Chapitre 23
Par Julien Neuville: https://www.atelierdesauteurs.com/author/559679119/julien-neuville
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Le petit appartement de la jeune femme avait été pris d’assaut par l’équipe technique, comparable à une armada de chercheurs en rétro-ingénierie. Chaque pièce, chaque meuble, chaque fibre passait sous leurs rayons, plumeaux, bandes adhésives et poudres réactives.
Pascal avait à peine quitté les bureaux d’InVivas que son téléphone sonnait. Ses deux techniciens étaient en train de siroter un café au rez-de-chaussée de l’immeuble Carpe Diem quand l’ordre de se rendre à l’appartement était tombé. Un quart d’heure plus tard, ils retrouvaient Charlotte dans la chambre, occupée à photographier la table de nuit et le corps sans vie de Sonia Vitali en attendant que Liliane, toujours occupée à l’autopsie de Joseph Marhic, puisse se libérer.
— Sacrée matinée, hein ? lança la jeune femme au technicien en chef.
— M’en parle pas. Ton appel pour nous prévenir que le gars qui a tué le plus important patron de l’immeuble était peut-être encore sur place nous a foutu une sacrée trouille. Ton binôme est arrivé dans la foulée, et on allait s’isoler pour débriefer sur la suite à gérer sur place quand Garcia nous a prévenus pour…(il jeta un œil au corps qui gisait sur le lit).
— Ça se présente comment là-bas ?
— Garcia t’a collé William. Il a fini l’interrogatoire du fils Marhic juste avant de nous rejoindre. Et il est pas venu seul. La BAC est sur place, ils bouclent l’immeuble et fouillent pièce par pièce. Si l’assassin est encore sur place, il quittera pas les lieux sans escorte, ou sans civière.
Charlotte hocha la tête, rassurée.
— T’as quelque chose ? reprit Pascal en fronçant les sourcils vers le corps.
— Oui, j’ai trouvé des traces de griffure dans son dos, à priori récentes.
La jeune femme montra du doigt le dos de Sonia Vitali, qu’elle avait découvert délicatement en soulevant la couette. Plusieurs marques de griffures parallèles étaient nettement visibles sur chaque omoplate.
— Bon je te laisse, préviens-moi quand tu as fini ici. On n’est pas au bout des prélèvements, tu t’en doutes.
Charlotte acquiesça et poursuivit ses observations, en essayant de mettre de côté les questions qui restaient en suspens, dans une tentative précoce d’assembler toutes les pièces.
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Tandis que Pascal et ses gars balisaient les lieux et s’affairaient, la lieutenante s’était assise sur une chaise de la cuisine ouverte pour feuilleter un carnet sur lequel les stickers commençaient à se décoller aux coins : le journal de Sonia, qu’elle avait extirpé de sous le lit avec un gant Mapa fourni par la gardienne avant que Pascal n’arrive. Charlotte tournait les pages délicatement, sa main droite déjà humide de sueur. La jeune femme évoquait ses études, ses doutes et son village de Corse qui lui manquait depuis qu’elle avait rejoint la capitale, ainsi que son apparent désert affectif.
Moins de 24h après la mort de Joseph Marhic, la femme dont le nom était apposé sur une carte de visite dans ses bureaux était retrouvée morte chez elle, visiblement suite à une absorption massive de somnifères. Il n’en fallait pas davantage pour susciter chez Charlotte un mélange de colère, de honte et un désir de vengeance amère. Elle avait la nette impression d’être prise pour une marionnette, et les éléments semblaient s’accumuler dans le mauvais sens, comme un puzzle qui commence à ressembler à tout sauf à l’image sur la boite, de ces marques dont les pièces peuvent s’emboîter à plusieurs endroits sans problème, et rarement au bon emplacement.
Immédiatement après avoir prévenu Pascal, elle avait informé son chef Pedro Garcia, en gardant pour elle la façon dont elle avait obtenu l’adresse auprès de Georgie Ferrera, et sans évoquer non plus la présence d’un flic la nuit précédente chez Sonia Vitali. Elle était entrée en terrain miné, et le moindre faux-pas était susceptible de lui coûter à minima son poste.
La lieutenante feuilleta les pages du journal plus rapidement, lorsque l’un des techniciens l’interpella.
— Mademoiselle Evra ? Vous devriez venir voir ça.
Charlotte se leva en posant le carnet sur le plan de travail, puis se dirigea vers le technicien, accroupi dans la salle de bains attenante à la chambre.
La lieutenante le contourna, les sourcils relevés en une moue interrogative.
— Alors Max, qu’est-ce que tu as pour moi ?
— Pour vous, j’aurais une vie entière, mais une soirée au resto serait déjà un bon début…
La jeune femme sourit, avant de mouliner avec la main.
— Accouche.
— Vous croyez pas si bien dire…
Le technicien leva vers Charlotte un bâtonnet en plastique blanc, dans lequel un orifice laissait apparaître deux bandes bleues verticales.
— Je l’ai trouvé dans la poubelle.
— Est-ce que…
Max hocha la tête.
— Oui, j’ai vérifié la notice, c’est un test classique. Deux barres, c’est positif…
La jeune femme sentit son cœur chuter jusqu’à ses chevilles.
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