Chapitre 2 - J -361 (6 mars)

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Le réveil d’Angélique se mit à sonner bruyamment, la sortant de son précieux sommeil. Elle se leva, le pas traînant, et se dirigea vers son armoire. Elle en sortit son uniforme scolaire qu’elle enfila rapidement avant de rejoindre la petite cuisine de la maison.

Elle se servit un bol de céréales qu’elle mangea tranquillement, assise sur le rebord de la fenêtre du salon. Sa mère descendit quelques minutes plus tard dans la pièce, l’air encore mal réveillé.

« Bonjour ma chérie. »

La femme étouffa un bâillement et Angélique lui sourit joyeusement.

« Bonjour maman ! »

Elle retourna dans la cuisine, lava rapidement son bol et sa cuillère avant de récupérer son sac et d’enfiler ses chaussures.

« A ce soir maman !

  • Passe une bonne journée ma chérie. »

La jeune fille sortit de la maison, laissant l’air frais du mois de mars rafraîchir ses joues. Elle se dirigea rapidement dans la petite cabane en bois à côté de la maison où se trouvait son père pour lui dire au revoir.

Lorsqu’elle entra, l’homme était assis sur son vieux tabouret, entouré de débris de bois, une scie entre les mains. Il stoppa son travail en voyant sa fille.

« Bonjour ma puce. Ne sois pas en retard pour l’école.

  • Bonjour papa. Ne t’inquiète pas, je me dépêche ! »

Elle déposa un bisou sur la joue de son père et partit tranquillement. L’homme la regarda partir, un sourire aux lèvres. Il était très fier de sa petite fille. Bien qu’elle n’ait pas souvent de bons résultats scolaires, elle restait toujours joyeuse et passionnée, s’entraînant chaque jour à perfectionner ses peintures.

Dans leur petite famille un peu particulière, l’important pour ses parents était qu’elle soit heureuse. Le reste leur importait peu.

Angélique prit tranquillement le chemin de l’école, son appareil photo à la main, s’arrêtant de temps à autre pour photographier les insectes qu’elle croisait sur sa route.

Une fois arrivée dans la salle de classe, elle posa son sac à ses pieds et posa sa tête dans sa main et soupirant, déjà lassée de cette journée de cours. Les leçons de ses professeurs étaient longues, ennuyantes et sans intérêt. Le seul prof qu’elle aimait bien était son professeur de littérature, Mr. Clézio. Il savait toujours quels livres lui conseiller ou quels films regarder pour s’occuper les longues soirées d’hiver.

Elle l’aimait bien, monsieur Clézio.

***

Elle reprit le chemin de sa maison en fin de journée, lassée de ces cours interminables. Elle passa récupérer le courrier qu’elle déposa nonchalamment sur la table, avant de trier les différentes lettres reçues.

Elle trouva une ou deux factures qu’elle déposa sur le buffet, quelques pubs qu’elle jeta rapidement à la poubelle, ne leur trouvant aucun intérêt. Elle récupéra une lettre de commande de sculpture et alla à l’atelier de son père pour la lui amener.

Lorsqu’elle entra, il était en train de peaufiner les détails d’un petit aigle en bois.

« Oh bonjour ma puce ! Comment était ta journée ?

  • Ennuyante. Tu as une nouvelle commande. Tu avances bien sur ta pièce ?
  • Oui, je viens justement de le finir. Tu pourrais t’occuper de l’emballage ? Ta mère a déjà fait la carte. »

Son père lui tendit l’aigle tout juste fini et elle le prit délicatement dans ses mains, regardant avec émerveillement les détails présents sur l’oiseau.

« Bien sûr. Il y a des requêtes particulières ?

  • De ce que j’ai compris c’est une femme qui veut faire un cadeau à son grand père. Il aime les oiseaux et faisait beaucoup de randonnées quand il était jeune. J’ai une photo de lui à cette époque que la fille m’a envoyée pour l’emballage. Ça te va ? Je te l’envoie.
  • D’accord. A plus tard papa. »

Angélique partit rapidement, l’aigle à la main. Ses parents étant des artistes, ils avaient créé une boutique en ligne permettant de passer commande. Les gens appréciaient beaucoup leurs services et laissaient toujours de bonnes appréciations. Et pour cause, la famille mettait un point d’honneur à toujours faire de son mieux pour ses créations.

Sa mère réalisait surtout des broderies mais il arrivait aussi qu’elle fabrique des vêtements sur mesure comme des robes de mariée

Son père sculptait le bois, mieux que personne aux yeux de sa fille. Il avait un sens du détail qui l’impressionnait tout particulièrement. Angélique s’occupait de peindre les boîtes dans lesquelles les figurines étaient envoyées lorsque l’option était rajoutée à la commande. Cela ajoutait toujours un peu de prix à la figurine, mais les gens étaient très heureux des peintures qu’ils recevaient.

