Chapitre 3 - J -350 (17 mars)

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Sirius émergea lentement, son mal de crâne ne s’étant toujours pas évaporé. Sa tête semblait prête à exploser depuis maintenant plus d’une semaine, aspirant toute son énergie. Marie était passée dans la matinée lui apporter un verre d’eau fraîche accompagné d’un médicament contre la douleur mais son effet s'était déjà estompé .

Les séances de radiothérapie se faisaient plus nombreuses dans l’espoir de freiner quelque peu la propagation de la maladie. Quelle perte de temps.

Il se rappelait vaguement avoir reçu une lettre quelques jours plus tôt mais son cerveau embrumé par la douleur était incapable de comprendre pourquoi quelqu’un lui enverrait une lettre. Il était seul depuis des années maintenant.

Personne n’avait d’intérêt à lui écrire aujourd’hui. Il était seul et le resterait jusqu’à la fin de ses jours.

Un bruit sec le sortit de ses réflexions et une infirmière entra dans la chambre. Pas Marie. Dommage.

Elle n’apportait pas de vagues de chaleurs avec elle comme Marie. Elle sentait la menthe, c’était vraiment désagréable. Ses gestes étaient fluides, un peu trop. Les gestes maladroits de la vieille Marie le rassuraient, ceux de cette fille était trop parfait, synonymes de sa jeunesse et de son application.

« Bonjour Monsieur, je suis la nouvelle stagiaire. C’est moi qui m’occuperai de vous pour la journée. »

Peu importe. Il s’en fichait.

« Votre infirmière assignée est Madame Cordier, c’est bien cela ? »

Qu’est-ce qu’il en savait lui ? Celle qui venait le voir tous les jours, c’était juste Marie. Il ignora royalement la jeune fille dont le sourire faiblit légèrement.

« Bien. Pourriez-vous m’indiquer si vous souffrez d’une quelconque douleur ? »

Sirius poussa un long soupir, déjà lassé de cette conversation à sens unique.

« Une migraine. Depuis 6 jours. J’ai eu un médicament ce matin.

  • Avez-vous de nouveau mal ?
  • Oui.
  • Bien. Je vais aller vous chercher un médicament. »

Elle partit rapidement, fuyant l’atmosphère pesante de la pièce. Ce garçon lui avait paru agréable lorsqu’elle l’avait observé avant de rentrer dans la pièce mais il semblerait qu’elle se soit trompée. Il avait l’air agacé de sa présence.

Elle ne comprenait pas vraiment pourquoi d’ailleurs, elle venait s’enquérir de sa santé après tout. Elle avançait rapidement dans les couloirs, contrariée par le comportement du jeune homme.

La stagiaire fu rapidement de retour auprès du malade. Elle lui tendit le médicament ainsi qu’un verre d’eau qu’elle avait rempli au préalable. Sirius les prit sans un regard vers elle et avala d’une traite l’antidouleur. Il grimaça légèrement face au goût amer qui emplit sa bouche. Il soupira en se rallongeant à moitié dans son lit.

« Je vais vérifier votre pouls à présent. »

La jeune fille s’approcha et lui prit la main pour accrocher l’oxymètre sur son index afin de prendre les mesures nécessaires. Elle attendit quelques secondes et le retira en griffonnant le pouls sur un petit carnet.

« Bien. Tout semble normal. Votre pouls est quelque peu élevé mais c’est seulement dû à la fièvre. Reposez-vous bien. Au revoir. »

Il ne dit pas un mot et se contenta de regarder la silhouette de la stagiaire s’éloigner petit à petit. La douleur qu’il ressentait au crâne s’atténuait doucement, lui provoquant un soupir de satisfaction.

            J -348 (19 mars)

  Son mal de tête finit par s’arrêter deux jours plus tard, lui donnant l’impression de sortir d’un long cauchemar sans fin. Il se leva lentement, les membres encore engourdis de tout ce temps passé allonger au fond de son lit d’hôpital.

