29/ Séparation
Le groupe se retrouve en bord de mer, sur des quais.
"Je nous ai amené à Portuas, dit le mage. Nous pourrons facilement trouver un bateau ici et nous ne sommes qu’à une quinzaine de lieux de Parovenia.
- Il faut qu’on s’organise commande Fitz sans perdre de temps. Nous devons remplir deux missions. Markal doit voir Draac’Vio et il faut obligatoirement qu'il soit accompagné de Vrael.
Il parle vite et fait de grand gestes. Pour la première fois depuis qu’ils se connaissent, ils voient leur ami déstabilisé.
- Carseb, Thanis et moi nous devons alerter la population.
- Nous ne pouvons pas risquer de créer une panique générale, coupe Carseb d'un ton sec. En plus, nous ne sommes même pas absolument sûr de ce qu’il se passe…
- Quoi qu’il se passe, nous devons agir, coupe Markal à son tour. J’ai l’intime conviction que le monde entier est en danger. Nous devons agir vite.
- Ce que j’ai vu dans le désert n’est pas naturel, je suis bien d’accord, acquiesce Carseb en hochant la tête. Nous devons nous préparer à toute éventualité. Prévenir les villes de l’empire n’a aucun intérêt. Nous allons créer des mouvements de foule, c’est contre-productif.
- C’est vrai, dit Markal en hochant la tête. Alertez seulement les villes et villages en bordure du désert, préconisez la fuite dans les terres…eeet…réunissez La Guilde.
Seul le silence répond à sa requête. Tous le regarde, des yeux grands ouverts.
- Si Huzumil a été créé, c’est précisément pour cet instant. J’aurais aimé combattre à vos côtés…Fitz, interpelle-t-il en se tournant vers le prêtre. Tu es bien meilleur orateur que moi. La Guilde se relève petit à petit mais n’est pas prête pour un tel affrontement…Mais tu sauras motiver nos Hommes, j’en suis sûr. Vrael, nous devons faire vite. Allons chercher un bateau.
Celle-ci approuve et tous deux tournent les talons pour se mettre en quête d’une embarcation. Fitz les attrape par les poignées, avant qu’ils ne s’éloignent, et leur dit d’un ton solennel :
- Vous devez réussir. Hâtez-vous. Nous ferons tout ce que nous pourrons pour vous donner quelques heures supplémentaires.
Vrael incline la tête, l’air grave, incapable de desserrer sa gorge nouée. La situation est alarmante et la mission qui lui incombe est d’une importance capitale. Markal arrive à s’exprimer et murmure une réponse. Carseb, qui s’était approché sans un bruit, comme à son habitude, saisit la main de la jeune fille. Il la serre fort un instant. Emmenée par Markal, elle disparaît dans la nuit.
- Bien ! Nous sommes trois, nous seuls savons qu’une invasion sans précédent va avoir lieu, agissons vite et bien…résume Fitz avec sarcasme.
- Garde la tête froide Fitz, ta voix chevrotante te trahit. Tu es le plus rationnel de nous trois, sans toi pour nous guider nous courrons à la ruine, dit calmement Carseb, d'un ton toujours aussi détendu.
- Tu as raison…
Le prêtre ferme les yeux, inspire de grandes goulées d’air. Quand il les rouvre, sa voix est plus assurée.
- Allons-y ! Thanis, toi qui t’y connais en géographie, nous étions au cœur du désert…
- Précisément ! coupe le mage, et je pense que c’est là notre chance ! Ils ont mis un millénaire, depuis la grande guerre, pour trouver un moyen efficace d’investir de nouveau massivement notre plan. Néanmoins, que l’on soit démon, diable ou ange, seul les natifs sont capables d’user de portails dans leurs propres plans. Ils sont apparus au cœur du désert, surement pour plus de discrétion mais manque de bol nous étions là !
Il prend un air goguenard en disant cela. Air qu'il perd vite pour terminer, sachant que son temps de parole est limité.
- Ils devront donc en sortir à la marche ! Ne vous réjouissez pas trop vite messieurs, un démon est fort, endurant et bien souvent ailé. Les plus rapides seront aux portes du désert dans la matinée. Là aussi, c’est un avantage pour nous. Ce ne sont pas les plus gros qui se déplacent le plus vite. Nous ne devrions repousser que des vagues d’éclaireurs et d’espèces mineurs...des Vrocks ou autres Quasits. Si Markal sait ce qu’il fait, et je l’espère…Nous ne devrions donc jamais rencontrer d’Hezrou...Et c’est une chance car une seule de ces créatures ne ferait qu’une bouchée de n…
- Epargne nous les détails…coupe Carseb. Nous devons donc nous rendre à La Guilde, donner l’alerte et nous préparer au combat. Fitz, est ce que les autres membres nous suivront ?
