iroquoien Donnacona et dix autres Amérindiens. C'est leur histoire que j'ai commencé à explorer, ce n'est pas très facile, ils n'ont pas laissé beaucoup de traces. Certains se sont mariés, ici en France avec des domestiques, enfin c'est ce que l'on a bien voulu croire. Aucuns d'entre eux ne sont retournés dans leur Pays.
  • Oui, si ma mémoire est bonne Donnacona et ses deux fils seraient morts en royaume de France, juste avant le dernier voyage de Cartier, ils seraient enterrés rue des Andouilles, d'après François Rabelais, mais avaient-ils rencontré l'auteur ou n'est-ce que vantardise de sa part .
  • Je ne vous apprends rien, l'histoire, c'est de la rigueur, encore de la rigueur , toujours de la rigueur. j'ai retourné la moitié de la France du Nord pour trouver quelques bribes de vie de ces dix pauvres diables, au Louvre, à Chambord, en Normandie et ici surtout. Donnacona à rencontré le roi, ça j'en suis certain, mais pour Le grand François, l' Amérique était bien peu de chose. Marchons voulez vous !

Il y avait tant de portes dérobées dans ces vieux châteaux, tant de couloirs poussiéreux et mal éclairés, C’était facile quand on avait toutes les clés, tous les passes.

Au fond de la chambre de Diane, la concubine en titre du roi François 1er, existait une chambre plus petite, celle qui abritait la première servante d'Anne de Pisselieu. Cette chambrette aurait abrité des amours clandestins.

Tout absorbé à ma visite et obnubilé que j'étais par l'éloquence de mon ancien étudiant, je ne vis pas l'état de transe qui était celui de Miala, la pauvrette transpirait abondamment, dodelinait de la tête et annonait un sabir incompréhensible, lorsqu'elle se raccrocha à mon bras se sentant couler dans des abimes de noirceurs insondables, je pus voir son état. Alors que je lui prenais sa main dans la mienne et que je la soutenais moi aussi je fus balayé par un vent violent qui me jeta à terre, me fit valser dans les airs et glisser dans un puits sans fond, comme dans un de mes pires cauchemars.

Au début je ne compris pas ce qui se passait, ma tête tournait, comme si j'étais pris de boisson, pire encore. Puis, après un passage dans un espèce de trou noir, je me retrouvais dans un lieu que je ne reconnus pas immédiatement. J'étais pourtant toujours dans la même chambre, mais pas à la même époque. Je ne comprenais pas ce que je voyais : Donnacona était là, son visage buriné par les froids hivers de son pays. Il était nu, la femme, plus jeune que lui, essayait de cacher ses jolies formes sous un drap. Elle était joliement ronde la gourgandine, ce devait être une vraie beauté à cette époque. Elle souriait, lui disant des mots d'amour, qu'il était un amant remarquable, infatigable et qu'elle pensait attendre un enfant de lui.

Je sentais cet homme à côté de moi, encore vigoureux malgré son âge avancé, sa vie aventureuse et l'inconfort de sa situation. Je sentais derrière la plénitude de l'homme qui vient de faire l'amour à une jeune et belle femme, de la peur, de la terreur et de la colère. Il ne comprenait pas ce qu'il faisait ici ni la raison de son exil. Il ne savait pas, non, plutôt il le pressentait. Il ne reverra jamais son pays. Il le savait, il ne lui restait plus beaucoup de temps à vivre. Il ne verra jamais ce drôle qu'il venait de planter dans le ventre d'Agnès. La douce Agnès, une fille de la Champagne, douce, rose et accommodante. Mentalement, il la compara à sa plus jeune épouse, la belle Agiaounapoué. Il se doutait bien qu’elle finirait dans le lit de son concurrent. Ce qu’il ne saurait jamais, c’était, qu’elle finirait la tête fracassée lors d'une attaque d'Hochelaga par l'ennemi de toujours, les terribles et sanguinaires Hurons des terres de l'ouest !

C'était très très bizarre, j'avais la certitude d'être avec Michel de Vauvenargue et Miala dans une chambre cachée du grand public, en 2022, pourtant j'étais dans l'intimité du vieux chef indien et de sa jeune maitresse, la servante d' Anne de Pisselieu, la favorite d'un roi, moi l'historien, je ne pouvais rêver mieux.

Petit à petit le mirage se dissipait, les gens du passé disparurent, demeurait, une gêne, une sensation de vide, d'incompréhension, qu'avais je vraiment vu, étais-ce un délire fabriqué par mon esprit fatigué ?


E.Y

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