Il prit la lettre qui trônait sur son bureau. Il ne l’avait pas ouverte jusqu’ici, son crâne douloureux l’en avait dissuadé. Il regarda l’expéditeur et son cœur fit un léger bond dans sa poitrine. Son inconnu avait répondu !

Il songea quelques secondes qu’il pouvait s’agir d’une lettre d’un poste de police, lui rappelant qu’envoyer des courriers à de parfaits étrangers était franchement bizarre mais il balaya rapidement l’idée et se dirigea vers le toit, la réponse à la main.

Lorsqu’il arriva enfin au sommet du bâtiment, un soupir d’apaisement s’échappa de ses lèvres. Il devait être aux alentours d’une heure du matin, laissant ainsi la ville endormis illuminée par les enseignes joyeuses des magasins, pour la plupart fermés depuis longtemps déjà.

La fraîcheur de la brise nocturne lui apporta un parfum d’espoir tandis qu’il s’asseyais près de la barrière du toit. Il passa ses jambes à travers les barreaux, laissant le vide les engloutir dans un silence rassurant.

La lettre dans les mains, prêt à l’ouvrir, le bruit des klaxons des voitures, les cris des passant plus bas et le ronflement des motos s’éteignaient dans son esprit.

Il n’avait pas besoin d’eux. Il avait seulement besoin de lui et de cette lettre, enveloppés dans un cocon d’étoiles brillantes dans un ciel qui ne serait jamais vraiment noir.

Les mains tremblantes, il ouvrit la petite enveloppe et en sortis une feuille, couverte d’une écriture fine et délicate, montrant le soin donné à celle-ci.

Il remarquait cependant quelques lettres emmêlées, laissant traduire une certaine fébrilité de la part de son inconnu.

Il inspira un grand coup avant de commencer, enfin, sa lecture.

Samedi 6 mars

Moi c’est Angélique et Angélique c’est moi.

Son inconnu était donc une jeune fille.

Vous me demandez qui vous êtes mais je n’ai pas la réponse, je suis désolé. Malgré cela, je pense savoir comment trouver qui vous êtes.

Si Sirius n’est pas vous, c’est parce que vous c’est autre chose. Vous, ce sont vos blessures, vos peines, vos peurs et vos doutes. Sirius, ce sont vos joies, vos rêves, votre sourire et vos espoirs.

Vous n’existe pas sans Sirius et Sirius n’existe pas sans vous. Il vous faut simplement apprendre à réunir ces deux êtres complémentaires. Et alors vous saurez qui vous êtes.

Un doux sourire se forma sur ses lèvres en lisant ces mots. Il devrait y réfléchir.

Dans les jours à venir, parlez-moi donc de vous, de Sirius, de tout. Cela devrait vous éclairer. Après tout, c’est à cela que sert un ami.

Je vous avoue que j’en ai bien besoin moi aussi. C’est fatiguant de discuter avec moi-même, je me connais tellement que je n’arrive pas à faire semblant.

Pour répondre à votre question, j’ai la chance de pouvoir observer chaque soir un ciel d’un noir profond, illuminé par des étoiles plus nombreuses chaque nuit. C’est le spectacle le plus merveilleux du monde. La lune apaise l’esprit par sa lueur et les étoiles savent quoi dire pour redonner espoir.

Ce soir, je leur demanderais de vous parler un peu.

Il leva les yeux de sa lettre pour regarder le ciel. Les étoiles brillaient tranquillement, libres et insouciantes, étrangères aux maux des cœurs des Hommes.

Je suis étonnée et ravie de voir que vous connaissant Edmond Rostand. J’apprécie ses mots, qui savent comment toucher les gens au plus profond d’eux-mêmes.

‘’L'âme n'est pas sans défauts,,

Puisque nous sommes vouez à trébucher, pourquoi ne pas tomber ensemble ? On se relève plus facilement à deux.