- Je l’espère…Depuis que nous sommes informés de la mission de La Guilde, nous ne l’avons jamais caché aux autres. Tous ont fait le choix de rester dans nos rangs, en pleine connaissance des responsabilités que cela implique. Ils se battront comme s’ils défendaient leurs familles, leurs amis, leurs foyers…Et c’est bien le cas…Si nous tombons face au chaos, à quoi ressemblera ce monde ?
- C’est bien vrai, grince des dents le demi-elfe. saloper…
Thanis n’attend pas la fin de la grossierté pour dessiner un nouveau portail bleuté. Ils apparaissent dans le sous-bois, à une trentaine de mètres de l’orée de la forêt et l’entrée du quartier général.
Un curieux cliquetis leur parvient. Comme si l’on frottait des chaînes entre elles.
Sans y prêter attention, Ils foncent, Fitz en tête, dans la direction de la grotte. En sortant du couvert des arbres, les trois amis comprennent la raison de l'étrange bruit métallique. Ils se retrouvent face à une créature humanoïde qui fait volte-face en les entendant arriver.
La chose rôde devant l’entrée de la grotte, en pleine nuit…La lune permet d'y voir à peu près clair et ce qu'ils distinguent les répugnent.
La créature a une taille et une silhouette humaine, mais sa peau est couverte d’un suaire de chaînes. Celles-ci sont fermement maintenues à son corps par des anneaux qui percent sa peau. Un sillage rouge de son propre sang l’accompagne. Les chaînes s’enroulent autour de ses membres, paraissant l’emprisonner. Certaines, sont libre et raclent le sol. Celles-ci se terminent par un crochet, une lame ou une pointe de fer. Les anneaux de métal semblent onduler, mûent par une force invisible, comme s’ils étaient vivants. C’est un spectacle morbide, les traits de son visage sont déformés par la souffrance.
Fitz dégaine aussitôt son marteau. Ses deux compagnons n’ont pas besoin de confirmation quant à la malveillance de la créature, tant son apparence est horrible. Sans autre bruit que celui des anneaux qui s’entrechoquent, la créature avance vers eux, paraissant glisser sur le sol. Les chaînes se lèvent, et forment une bulle autour du monstre.
Thanis crie :
- Un Kyton !!
Tout va alors très vite. La créature, qui se mouvait jusque-là d’un pas plutôt lent se met à courir. En un rien de temps, elle parcourt la distance qui les sépare. Les trois amis fuient chacun dans une direction différente. Carseb a armé son arc. Suite à une roulade calculée, ils décochent une flèche. Celle-ci est fauché en plein vol par une chaîne tournoyante qui la brise en deux. Fitz se retrouve au centre de la zone dégagé, campé sur ses deux pieds, prêt au combat.
Plus lent, Thanis n’a pas réussi à s’esquiver à une distance suffisante la créature. Elle le prend donc pour cible, ses chaînes fendant l’air dans un sifflement aigu. Le mage court vers le sous-bois, poursuivit par le Kyton.
Fitz réagit immédiatement et charge le monstre dans le dos. Comptant sur l’effet de surprise, il ne se méfie pas et se lance à pleine vitesse. Quand il arrive à une longueur de bras de la créature, les chaînes cessent de persiffler dans la direction de Thanis pour se retourner brusquement vers lui. Les lames lui lacèrent le visage. Surpris que le monstre l’ait attaqué sans le voir, il n’a même pas le temps de se protéger.
La créature se retourne alors vers son nouvel adversaire, abandonnant l’elfe. Fitz se ressaisit et brandit son marteau. Il arrive à parer la majorité des attaques, mais le monstre est rapide. Il a beaucoup d’armes et contrer une chaîne avec un marteau n’est pas chose aisée. Elles s’enroulent autour du manche et tailladent les avant-bras du prêtre. Suite à la sauvage attaque du Kyton, son propre sang lui coule dans les yeux, voilant sa vision d’un rouge cramoisi.
Carseb continue de tirer un feu nourri en restant à bonne distance. Aucune de ses flèches n’atteint sa cible, toujours arrêté par le tournoiement d’une chaîne. Il comprend que son ami ne pourra pas tenir seul et que son arc ne lui sera d’aucune utilité pour distraire la créature. Les projectiles sont détruits sans que le Kyton ne s’en préoccupe. Il jette son arc et dégaine deux dagues.
- tu aimes tournoyer ? Alors on va danser, grogne-t-il pour lui-même.
Il entre alors dans la sphère de chaîne. Fitz peine de plus en plus à parer les coups.
Une danse macabre s’engage entre le voleur et le Kyton. Celui-ci se désintéresse de l’homme au marteau pour s'attaquer au plus féroce. Carseb ne cherche pas à contrer les attaques. Avec une simple dague, il sait qu’il n’a pas la moindre chance. Il se contente donc d’esquiver les assauts du monstre. Sautant, roulant, se contorsionnant, il esquive les chaînes qui fouettent l’air. Elles sifflent, furieuses, à ses oreilles.
