Un silence de mort les entoure depuis l'annonce. Carseb rompt ce silence en poursuivant.

 - Fitz a donné sa vie pour libérer le vers pourpre. Grâce à lui, mon plan a fonctionné au-delà de mes espérances. Il nous a fait gagner plusieurs heures, trois à mon avis. Ils doivent gérer une bête colossale et dans une fureur noire. Je les ai perdus de vue quand le soleil a passé le zénith.

 Personne n’ose parler, ils ont écouté attentivement ce qu’a dit le voleur. Une larme roule sur la joue de Thanis qui s’empresse de baisser la tête pour la cacher.

 - Nous honorerons sa mort, déclare lentement Roland. C’était un brave et les braves meurent au combat. Aujourd’hui…Il sauve l’empire.

 Ses paroles résonne comme une oraison funèbre. Chacun reste silencieux, regardant le sol, perdu dans ses pensées. La mort de Fitz va laisser un grand vide à La Guilde. C’était leur père à tous. Rien ne sera plus jamais pareil.

 Merde…Connerie…Putain de démons, j’espère que le vers vous a fait votre fête...Relève la tête Thanis, si tu t’effondres s’en est finit de notre petite résistance.

 Il s’ébroue, retient une seconde larme qui perle au coin de son œil et reprend les commandes.

 - Si nous ne voulons pas que son sacrifice soit vain, au boulot ! Nous avons une tour à défendre et ce n’est pas en restant ici à nous lamenter que nous réussirons. Fitz est tombé, d’autres tomberont. C’est triste, mais c’est comme ça. Ne perdons pas espoir et tout ira bien ! Carseb, tu pourras t’adresser à tous pour annoncer la mauvaise nouvelle ?

 - Je le ferais, dit-il tristement.

 Ils se mettent alors à échanger quant à l’avancée des préparatifs de chacun. Roland, Vahya, Roplarm, Kozne, tous y passent. Satisfait, Thanis les renvoient chacun dans leur bataillon respectif en vue de la bataille. Il faut dorénavant se tenir prêt au combat, l’heure n’est plus à l’organisation mais à l’attente.

 Carseb redescend de la tour, accompagné des autres. Il a le cœur lourd. Il fait ce qu’il peut pour mettre de côté ses doutes et ses peurs et s’adressent aux troupes. L’annonce de la mort de leur chef est un coup que tous accusent plus ou moins facilement. Le demi-elfe ne prend pas de pincette. Il raconte factuellement les évènements, souaithant ainsi inspirer dans le cœur des Hommes ne serait-ce que le quart de la bravoure de Fitz.

 Puis ils se dispersent. Chacun à son poste, tout le monde sait ce qu’il a à faire. Thanis, Vahya et Carseb, ainsi que quelques mages sont au sommet de la tour, pour superviser la bataille.

 Puis vient l’attente.

 Une heure.

 Puis deux.

 Puis trois.

 Qu’est-ce qu’ils foutent ? pense Thanis. J’espère qu’ils n’ont pas changé de cible…

 Le vers a dû faire plus de dégâts que je ne le pensais, se dit Carseb. Tant mieux…

 Soudain, un aigle surgit des frondaisons et vole droit jusqu’à la tour, il rejoint le bras de Vahya. Il émet une série de cris stridents à l’oreille de la druide puis s’envole comme il est arrivé.

 - Ils sont là, déclare-t-elle froidement. Essaims de Quasits et Vrocks chargés.

 Thanis saute sur ses pieds et avale une petite pilule de couleur bleu clair. Il se met à parler, sa voix est reconnaissable mais à un volume sonore inouïe. Il parait s'exprimer normalement, sans plus d’efforts, mais sa voix porte sur des dizaines de mètres.

 - Préparez-vous, ils arrivent. Battez-vous comme si votre vie en dépendait, car c’est le cas ! On va accueillir ces fils de putes comme il se doit ! Ils vont arriver par le ciel, tout ce qui touche le sol doit être éventré.