Il rit du bout des lèvres en reconnaissant là une citation de Rimbaud. Il n’était pas particulièrement friand de ce poète, mais il se rappelait avoir vu cette phrase il y a longtemps, lorsque son état de santé lui permettait encore d’aller à l’école.

Il était heureux. D’abord de savoir qu’elle appréciait son auteur favori, et ensuite qu’elle partage elle aussi son goût pour les citations.

Je suis Angélique, j’ai 16 ans, j’aime regarder le ciel le soir et photographier les animaux de ma campagne.

Je n’aime pas l’école et le bruit m’étouffe.

La vie peut sembler dérisoire mais j’en apprécie les différents aspects en avançant tranquillement. Dans le jeu de la vie, je me contente de marcher à petits pas. Je préfère regarder les autres courir que d’essayer de les suivre.

Angélique.

Il déposa la lettre à côté de lui. Son sourire ne le quittait plus à présent, tandis que les paroles d’Angélique résonnaient à ses oreilles comme une douce mélodie, donc le son lui serait inconnu.

Pourtant, les yeux rivés vers les étoiles surplombants sa ville, à l’affût des bruits alentours, il lui semblait entendre les astres brillants lui murmurer quelque chose, d’une voix douce qui lui réchauffait le cœur.

« Ce soir, je leur demanderais de vous parler un peu. »

Il prit plaisir à écouter les étoiles lui répéter cette simple phrase à l’infini, jusqu’à ce que le murmure se mette à diminuer lentement, jusqu’à s’éteindre complètement.

Alors, enfin, il se releva. Il imagina une jeune fille, regardant tranquillement la lune depuis sa fenêtre, un doux sourire ancré sur les lèvres. Son sourire se réchauffa tandis qu’il se décida à répondre à la jeune fille.

« Merci Angélique. J’espère ne pas t’avoir fait trop attendre. »

Il s’allongea, ne se souciant pas du froid du sol qui engourdissait ses membres. Il se mit à contempler le ciel, rêvant de sa belle inconnue.

           J -344 (23 mars)

  Il somnolait tranquillement depuis quelques heures maintenant, emmitouflé dans ses draps, la tête cachée sous son oreiller. Au moins, comme ça, on le laisserait tranquille. Du moins, c’est ce qu’il croyait, jusqu’à ce que son précieux coussin ne lui soit arraché.

Il se releva brusquement, tendu, mais se relâcha bien vite en sentant une odeur familière de fraise emplir la pièce.

« Bonjour Sirius. Bien dormis j’espère !

  • Bonjour Marie. »

La femme avait un grand sourire sur le visage, ravie de voir son petit protégé. Elle lui rendit son oreiller et il s’assit sur le lit, pas tout à fait réveillé.

Elle s’approcha tranquillement de son bureau où elle déposa quelques médicaments avant de le recoiffer, pouffant face à son air grognon à ce contact. Un léger rire lui échappa également avant qu’il ne repousse sa main.

« Merci Marie.

  • Mais de rien mon cher petit Sirius. Comment tu te sens aujourd’hui ?
  • Bien.
  • Parfait. Je viendrais te chercher à 15 heure pour ta séance du jour.
  • Merci Marie.
  • Dis-moi Sirius, as-tu eu de nouveaux symptômes récemment ? »

Le visage du garçon se ternit légèrement. Il espérait pouvoir éviter ce sujet avec Marie, il s’avait que cela ne ferait que l’inquiéter inutilement. Après tout, symptômes ou pas, l’année prochaine tout serait finis. Enfin.

Le regard insistant de la femme le résigna et il dégagea à contre cœur ses jambes de la couverture, révélant deux ou trois hématomes sur sa peau couleur caramel.

Il tenta un petit sourire pour détendre l’atmosphère mais sa tentative échoua lamentablement. Il recouvrit de nouveau ses jambes de la couverture.

