Chapitre 1 - J -365 (3 mars)

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Il se prit la tête entre les mains une énième fois et un soupir s’échappa de ses lèvres. Il récupéra le calendrier à ses côtés, regardant la petite phrase inscrite sous la date du jour.

3 mars 2004 –

Joyeux 17ème anniversaire moi-même

Il reposa l’objet sur la table et se leva lentement, le corps engourdi de fatigue. Il s’approcha de la fenêtre et l’ouvrit, laissant ses idées noires s’envoler avec la brise de la nuit. Les étoiles brillaient dans le ciel noir, réchauffant doucement son corps fatigué. Un mince sourire s’était dessiné sur ses lèvres.

C’était décidé. Dans une année, jour pour jour, il se suiciderait.

***

Il contemplait encore le ciel noir lorsqu’il entendit quelqu’un rentrer dans sa petite chambre. Il tourna la tête et découvrit une petite infirmière devant sa porte. Ses cheveux bruns relevés en une unique couette lui disaient quelque chose. Comment s’appelait-elle déjà ?

« Joyeux anniversaire Sirius. »

Elle lui offrit un grand sourire. Ah oui, voilà, Marie.

« Merci Marie. »

Il ne fit pas l’effort de sourire. Qu’importe au fond. Il mourrait dans tous les cas. La femme garda un sourire léger sur les lèvres et s’approcha pour récupérer les draps du lit après avoir rapidement déposé un plateau sur la table de chevet du garçon.

Elle ne se formalisait plus de son caractère depuis longtemps. Après plus de cinq ans passés ici, rien n’avait vraiment changé, si ce n’est sa santé qui se dégradait de jour en jour. Son temps passé sur terre étant compté, elle préférait le laisser tranquille, pour qu’il profite de sa courte vie à sa manière.

Il n’avait l’air ni heureux, ni malheureux. Après tout, peu lui importait de vivre ou mourir. Il voulait juste qu’on lui fiche la paix.

« Je me doutais que vous ne dormiriez pas à cette heure-ci alors je me suis permise. Je vais changer vos draps, profitez-en pour manger un peu. Je vous ai fait un gâteau.

  • Merci Marie. »

L’infirmière repartit rapidement et Sirius s’approcha du plateau qu’elle avait laissé. Il y trouva une part de tarte aux pommes. Il n’aimait pas particulièrement les gâteaux mais il appréciait l’attention. Un peu.

Il mangea tranquillement, assis sur la chaise destinée aux visites à côté de son lit. Il l’utilisait donc pour lui-même, puisque de toute façon personne ne venait jamais. Il n’avait pas vraiment d’amis à l’orphelinat et ce n’était pas un cancer qui allait changer ça. Ses frais d’hôpital étaient payés avec l’argent laissé par ses parents après leur mort, mais il en arriverait bientôt à court. Dans 2 ans, tout au plus.

Mais peu lui importait maintenant. De toute façon, il ne serait plus là. Son traitement ne marcherait pas et il le savait, il avait entendu les médecins en parler entre eux. Avec le peu qu’il possédait, il ne pourrait jamais se payer les soins appropriés. Tant pis.

La vie n’avait rien d’intéressant de toute façon. Les gens dans la sienne étaient fades et sans couleur, rien qu’un troupeau de moutons sans volonté, incapables de penser par eux-mêmes. Marie aussi était comme eux. Mais il l’aimait bien Marie. Du moins, un peu plus que les autres. Juste un peu.

Parfois, il se disait qu’il aurait bien aimé avoir un ami qui partagerait ses pensées. Quelqu’un à qui il pourrait parler quand la nuit se faisait trop longue ou que le bruit de la ville était trop entêtant. Il aimerait pouvoir parler à quelqu’un des poèmes qu’il découvrait chaque matin, de ces auteurs qui transformaient ses nuits en jours de leurs vers aux milles reflets.

Il reposa délicatement l’assiette sur le plateau et son regard se posa sur le petit carnet vierge que Marie lui avait offert pour son premier anniversaire à l’hôpital, 5 ans plus tôt. Il n’avait jamais rien eu à écrire dedans alors il restait là, posé sur le bureau à prendre la poussière.

Sirius se leva et s’assit sur la table, muni d’un crayon. Il commença à écrire. A qui, il l’ignorait. A lui, au monde, à quelqu’un… Quelle importance ? Il écrivait, c’est tout. Le grattement doux de son stylo sur le papier le détendait, tandis que les mots prenaient forme sur la page.

Mercredi 3 mars

Moi, c’est Sirius. Et Sirius c’est moi. Enfin, je crois.

Aujourd’hui je vous écris, à vous qui lisez ces lignes. J’ignore qui vous êtes, et vous ignorez qui je suis.

Parfois je pense que j’ignore aussi qui je suis moi-même. Peut-être aurez-vous la réponse.

J’écris mes pensées dans l’espoir qu’elles tombent entre des mains amies. Peut-être aurez-vous de la compassion pour un jeune garçon malade et solitaire ?

J’écris puisque je vais mourir. A la prochaine floraison des myosotis, je ne serai plus là. Les fleurs sortiront sans moi cette fois.

Durant cette dernière année, j’ai le ridicule espoir de peut-être, pour une fois, me faire un ami. Je manque de conversation ici. La ville est grande et bruyante et les gens marchent sans jamais s’arrêter dans un brouhaha incessant qui me donne mal à la tête. En fait, quand je sors j’ai l’impression d’étouffer.

D’étouffer sous un voile de mensonges, d’anxiété et d’inquiétudes.