 Deux des mages présents au sommet de la tour s’asseyent dans un cercle tracé au charbon auparavant. Face à face, ils ferment les yeux et se mettent à méditer. Entre eux commence à crépiter une énergie rose pâle. Celle-ci ne tarde pas à former un rayon fusant vers le ciel qui se sépare en un dôme au-dessus de leurs têtes. Celui-ci touche le sol, englobant la tour et le terrain dégagé, jusqu’à l’orée de la forêt. Thanis a expliqué que ce bouclier d’énergie permettra de retenir les troupes à pieds. Malheureusement, tout ce qui arrivera par le ciel ne sera pas arrêté. Cela permettra de n’avoir à gérer qu’une chose à la fois. Jusqu’à ce que le bouclier cède bien sûr…

 Le bouclier a à peine le temps de toucher le sol que les premiers essaims de quasits apparaissent. Ils approchent vite. Un essaim plus rapide que les autres traverse le dôme de lumière, seul. Aussitôt, un bruit strident emplit l’air. Un son abominable, à faire dresser les cheveux sur la tête. Le bouclier barrait le son que produisent ces créatures avant qu’elles n’entrent. Au sommet de la tour, la peur devient palpable.

 A peine les créatures passent la barrière magique qu’une boule de feu fuse. Elle percute de plein fouet la nuée, qui se met à crépiter et à se tordre en tous sens. Le bruit aigu cesse presque immédiatement, remplacé par un rire sonore, sadique et sournois. Ils se retournent vers Thanis, les mains encore fumantes du projectile qu’il vient de lancer. L’effet de sa pilule n’a pas fini de faire effet, on l'entend dans tout le dôme.

 Quand l’essaim touche le sol, il explose dans une gerbe d’étincelle, une clameur s’élève depuis le pied de la tour. Des hourras et des cris de guerre retentissent.

Crâneur va…pense Carseb, fatigué mais amusé.

 L’euphorie est de courte durée, les autres nuées se rassemblent à l’extérieur du dôme. Elles sont nombreuses et s’amassent dangereusement, cachant le soleil. Le silence se fait, à mesure que le ciel s’assombrit.

 De près, ces monstres sont encore plus hideux que la description qui a été faite. Longue et fine, cette petite créature est vaguement humanoïde. De la taille d’une chauve-souris, ses mains et ses pieds se terminent par des ongles démesurés et griffus. Sa peau est verte, couverte de pustules et sa bouche est garnie de crochets acérés et recourbés.

 Soudainement, les Quasits passent à l’attaque. Ils pénètrent le bouclier et fondent sur leurs ennemis. Thanis et ses mages font pleuvoir le feu vers les nués. Ils en brûle une bonne partie, mais elles sont trop nombreuses. Elles évitent la tour, son sommet s’étant transformé en véritable lance-flammes. Les créatures foncent au sol, pour attaquer les hommes à pieds. Les mages ne tirent pas vers la terre, de peur de toucher leurs propres troupes.

 Au sol, c’est l’anarchie. Les quasits harcèlent les Hommes, s’accrochant à chaque centimètre carré de peau nue et mordant la chair. Des cris retentissent, poussés par ceux qui se font dévorer vivant.

 La plupart lâchent leurs armes, préférant se battre à mains nus contre ces minuscules créatures. Il vaut mieux ne pas risquer de couper le bras de son ami en voulant en décapiter un…La technique consiste donc à s’emparer de l'ennemi par les ailes, la tirer brutalement et les lui arracher. Les cris de douleurs fusent alors de plus belle, les Quasits étant fermement accrochés à l’aide de leurs petits crocs. Mais il vaut mieux perdre un morceau de bras que se faire submerger et dévorer.

 Dans les étages de la tour, Kozne hurle

 - Abandonnez vos arcs ! Imitez Roland et ses Hommes, ne les laissez pas vous dévorer. Tirer des flèches n’est d’aucune utilité, ils sont trop petits !

 Au sommet de la tour, ils se défendent comme ils peuvent, protégeant les deux mages au bouclier. Ils sont plus épargnés, du fait de leur forte puissance de feu. Les Quasits hésitent à les attaquer.

 Tant mieux, se dit Thanis. Au moins on peut évaluer la situation.

 Il se penche pour regarder ce qu’il se passe au sol. Des cadavres, des os d’un blanc nacré éclatant, littéralement sucée jusqu’à la moelle commence à joncher le sol.

 Merde, comment s’en débarrasser ? Ils sont trop nombreux, quand on en tue un, trois le remplacent.

 La lumière commence à se refaire dans le dôme, les Quasits ne se massent plus à l’extérieur. Maintenant ils sont à l’intérieur et harcèlent la tour…

 Il contacte mentalement Kozne.

 - Quelle est la situation dans la tour ?

