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Sujet d'imagination :
Une des filles de "la femme qui casse des briques" (voir texte de Taslima Nasreen) a eu la chance d'aller à l'école. Devenue adulte, elle devient écrivain et écrit dans les premières pages de son autobiographie, le récit de ses conditions de vie durant son enfance.
Vous décrirez ses conditions de vie, développerez plus particulièrement une anecdote marquante et évoquerez également le regard qu'elle portait sur sa mère quand elle était enfant et celui qu'elle porte sur elle au moment où elle écrit.
Vous serez attentif.ve à la correction de la langue et l'ensemble de votre texte fera une soixante de lignes.
Je m'appelle Nisah Maroal. J'ai vingt-trois ans. Je suis musulmane, d'origine Bengladaise. Aujourd'hui je vis en France. Malgré tout, je n'oublierai jamais pour autant ma vie d'"avant".
En effet, j'ai vécu seize années au Bengladesh, dans un petit village. J'habitais avec mes six autres frères et sœurs dans une étroite demeure d'environ 10 m2. Une maison avec une seule et fragile tenture pour nous protéger des intempéries.
Mon père travaillait dans une mine et ne rentrait que très tard le soir. Des fois, il nous ramenait quelques grains de charbon qu'il avait substilisés, histoire que l'on puisse se réchauffer.
Ma mère, elle, était ce que les gens appelait une "femme à briques". Elle cassait des briques.
Toute la journée, sous un soleil accablant. Un travail, si l'on peut nommer cela comme tel, épuisant, agaçant et surtout déshumanisant...
Étant l'aînée de ma famille, j'ai vu tous mes frères et sœurs naître. Dans cette maison ou dans la cour commune.
J'ai vu ma mère mourir. Oui, mourir. Le corps ici, mais l'âme ailleurs. Rentrant de plus en plus fatiguée, de plus en plus tard. Cependant, trouvant toujours le moyen de sourire aux plus petits, comme pour leur dire "vous voyez, notre vie n'est pas si mal".
Ma mère, cette femme forte.
Je pense que je n'avais jamais vraiment compris ce qu'elle ressentait, jusqu'à ce que vienne mon tour.
J'ai commencé à travailler à l'âge de six ans. Là, je comptais déjà, trois autres frères et sœurs, trois autres bouches à nourrir.
Bien avant le lever du soleil, nous étions debout prêtes à nous rendre en ville, à une heure de notre domicile en suivant une route à peu près goudronnée et très boueuse. Nous laissions soit les plus petits sous la surveillance de Sami, le plus grand après moi, alors âgé de huit ans, soit à une vieille dame de la maisonnette d'en face. Elle était presque aveugle, mais ma mère avait une extrême confiance en elle.
Assise à seulement deux mètres de ma mère, sur un vilain et sale trottoir entourée d'une quinzaine d'autres personnes, je cassais.
Je cassais encore et encore sous un dur soleil, sans rien pour me protéger, frappant ici et là avec une pierre pour parfaitement tailler ces briques.
Les premiers jours furent très difficiles. J'avais quotiennement d'affreuses migraines et d'énormes entailles lacéraient mes petites mains. Mais dans ce genre de travail, mieux vaut se ressaissir et vite s'habituer car chaque prétexte est bon pour ne pas avoir sa paie.
Je me rappelle d'une journée, je devais avoir une dizaine d'années, où notre chef nous avait ordonner de tailler deux cents briques. Deux cents, par personne.
D'habitude, je n'en produisais qu'une cinquantaine. Nous avions dû casser beaucoup plus vite, à un rythme effréné, digne de ces engins mécaniques dont je ne connaissais que le nom : "Robot". Nous étions de simples objets, comme ces robots.
À la fin de cette journée, à l'instar des autres, lorsque le directeur - qui devait avoir quelques années de plus que moi - vint, nous dûmes arrêter et nous mettre derrière nos chefs-d'oeuvre.
Il fit les comptes.
Un moment, il s'arrêta devant cette jeune femme qui était arrivée près de deux heures en retard. De ce que j'avais entendu, cinq de ses enfants étaient malades... Mais combien diable en avait-elle ? Il remarqua qu'une de ses briques n'était pas correcte.
Il la souleva bien haut pour que tout le monde puisse la voir. En plissant les yeux, je réussis à distinguer une coupure de trop. Elle fendait une des arrêtes du rectangle. Cependant, cela restait très léger. Il lui demanda pourquoi cette brique était mal taillée. La femme ne sachant quoi dire pour sa défense se tut. De toute façon, elle savait que se justifier ne servirait à rien. Il haussa alors le ton mais ne récolta que du silence.
À ce moment-là, il lâcha la brique qui se fendit en deux et qui dans sa chute, en abîma quelques autres. Il finit par lui dire qu'elle resterait là, taillerait cinquante autres briques et qu'en plus elle ne serait pas payée...
Après cela, nous rentrâmes ma mère et moi avec trois tomates achetées avec nos dix centimes chacune, en silence. Aucune de nous ne voulait, mais surtout n'avait le temps ni l'envie de commenter cette scène. Débattre n'aurait pas permis à cette femme de sortir de cet enfer.
Nous ne mangions que de l'eau bouillie avec une poignée d'épluchures comme bouillon et quelques légumes. C'était des tomates, un poivron, deux oignons, parfois des carottes, mais jamais de viande ni de poisson.
Cela ne nous suffisait pas. Jamais.
Une fois sur deux, ma mère, moi ou nous deux ne mangions pas. Ou très peu.
À 16 ans, ma mère insista pour que je parte à l'école. Celle qui venait d'ouvrir à quelques kilomètres d'ici.
Je ne me fis pas prier.
J'avais longtemps voulu apprendre à lire, à écrire, à compter...
Je pense que ce fut les trois plus belles années de ma vie. J'étais bonne à tout mais j'excellais en langues, particulièrement en français.
Le professeur qui enseignait était un occidental qui habitait en France.
Un jour, à la fin de ma troisième année scolaire, il me prit à part et me demanda ce que je voulais faire plus tard, ce à quoi je répondis : "Journaliste, pour visiter le monde !".
Il m'avait regardé droit dans les yeux et m'avait dit qu'il souhaiterait que je vienne avec lui en France.
J'étais paniquée car je ne voulais pas abandonner ma mère ni mes frères et sœurs... Il m'assurait qu'il pouvait attendre, de ne pas me presser.
Je me suis empressée d'en parler à ma mère. Lorsque que j'eus fini mon récit, elle avait les mains sur la bouche et les larmes aux yeux. Je n'avais plus besoin de mots, je compris son bonheur. Alors nous pleurâmes ensemble bras dans les bras.
Un mois plus tard, je pris l'avion pour la première fois pour me rendre en France. Mon professeur m'avait loué un studio.
J'étais aux anges : rien de tout cela ne ressemblait à ma vie passée.
C'est un peu comme ça que je suis devenue écrivaine abandonnant cette histoire de journalisme pour une vie plus calme et paisible.
Je pense que je ne remercierai jamais assez cette magnifique femme. Tasmaa, ma mère, pour tous ses sacrifices.
Aujourd'hui, c'est moi qui l'aide. Et j'en suis très fière.
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