Dans un monde entièrement constitué d'hommes, du moins le croit-on, une jeune fille à la peau métissée et aux yeux nuageux à moitié fermés dodeline de la tête dans un rover qui avance à toute allure sur la route. Attachée de toutes parts, elle est surveillée par deux hommes armés et sur leurs gardes : cette mission qu'on leur a confiée aujourd'hui est sûrement la plus importante de leur vie. Echouer serait impensable.

Un cahot de la route fait rebondir son corps sans vie sur la banquette inconfortable. Un gémissement étranglé lui échappe, comme du désespoir. On dirait que son esprit est parti très loin de son corps, mais à quoi pense-t-elle donc ainsi ?

Les deux soldats jusque là immobiles se regardent avec un mélange de crainte et de mépris.

- C'est ça qui nous pose tant de problèmes depuis janvier ? ricane le premier en donnant un coup de coude au deuxième.

- Apparemment. Je me demande bien pourquoi. Elle n'a pas résisté deux minutes à la drogue!

- Peut-être qu'elle fait exprès pour mieux nous surprendre, après tout...

Ils éclatent tous les deux d'un rire discret, peureux.

- Mais bon, après tout, on n'est pas là pour poser des questions.

La conversation s'arrête sur cette dernière phrase, prononcée d'une voix un peu plus assurée. Les sourires fugaces disparaissent. Les traits redeviennent froids, imperturbables.

Le rover continue inlassablement de tracer son chemin sur la route presque impraticable, vers une destination qui autrefois avait été la capitale la plus visitée du monde.

*

Toutes les têtes se tournent subitement vers ce rover qui traverse à toute vitesse les rues de la ville. Il grille tous les feux rouges des avenues, évite de justesse quelques piétons, tourne brutalement dans une rue plus petite. Il se dirige vers le centre-ville, là où le Quartier du Gouvernement a élu domicile, protégé par ses murs de plusieurs mètres de haut, surmontés de barbelés et d'une clotûre électrifiée. Une seule entrée à cette forteresse : une porte surveillée toute la journée et toute la nuit, toute l'année, sans interruption. Les gardes s'y relaient sans jamais montrer la moindre faille. Sans une bonne raison, il est impossible de franchir les contrôles.

Mais dans ce rover se trouve une jeune fille qui offre aux soldats toutes les bonnes raisons du monde pour pénétrer dans cet endroit si mystérieux. Eux qui servent la DFAO depuis plusieurs années déjà, leurs souvenirs du Quartier du Gouvernement commencent à s'estomper dans leur mémoire.

- Nous transportons le détenu F1, annonce le conducteur au garde qui se penche pour lui demander la raison de sa présence.

Celui-ci fronce imperceptiblement les sourcils puis tend la main d'un air méfiant :

- Votre identifiant.

Quelques minutes plus tard, après une vérification minutieuse de l'identifiant du dénommé Antoine Bos, le rover est littéralement escorté jusqu'à une vaste salle dénudée. Là, on ouvre les portes arrières et on inspecte le coffre. Le résultat est convaincant car le soldat en charge de l'opération hoche la tête et fait un signe de la main qui semble vouloir dire : "Vous pouvez avancer." Et effectivement, le véhicule se remet en marche pour ressortir de l'autre côté du hangard, par une porte coulissante qui vient de se révéler dans le mur.

*

Un corps couvert de la tête aux pieds, encapuchonné et complètement entravé est traîné hors du rover par quatre soldats à l'air menaçant. La petite déléguation passe ainsi un certain nombre de contrôles, de vérifications et de portes avant d'arriver à une dernière étape : ils sont scannés de la tête aux pieds et on leur demande d'appuyer leur main sur une large tablette pour les empreintes digitales.

Enfin, chargés de leur fardeau maudit, ils sont autorisés à pénétrer dans l'endroit le plus secret et le mieux gardé du Quartier du Gouvernement, à l'exception peut-être du bureau du Leader.

Le Sanctuaire.