 - Ça va, Thanis…On est assaillit, mais on s’en sort. Mieux que ceux à terre en tout cas.

 - Une idée peut-être ? demande le mage. On peut pas juste les cramer, ils sont trop nombreux.

 - Maintenant qu’ils sont entrés pour la plupart, j’ai bien une proposition. J’ai essayé ça tout à l’heure, ils n’ont pas l’air bien solide ça devrait marcher.

 - quoi devrait marcher...?

 Kozne rompt le lien avec le mage.

 Quel petit con, râle-t-il pour lui même.

 - Armez les Uskjacl ! hurle Kozne dans la tour. C’est le moment !

 Son ordre est relayé dans tous les étages où sont présents des archers. Thanis, du sommet continue à lancer des déluges de feu. Pour sa part, aucune perte n’est à déplorer pour l’instant. Carseb s’occupe des Quasits qui s’enhardissent et approche d’un peu trop près. Il fait preuve d’une précision chirurgicale avec sa petite dague, découpant et transperçant à tout va.

 De leur point d'observation, ils sont témoins de la suite des évènements. Des Vrocks pénètrent le dôme. Bien plus gros que les Quasits, ils ne sont pas armés, mais une seule de leurs griffes est plus longue qu’une dague. Leur bec crochu et acéré est fait de plaques de chitine.

 Des babaus sont devant le bouclier, qui remplit son rôle. Ils sont à pieds et ne peuvent pas passer. Ils frappent à l’aide de courtes épées, faisant jaillir une gerbe d’étincelles à chaque coup. Leur peau est noire comme le cuir. Derrière leurs oreilles pointues, à l’arrière de leurs crânes pousse une unique corne recourbée. Une large bouche garnie de dents démesurées occupe la moitié de son visage.

 Thanis hurle, en direction des escaliers.

 - Kozne !!

 - Ça vient, Ça vient !! crie une petite voix lointaine.

 - Il faut qu’on se débarrasse des Quasits, Roland ne pourra pas contenir ces assauts cumulés…réfléchit Carseb à haute voix.

 Comme paraissant répondre à sa demande, il voit surgir des flèches depuis les ouvertures de la tour. Ressemblant à des projectils classiques au premier abord, un œil avisé remarquera qu’elles tournent sur elle-même. D'un seul coup, elles paraissent s’ouvrirent, comme une fleur déploie ses pétales au printemps. Des baguettes fines de bois tourbillonnent, formant autour de la flèche une hélice tournoyant follement. L’une d’entre elle atteint une nuée de Quasit qui se fait littéralement déchiqueter. Des morceaux de créatures volent en tous sens, à mesure que la flèche décime l’essaim. Elle finit sa course dans le flanc d’un Vrock mal habile, qui n’a pas su l’éviter.

 - Ouais !! exulte Thanis.

 - Des Uskjacl…dit Carseb, impressionné. Où est-ce qu’il a appris à faire ça ? Je n’en avais jamais vu en vrai.

 La situation évolue soudainement en leur faveur. Les drôles de flèches volent en tous sens. Les archers les plus habiles font d’une pierre deux coups. Ils arrivent à faucher des essaims et toucher des Vrocks en un seul tir. Carseb a aussi dégainé son arc, canardant les assaillants. Les demi-vautours sont plus faciles à atteindre et il s’en donne à cœur joie. Il vide la moitié de son carquois en quelques minutes, abattant une dizaine de créatures ailées à lui tout seul.

 Quel connerie cet arc en bois…pense-il. Quand je pense à Bozfer, abandonné dans le désert…J’aurais fait trois fois plus de dégâts avec. Rien ne vaut les arcs que font pousser les elfes.

 Il regarde avec envie Vahya, à ses côtés qui tirent avec l’un de ces arcs. La demi-elfe n’a pas à rougir de ses performances, elle fait aussi un carnage parmi les troupes ennemies.

 Les mages ont aussi changé de tactique, face aux nouveaux assaillants. Ils tirent maintenant des éclairs qui fusent du bout de leurs doigts, zébrant le ciel d’une lumière aveuglante, malgrès le soleil.

 Au sol, les Quasits ont été maîtrisés, ils sont de moins en moins nombreux. La plupart des Hommes ont repris leurs armes prêt à se battre contre les Vrocks. Quelques essaims de Quasits harcèlent encore les troupes, mais ce n’est plus un danger majeur. Maintenant, ce sont les demi-vautours. Une bataille s’organise contre les assaillants. Roland coordonne ses troupes pour qu’elles soient le plus efficace possible.

