Chapitre 1 : Derliahn (6/7)
Dans la soirée, tout le village s’était regroupé sur la place. Alan était debout sur une caisse afin que tout le monde le voie. Son frère, Ulryk, était debout à ses côtés. Kheryan avait été soigné et il gisait à présent, blanc comme un mort, les yeux vides, assis sur une chaise face à son ami. L’ainé regarda tout le monde. Ils avaient tous un visage fermé, sérieux. Alan commença à parler d’une voix claire et sûre.
« Aujourd’hui, notre chef, mon père, ainsi que plusieurs membres de notre village ont été sauvagement assassiné par des brigands de la pire espèce, commença-t-il avant de marquer une pause et de regarder les habitants de son village. Et comme vous le savez tous, ils nous ont pris nos familles, nos amis…, dit-il avant de s’interrompre de nouveau. Seulement, nous ne pouvons pas partir à leur recherche car tel est notre devoir envers nos ancêtres. Comme certains le savent, nous ne pouvons quitter Derliahn indéfiniment car nous avons une tâche à accomplir. Si jamais nous devions partir combattre alors nous injurierions le pacte que nos ancêtres ont prêté. Nous allons donc rester ici et prier pour nos disparus. C’est ce que j’aurais dit si seulement ma fiancée et ma mère n’avaient pas été elles aussi enlevées, s’énerva-t-il. Cependant, étant le fils aîné de notre ancien chef, je dois prendre sa relève et vous guider. Ma première responsabilité est qu’aucun d’entre vous ne parte à leur recherche, s’attrista-t-il. Nous devons rester en vie pour les générations futures. Le fait de ne pas aller les chercher me déchire le cœur autant que vous. Seulement, nous avons trop perdu des nôtres aujourd’hui, dit-il en versant une larme avant de marquer une nouvelle pause. Une personne doit cependant aller les chercher. On ne peut pas abandonner notre village. Que penserez alors nos ancêtres de nous ? Nous avons juré de ne plus nous battre mais aussi de protéger les nôtres, dit-il en haussant la voix. Certes, je sais que c’est contradictoire. Nous devons nous protéger mais sans nous battre, ironisa-t-il. C’est pourquoi la personne qui ira les chercher n’aura plus aucun avenir parmi nous. Il sera obligé de prendre les armes et ne fera donc plus partit des nôtres. Cette personne n’est autre que mon frère cadet. En tant que fils cadet, il a la tâche de faire ce que je ne peux pas faire. Il a la tâche de récupérer ceux qui nous ont été pris. Il a le devoir de partir de Derliahn et le droit d’y revenir. Quiconque voudra le suivre sera banni. C’est un voyage qu’il ne peut faire que seul et tous nos espoirs doivent reposer sur lui, s’attrista-t-il Maintenant allons enterrer nos morts et prier pour nos disparus, finit-il. »
À l’évocation de son nom, Ulryk s’était approché, fier, afin que tout le monde le voit. Il n’avait pas tout compris au discours de son frère mais peu importait pour lui, il avait l’autorisation d’aller chercher son amie. Tout le monde commença à partir mais Kheryan leva la main. La flamme dans ces yeux avait été ravivée par ce discours. Alan se dirigea vers lui et posa un genou au sol, face à lui, afin d’être à son niveau.
- Laissez moi accompagner Ulryk s’il vous plait, commença-t-il.
- Tu n’es pas obligé d’être si formel. Rien n’a changé entre nous et c’est pour ça que je vais te demander, en tant qu’ami, es-tu sûr de ta décision ? Ce n’est pas raisonnable dans ton état et…
- Je connais les risques, le coupa-t-il. Contrairement à votre imbécile de frère, je suis au courant de tout. Cependant, même si je ne pourrais plus revenir à Derlianh, il y a des personnes qu’il faut que je ramène ici. Des personnes auxquelles je tiens plus qu’à ma vie. Quant à mes blessures, donnez-moi trois jours pour pouvoir remarcher et j’accompagnerais votre frère pour ce long périple. De toute façon, nous savons tous les deux qu’Ulryk n’y arrivera pas seul, finit-il.
- Tu es fou mon ami.
- Tu es notre chef maintenant et tu dois penser en tant que tel, pas en tant qu’ami, l'encouragea-t-il de façon à ce que seul Alan puisse l'entendre.
Kheryan se leva difficilement en s’aidant de son bras droit. Alan se plaça aussitôt à sa droite pour lui servir d’appui. Le feu de la détermination brulait dans ces yeux. Lorsqu’il regarda son ami, celui-ci eut un pincement au cœur, un sentiment de culpabilité l’assaillit mais il ne savait pas d’où il venait. Son ami et son frère partirent en direction d’une maison et il retourna chez lui.
Tard dans la nuit, Alan rentra chez lui. Il trouva son frère assis sur une chaise. Il l’attendait.
- Où étais-tu ? le questionna-t-il.
- Partit ramener Kheryan chez lui. C’est pas toi qui l’aurais fait vu comment tu l’as abandonné au moment où il en avait le plus besoin, répondit-il sèchement.
- Il m’en veut ? continua-t-il honteux en baissant la tête, piqué au vif.
- Tu vas arrêter de faire ton gamin ! Il ne s’agit plus d’une simple dispute d’enfant Ulryk ! Tu l’as abandonné alors qu’il se vidait de son sang ! Il aurait pu mourir si personne n’était passé par hasard là-bas ! Tu te rends compte un peu que tu as failli perdre ton seul ami !? dit-il en sortant de ses gonds.
- Mais j’étais énervé car Kheryan venait de m’apprendre que Lewlyn avait été enlevé, se justifia-t-il.
- Entends-tu seulement ce que tu dis !? Je ne sais pas comment tu fais pour qu’il reste ton ami et pour qu’il te suive pour ce périple. Et pour l’enterrement de père !? C’est pareil !? C’est parce que tu étais énervé que tu n’y es pas allé ? ironisa-t-il.
- … La dernière fois que lui et moi nous nous sommes vus… nous nous sommes encore disputé… Et une fois de plus, il avait raison… Je ne pourrais plus jamais lui dire maintenant, répondit-il en fondant en larme.
Il le prit dans ses bras comme sa mère l’aurait fait, comme lui le faisait lorsqu’ils étaient plus jeune.
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