Mais ce qui plaisait le plus à la jeune fille c’est qu’elle vendait aussi ses propres créations sur la boutique. Les gens lui commandaient des peintures personnalisées qu’elle prenait plaisir à faire. Elle ne pouvait pas en produire beaucoup puisqu’elle devait encore aller à l’école mais elle avait hâte du jour où elle pourrait peindre à plein temps.

Leur entreprise familiale prospérait, leur offrant une vie simple et tranquille, rythmée par leur créativité.

Angélique retourna près de la table avant de se mettre à peindre l’emballage de la pièce de bois. Elle récupéra la dernière lettre et regarda le destinataire de celle-ci.

À : Un.e inconnu.e

De : Une âme solitaire

Elle fronça les sourcils et monta dans sa chambre, la lettre à la main. Elle s’assit tranquillement sur son lit, prenant soin de déposer l’aigle sur son bureau au préalable et ouvrit la lettre.

L’écriture était fine et élégante, un peu comme celle de sa mère qu’elle trouvait si jolie. Elle se mit à lire avec une certaine impatience, dû au côté mystérieux de la lettre.

Mercredi 3 mars

Moi, c’est Sirius. Et Sirius c’est moi. Enfin, je crois.

Aujourd’hui je vous écris, à vous qui lisez ces lignes. J’ignore qui vous êtes, et vous ignorez qui je suis.

Parfois je pense que j’ignore aussi qui je suis moi-même. Peut-être aurez-vous la réponse.


Un sourire amusé naquit sur les lèvres de la jeune fille. Ce Sirius avait vraiment de drôle de questions. Après tout, comment peut-on ne pas savoir qu’il l’on est ?


J’écris mes pensées dans l’espoir qu’elles tombent entre des mains amies. Peut-être aurez-vous de la compassion pour un jeune garçon malade et solitaire ?

J’écris puisque je vais mourir. A la prochaine fleuraison des myosotis, je ne serais plus là. Les fleurs sortiront sans moi cette fois.


Le rictus amusé d’Angélique s’efface en lisant ces mots. Mourir ? Comment ça mourir ? Et pourquoi en parler à une complète inconnue ? Cet homme devait être vraiment étrange.


Durant cette dernière année, j’ai le ridicule espoir de peut-être, pour une fois, me faire un ami. Je manque de conversation ici.


Son cœur se serra légèrement. Au fond il lui ressemblait. Un homme solitaire, sans personne avec qui discuter de tout et de rien jusqu’au bout de la nuit. Parfois ça lui manquait mais elle essayait toujours de ne pas y penser, de balayer d’un revers de la main ce vide qui résonnait dans sa tête quand elle voyait les élèves de sa classe discuter joyeusement. Elle se contentait de baisser la tête et griffonner de petits personnages dans ses cahiers. Après tout, on n’était pas amis avec la fille stupide de la classe qui n’écoutait jamais en cours.

Un soupir franchît la barrière de ses lèvres tandis qu’elle reprenait sa lecture.


La ville est grande et bruyante et les gens marchent sans jamais s’arrêter dans un brouhaha incessant qui me donne mal à la tête. En fait, quand je sors j’ai l’impression d’étouffer.

D’étouffer sous un voile de mensonges, d’anxiété et d’inquiétudes.

Je vais sur le toit de l’hôpital parfois le soir et j’écoute les voitures qui roulent. Il ne fait jamais vraiment nuit ici. Les enseignes des magasins font briller la ville de leurs lumières aveuglantes. J’aimerais bien voir une nuit noire un jour. Peut-être avez-vous déjà eu la chance de contempler un ciel noir, éclairé uniquement par la lumière des astres qui s’y trouvent.


Un demi sourire éclaira le visage d’Angélique. Elle pourrait passer des heures entières à contempler le ciel nocturne et elle adorait s’entraîner à le peindre le plus correctement possible, dans les moindres détails.


Je vous parlerais de tout et de rien à la foi, si vous désirez m’écouter. Je vous écrirais parfois des vers, inspirés par les poètes d’autrefois.

‘’Les meilleurs sont les vers qu'on ne finit jamais,,


Le visage de la jeune fille s’éclaira lorsqu’elle reconnut la phrase écrite par le garçon. Elle déposa la lettre sur son lit et partit dans le coin de sa chambre où se trouvait sa bibliothèque. Elle chercha quelques temps jusqu’à trouver l’ouvrage qu’elle cherchait. Elle feuilleta rapidement les pages, se rappelant avoir lu le poème contenant ces mots. Elle sourit en le retrouvant, confirmant ainsi l’auteur de cette phrase.

Elle n’était pas particulièrement friande des pièces et poèmes de Rostand mais c’était tout de même un auteur qu’elle admirait et dont les vers éveillaient en elle un profond émerveillement.


Il est vrai que les miens s’évaporeront avec moi dans quelques temps mais je vous promets que je vous écrirais tant que mon cœur battra, dès l’instant que vous voudrez bien de moi.

Sirius. Enfin je crois.


La jeune fille se prit la tête entre les mains, se laissant lourdement tomber sur son lit. Elle ne savait plus vraiment quoi faire. Devait-elle répondre à ce Sirius ? Ce n’était probablement pas une bonne idée de s’attacher à un homme qui comptait se suicider l’année suivante.