 Les partisans de La Guilde n’ont pas d’expérience dans le combat rangé, mais chacun s’emploie à faire du mieux qu’il peut. Les têtes volent, le sang gicle, la brutalité du combat est sans égale. Les cris stridents des monstres sont accompagnés des grondements gutturaux des guerriers qui entrent en rage du Berseker, à l’aide des potions de Roplarm. Celui-ci est d’ailleurs à la tête de l’équipe d’invocateurs. Ils appuient au mieux les troupes au sol, en invoquant des élémentaires ou soignant des combattants.

 Rapidement, le champ de bataille aux abords de la tour se transforme en scène de fin du monde. Des élémentaires de terre, ou d’eau apparaissent et disparaissent, les Hommes crient de rage, animés par la fureur du combat. La terre craquelée se gorge de sang, constamment inondée.

 Roland garde un œil sur le bouclier, pour vérifier que d’autres troupes d’envahisseurs n'envahissent pas le périmètre. Si c’est le cas, leur plan est bien ficelé.

 Carseb cherche un chef à abattre, mais il n’en remarque pas. Leurs ennemis paraissent agir anarchiquement, simplement guidés par leur soif de sang et de carnage.

 Les Vrocks se concentrent au sol. Au moins ici, il risque moins les flèches des archers ou les éclairs des mages, qui peuvent surgir de nul part dans les airs. Ils pensaient submerger les Hommes à pieds, mais ils résistent. Constamment soignés par les mages, alliés aux élémentaires, la situation au sol n’évolue en faveur d’aucun des deux camps.

 Les créatures changent alors de tactique. S’ils sont incapables de les submerger par les airs, ils attaqueront par la terre. D’un accord commun, sans qu’aucun ordre ne soit donné, obéissants à une intelligence collective, les Vrocks désengagent le combat. La plupart réussissent à s’envoler et foncent vers le sommet de la tour. Carseb et Vahya canardent leurs assaillants. Thanis et ses mages les foudroient. Mais ils sont trop nombreux et bientôt, ils posent pieds sur la tour.

 - Repliez-vous hurle Carseb pris de panique. A l’intérieur !

 Tous s’exécutent, sans discuter. Le voleur reste à la porte, faisant passer ses amis dans le sombre couloir. Seul les deux mages au bouclier ne bougent pas.

 Alerté par le bruit, Kozne fait irruption dans les escaliers. Il est haletant, le front en sueur, une flèche encochée.

 - Quelle merde ! s’exclame-t-il. Qu’est-ce que vous fichez.

 - Les vrocks attaquent le sommet.

 - Thanis, crie Carseb. Qu’est-ce qu’ils foutent tes collègues ?!

 - Ils sont en transe…

 - Mais ils vont se faire tuer ! Et notre bouclier tombera !

 - Rien ne les arrêtera, à moins d’un choc.

 - Si ce n’est que ça…s’exclame Kozne en laissant échapper un petit rire sans joie.

 Il joue des coudes dans le couloir pour se frayer un chemin jusqu’à l’encadrement de la porte où Carseb se tient. Les Vrocks commencent à s’approcher prudemment des deux mages qui n’ont pas conscience du danger. Le demi-elfe comprend l’intention de Kozne.

 - A mon signal.

 Le jeune homme hoche la tête.

 - Maintenant ! Crie Carseb.

 Il s’élance à découvert vers les mages. Kozne bande son arc et tire. Une première flèche atteint la main d’un des magiciens. Une deuxième siffle au-dessus de Carseb et vient se planter dans le talon du second. Armé de sa dague, le demi-elfe tranche la gorge d’un Vrock qui lui tourne le dos. Il saute au-dessus de son cadavre et attrape les mains valides des mages déboussolés.

 Mais au moins ils ont les yeux ouverts ! Il les tire de toutes ses forces, ne leur laissant pas le temps de comprendre ce qu’il se passe. Kozne et les mages noient leurs poursuivants sous un déluge de flèches et d’éclairs, depuis l’intérieur de la tour.

 Une fois qu’il se retrouvent tous en sécurité dans l’enceinte close, ils barricadent l’entrée. Derrière eux, les Vrocks quittent le sommet, mission accomplie. Lentement, le dôme rose pâle se désagrège.

 Ils entendent depuis la terre, la voix de Roland.

 - Babaus !!"