« Merci de me l’avoir dit Sirius. Je reviendrais te chercher tout à l’heure. »

Elle sortit rapidement de la pièce, bouleversée. Son petit protégé était là depuis un moment, certes mais son état commençait lentement à se dégrader, et ces bleus en étaient la preuve. C’était la première fois qu’il en avait. Jusqu’ici, il était simplement très fatigué et il lui arrivait parfois d’avoir quelques douleurs aux muscles, mais rien de plus.

Marie s’inquiétait que ces symptômes n’empirent avec le temps, rendant la vie encore plus difficile au pauvre Sirius. De plus, une augmentation de ces derniers signifiait indirectement que le traitement ne fonctionnait pas.

Une fois l’infirmière sortie, il se leva tranquillement avant de récupérer son petit carnet et un stylo. Il s’installa confortablement à son bureau, prêt à répondre à la belle Angélique.

Mardi 23 mars

Ma chère Angélique,

Je suis absolument ravi d’avoir obtenu une réponse de votre part. Je songerais à vos paroles, je vous le promets.

Vous me demandez de vous parler de moi mais je crains ne pas avoir grand-chose d’intéressant à dire. Soit, je vous le raconterais quand même, peut être que vous y trouverez un certain intérêt, mais vous devez aussi me parler de vous en échange.

Pour être honnête, je ne me souviens plus vraiment de mon enfance. Mes parents sont morts quand j’étais tout jeune, je ne devais pas avoir plus d’un an.

J’ai été placé à l’orphelinat, si timide que des années après j’étais toujours là, assis sur une paillasse à attendre que le temps passe. Au fil du temps j’ai commencé à me sentir mal et on m’a amené à l’hôpital.

La nouvelle a fini par tombée, j’étais atteint de cancer. J’ai vu les visages autour de moi se fermer et bientôt il n’y avait plus que les infirmières, seules témoins de ma misère.

Parfois, le soir, j’entendais les murs me souhaiter la bienvenue en enfer.

J’étais trop peu malade pour rester, pas assez peu pour partir. Mais personne ne m’attendait à l’orphelinat alors pourquoi retourner là-bas ? Ici on me laissait tranquille.

5 ans plus tard j’y suis encore, l’esprit las, le cœur plus encore. Les jours se ressemblent à s’y méprendre.

Les soignants sont là, un peu ennuyant parfois. La seule que j’apprécie, c’est Marie.

J’aime son odeur de fraise, ça me donne l’impression d’être chez moi. Si je devais avoir une mère, j’aimerais que ça soit elle.

Les jours sont longs mais qu’importe. Je suis bien ici, on me laisse tranquille. Je n’aime pas les gens et encore moins le bruit.

Le toit de l’hôpital est un refuge à toutes ces angoisses et toutes ces peines. C’est dur parfois d’être tout le temps là. De voir les gens venir puis repartir, parfois avec leur famille, d’autres fois dans une boîte en bois.

Ça fait mal certains jours de croiser un enfant pleurer dans les couloirs, de voir tous ces gens souffrir ou de passer devant la zone noire de l’hôpital. La plupart des gens qui s’y trouvent sont des cas sans espoirs.

J’aime sortir dans le jardin de l’hôpital à cette période de l’année pour voir les petites fleurs de myosotis à peine écloses. Elles me réconfortent toujours un peu.

Le matin, Marie vient me voir pour s’enquérir de mon état. Je fais souvent des séances de soins, pour essayer de me guérir, mais je sens déjà au fond de moi que ça ne marchera pas.

Je ne veux pas mourir comme ça, seul dans un lit d’hôpital. Je veux choisir ma mort. Partir sous un beau ciel étoilé, ça me semble adapté.

Voilà, c’était ma vie. Pas la meilleure, certes, mais j’y survis.

Sirius


Il posa son crayon, la main endoloris après avoir tant écris puis relis tranquillement sa lettre. Il arracha ensuite les deux feuilles qu’il avait remplis de son cahier avant de les plier correctement et de les mettre dans une enveloppe, rapportée préalablement par Marie, lorsqu’elle avait vu la lettre une bonne semaine plus tôt.

Il inscrivit soigneusement l’adresse de la jeune fille.

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