Pourtant, une partie d’elle-même lui soufflait d’apprendre à connaître ce garçon solitaire, qui caressait l’espoir de se faire une amie. Après tout, elle savait à quel point la solitude pouvait peser sur le cœur parfois.

Quel mal y aurait-il à lui répondre ? Un ami, ça ne pouvait pas lui faire de mal… Si ?

Oui, c’était décidé. Elle lui répondrait.

Elle s’assit à son bureau, munie d’une feuille blanche et d’un stylo et commença à écrire.

Samedi 6 mars

Moi c’est Angélique et Angélique c’est moi.

Vous me demandez qui vous êtes mais je n’ai pas la réponse, je suis désolée. Malgré cela, je pense savoir comment trouver qui vous êtes.

Si Sirius n’est pas vous, c’est parce que vous c’est autre chose. Vous, ce sont vos blessures, vos peines, vos peurs et vos doutes. Sirius, ce sont vos joies, vos rêves, votre sourire et vos espoirs.

Vous n’existe pas sans Sirius et Sirius n’existe pas sans vous. Il vous faut simplement apprendre à réunir ces deux êtres complémentaires. Et alors vous saurez qui vous êtes.

Dans les jours à venir, parlez-moi donc de vous, de Sirius, de tout. Cela devrait vous éclairer. Après tout, c’est à cela que sert un ami.

Je vous avoue que j’en ai bien besoin moi aussi. C’est fatiguant de discuter avec moi-même, je me connais tellement que je n’arrive pas à faire semblant.

Pour répondre à votre question, j’ai la chance de pouvoir observer chaque soir un ciel d’un noir profond, illuminé par des étoiles plus nombreuses chaque nuit. C’est le spectacle le plus merveilleux du monde. La lune apaise l’esprit par sa lueur et les étoiles savent quoi dire pour redonner espoir.

Ce soir, je leur demanderai de vous parler un peu.

Je suis étonnée et ravie de voir que vous connaissez Edmond Rostand. J’apprécie ses mots, qui savent comment toucher les gens au plus profond d’eux-mêmes.

‘’L'âme n'est pas sans défauts,,1

Puisque nous sommes voués à trébucher, pourquoi ne pas tomber ensemble ? On se relève plus facilement à deux.

Je suis Angélique, j’ai 16 ans, j’aime regarder le ciel le soir et photographier les animaux de ma campagne.

Je n’aime pas l’école et le bruit m’étouffe.

La vie peut sembler dérisoire mais j’en apprécie les différents aspects en avançant tranquillement. Dans le jeu de la vie, je me contente de marcher à petits pas. Je préfère regarder les autres courir que d’essayer de les suivre.

Angélique.

La jeune fille déposa son crayon, massant son poignet endolori d’avoir tant écrit. Elle glissa sa lettre dans une enveloppe et la ferma avec douceur, regardant l’adresse d’expédition du message de Sirius avant de compléter la sienne.

Elle rangea ensuite la lettre dans son sac à dos pour pouvoir la déposer à la poste lundi matin.

Elle s’assit à son bureau et récupéra l’aigle qu’elle avait délaissé quelques dizaines de minutes plus tôt. Elle saisit une boîte en carton de taille suffisante et se mit à la décorer avec soin.

La photo de l’homme envoyée par son père était affichée en grand sur son téléphone, tandis que ses doigts agiles reproduisaient le passionné d’oiseaux mis en scène sur le haut d’une montagne, regardant à travers ses jumelles un magnifique aigle royal.

Elle décida de rajouter quelques vautours dans une vallée un peu plus bas ainsi qu’une petite marmotte à moitié dissimulée derrière un rocher. Lorsqu’elle fut satisfaite de sa peinture, elle reposa la boîte pour descendre dîner.

            J -359 (8 mars)

Lorsque son réveil sonna le début de la semaine, Angélique sortit de son lit avec un léger sourire sur les lèvres. Elle enfila rapidement quelques vêtements et récupéra son cartable avant de descendre dans la cuisine, sa précieuse lettre dans sa poche, prête à être envoyée à son mystérieux correspondant.

Pendant tout le trajet jusqu’à l’école, elle avait l’impression de flotter sur un petit nuage, tant et si bien qu’elle se demanda comment elle était arrivée si vite à son pupitre.

***

La jeune fille marchait rapidement en direction de la poste. Elle qui d’habitude était toujours émerveillée par les maisons de la ville avait cessé d’y prêter attention pour se concentrer sur son objectif. Ce Sirius l’intriguait et elle avait hâte d’en apprendre plus sur lui.

Elle finit par apercevoir le bâtiment qu’elle cherchait au bout d’une rue commerçante. Son sourire du matin refit surface sur les lèvres alors qu’elle glissait la lettre dans la boîte prévue à cet effet.

Elle attendrait cette réponse avec impatience.

1Arthur Rimbaud, Derniers vers, 1872

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