Un rayon de lumière blanc frappe soudainement la créature. Il a jaillit de la forêt et la touche au torse. Il rebondit sur sa peau et se perd dans le ciel. Une série d’autres éclairs percutent la créature, avec aussi peu de succès. Ils n’ont peut-être pas blesser l’adversaire de Carseb, mais cela lui permet de se mettre hors de portée. Le monstre est désorienté par les flashs lumineux.
Les deux amis, de part et d'autres de leur adversaire se regardent, tentant de reprendre leurs souffles. Le monstre est intouchable, bien trop puissant et les attaques du mage sont sans effet. Fitz a encore le visage en sang, il n’a pas eu le temps de se soigner.
Fitz voit alors briller, comme un éclair, une fugace étincelle, dans les yeux du demi-elfe.
Il a une idée. Sans prononcer un mot et sans un bruit, Carseb se rue sur la créature.
Le prêtre comprend et charge lui aussi.
Carseb esquive habilement les chaînes qui se dressent contre lui jusqu’à arriver au plus proche de la créature qui lui fait face et essaye de le tailler en pièces. A son contact, il se jette en boule à ses pieds.
Le prêtre court à grande vitesse, dans le dos de la créature. Ignorant les lames qui lui lacèrent le corps, il entre dans la sphère de chaines. Equipé de son armure lourde, il percute de plein fouet le Kyton qui trébuche sur Carseb au sol.
Surpris, il perd l’équilibre et s’étale de tout son long. Fitz lève son marteau au-dessus de son épaule, pour l’écraser sur la tête de la créature. Celle-ci est à sa merci, ses armes se sont emmêlées dans sa chute. Les chaînes se relèvent néanmoins, prêtes à riposter.
- Fitz non !! immobilise-le !
Thanis avait hurlé et court maintenant vers eux depuis l’orée de la forêt.
Faisant preuve d’une confiance aveugle, il décide de ne pas tuer le monstre. Il dévie simplement la trajectoire de son attaque, pour ne pas laisser le temps à la créature de se ressaisir. En quatre coups précis et d’une rare brutalité, le marteau s’abat successivement sur les bras et les jambes de la victime impuissante. Les membres craquent dans un bruit atroce qui se mêle aux cris de douleurs du Kyton. Affaiblies, les chaînes peinent à riposter. Elles tombent progressivement, comme si elles n’étaient plus capables de soulever leurs propres poids.
Thanis finit sa course et place sa main sur le torse de la créature au sol. Une décharge d’énergie passe, du mage à la créature dans un crépitement violet. Les chaînes tombent définitivement.
- Que fais-tu là ?! interroge-t-il, hagard
Dans un râle, la bouche de la créature se met à bouger. Sa voix et nasillarde, très aigue et froide.
- Nous...arrivons…
- Est-ce que ta venue à un rapport avec ce qu’il se passe dans le désert d’Horarem ?
Pour toute réponse, le mage reçoit en pleine face un rire strident.
- Parle !
Thanis hausse la voix, et un nouveau crépitement violet s’échappe de ses mains. Dans un nouveau râle, la créature répond.
- Nous allons... déferler sur vous. Vous n’y pouvez rien. Mille ans que nous nous préparons… L’arme qui vous a sauvé jadis n’est plus. Adieu stupides gardiens !
Dans un sursaut de vitalité, deux chaînes terminées par une pointe se lèvent brusquement. Les pics se dressent à quelques centimètres du cou du Kyton et le transperce. Thanis est éclaboussé de sang. Il se relève précipitamment et ne prend pas le temps de s’essuyer.
- Plus aucun doute, nous avons bien affaire à une invasion extra-planaire. Ce Kyton est issu du plan démoniaque…
- Il a parlé d’une arme, remarque Carseb, rangeant ses dagues.
Une lueur émane de Fitz. Il soigne ses blessures, elles ne saignent plus. Seul le sang séché sur sa face et la balafre encore visible témoigne de la brutalité de l’affrontement. Rien qu'il ne puisse faire disparaître à l'aide d'enchantements.
- Tu saurais ce que c’est, Thanis ? demande-t-il.
- Aucune idée, les ouvrages ne font pas mention d’une arme qui nous aurait sauvé, nous devrions interroger Maurose… Toujours est-il que la situation est différente, une arrivée si massive n’est pas normale. Lors de la grande guerre, nous avions affaire à des batailles de faibles envergure, les démons frappaient au hasard. C’est pour cela que ce conflit a duré si longtemps, les forces ennemies n’étaient pas nombreuses, mais ils attaquaient toujours à un endroit différent et imprévisible.
- Pas le temps pour un cours, coupe Carseb, espérons que Markal sait ce qu’il fait.
- Allons donner l’alerte, acquiesce Fitz. Avec le raffut que nous avons fait, j’ose espérer que tout le monde est debout !
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