Je vais sur le toit de l’hôpital parfois le soir et j’écoute les voitures qui roulent. Il ne fait jamais vraiment nuit ici. Les enseignes des magasins font briller la ville de leurs lumières aveuglantes. J’aimerais bien voir une nuit noire un jour. Peut-être avez-vous déjà eu la chance de contempler un ciel noir, éclairé uniquement par la lumière des astres qui s’y trouvent ?

Je vous parlerais de tout et de rien à la fois, si vous désirez m’écouter. Je vous écrirais parfois des vers, inspirés par les poètes d’autrefois.

‘’Les meilleurs sont les vers qu'on ne finit jamais,,1

Il est vrai que les miens s’évaporeront avec moi dans quelques temps mais je vous promets que je vous écrirai tant que mon cœur battra, dès l’instant que vous voudrez bien de moi.

Sirius. Enfin je crois.

Sirius arracha la page qu’il venait de remplir du carnet. Il repartit près de son lit et attendit patiemment que l’infirmière lui ramène des draps propres. Il somnolait quelque peu, mais tâcha de se maintenir éveillé. Un petit bruit le sortit de son demi sommeil.

La femme venait d’ouvrir la porte, des draps propres à la main. Il se leva et elle commença à refaire son lit.

« Marie, pourriez-vous m’apporter une enveloppe et un timbre s’il vous plaît ? Je serais bien allé en acheter moi-même mais je ne suis pas sûr d’être capable d’aller jusqu’au magasin. »

La petite femme parut surprise à cette demande mais elle se reprit bien vite et se mit à sourire.

« Bien-sûr Sirius. Je sais que tu as du mal à te déplacer ces derniers temps. J’en parlerai aux médecins. »

Elle termina son travail et partit joyeusement, l’assiette vide de gâteau dans les mains. Lorsqu’elle revint dans la chambre durant la matinée, elle trouva le garçon endormi sur son lit. Son visage était paisible, lavé de toute l’indifférence et de toute la souffrance qu’il exprimait habituellement. Marie sourit tendrement et déposa l’enveloppe sur sa table de chevet.

Elle connaissait Sirius depuis longtemps maintenant et savait que ce genre de moments étaient rares. Il dormait et mangeait peu. Il ne parlait pas beaucoup non plus, comme si rien ne semblait avoir d’importance à ses yeux. Les autres infirmières avaient fini par en avoir marre et se contentaient simplement de faire leur travail, sans lui prêter plus d’attention que nécessaire. Mais Marie, elle, trouvait en ce garçon qu’elle chose d’attachant qui la poussait à lui donner un peu de son temps parfois.

Sirius n’avait personne, c’était ainsi. Alors elle s’occupait de lui comme elle le pouvait, et parfois en le regardant, elle avait l’impression de voir ses yeux briller un peu plus d’avoir enfin quelqu’un.

***

Lorsque Sirius émergea de son sommeil, le soleil brillait déjà haut dans le ciel. Il s’étira et sortit du lit pour récupérer sa lettre qu’il avait laissée sur le bureau. Il prit l’enveloppe que Marie avait dû déposer à côté de lui un peu plus tôt et y glissa la feuille.

Il récupéra son stylo et se stoppa un instant. Il prit son téléphone et ouvrit une carte avant de cliquer complètement au hasard sur celle-ci. Une petite maison de campagne entourée de grands bois était maintenant affichée sur l’image.

Elle était jolie. Il inscrivit l’adresse de la bâtisse sur son enveloppe avant de la fermer précautionneusement. Il ne prit pas la peine de s’habiller et sortit de sa chambre, encore en pyjama, et prit la direction de l’accueil.

En chemin, il croisa quelques infirmières qui le regardaient étrangement. Il s’accrochait aux rebords des fenêtres pour éviter de chuter. A mesure qu’il approchait de son but, il sentait ses muscles s’engourdir. Ses traitements le fatiguaient tandis que sa santé continuait de se dégrader lentement au fil des jours.

Il était tout de même heureux que n’avoir que des douleurs légères. La fin serait proche lorsqu’il ne pourrait plus se déplacer de lui-même.

Il arriva enfin à l’accueil et s’approcha du comptoir où se trouvait une jeune réceptionniste. Elle sursauta légèrement en le voyant.

« Monsieur Sirius, qu’est-ce que vous faites ici ? Vous devriez vous reposer dans votre chambre, vous avez une séance de radiothérapie cet après-midi ! »

Tiens, elle le connaissait ? Son visage ne lui disait rien. Jamais personne ne lui disait rien. Il ne retenait pas les visages. Lui, il se rappelait des mots, des odeurs, des sons, des ressentis.

Marie sentait la fraise. La framboise parfois, lorsqu’elle s’était fait un soin des cheveux la veille. Et quand elle était là il faisait calme dans la pièce. Un peu plus chaud aussi, c’était réconfortant.

« Monsieur Sirius est-ce que vous allez bien ? Est-ce que je dois aller chercher un médecin ? »

Il se rappelait d’elle maintenant. C’était cette fille irritante qui puait le parfum et parlait toujours avec des « Est-ce que ». Il grogna d’agacement et lui jeta un regard noir qui la fit taire. Il lui tendit vivement la lettre.

« Postez ça. Au revoir. »

Il repartit sans attendre sa réponse, les mains enfoncées dans les poches de son jogging. Il jeta un coup d’œil à l’extérieur et décida de descendre au jardin de l’hôpital.

Il aimait s’y rendre régulièrement pour observer les plantes et les animaux qui s’y trouvaient mais il aimait particulièrement y aller au début du mois de mars pour observer les myosotis éclore dans la douce fraîcheur hivernale.

1Edmond Rostand, Les Musardises, 1911

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