Abus de désespoir
PERSONNAGES (Par ordre de réplique) :
LORETTA
BEBBA
GABY
OLYMPE
Et, seule assise à une table : GINE
SYNOPSIS : Loretta, Bebba, Gaby et Olympe, mariées à de riches industriels, ne manquent de rien. Ni d’argent, ni de luxe, ni de confort ; mais malgré les apparences, elles ne sont pas heureuses. L’amour a cédé la place à la routine d’une vie bourgeoise.
DECOR : La terrasse d’un café assez chic, situé sur le port d’une île de la méditerra-née du Sud. Assises à une même table : Loretta, Bebba, Gaby, Olympe. Assise toute seule deux ou trois tables plus loin : Gine, qui lit.
LORETTA: Je reviens des Maldives.
BEBBA: Ça fait un bail qu’Egidio et moi n’y avons plus mis les pieds.
GABY: Nous on préfère les Seychelles.
LORETTA: Ah, question de goût, nous c’est plutôt Bali.
BEBBA: Nous, c’est plutôt Maurice.
LORETTA: Et toi, Olympe ?
OLYMPE: Elles me vont toutes, tant que je peux m’allonger sur du sable fin. (Un temps) Hier… Non, avant-hier. Hier j’étais déjà ici. Avant-hier, donc, je suis allée au théâtre avec Ezio.
LORETTA: Qu’est-ce que vous avez vu ?
OLYMPE: Une pièce d’un auteur Français. Il s’appelle Georges Flo… quelque chose… Je ne me rappelle plus.
BEBBA: Ça parlait de quoi ?
OLYMPE: Je n’ai pas très bien compris. Avec Ezio qui ronflait à côté de moi, je n’ai pas pu me concentrer. C’étaient quatre femmes attablées, tout comme nous, qui parlaient des Seychelles, des Maldives, tout comme nous.
LORETTA: Et alors ?
OLYMPE: Je t’ai dit. Je n’ai pas tout entendu à cause d’Ezio. Je me rappelle qu’au début, on voit un personnage tout habillé de noir, qui marche le long de la scène, et qui raconte l’histoire. Ça faisait un peu comme ça : « L’action se déroule sur une île de la Méditerranée du sud. Quatre femmes attablées, à la terrasse d’un café, sur le port… » (Pause) A un moment, il a dit cette phrase : « Elles sont allées aux Maldives, à Bali, à Maurice, aux Seychelles ; bref, sur ces îles où l’on va quand on s’emmerde et qu’on n’a rien dans la tête. »
LORETTA: Il a au moins raison sur un point : je vais aux Maldives quand je m’ennuie. Ce n’est pas que là-bas je m’ennuie moins, mais je m’ennuie mieux. Leur climat est préférable à la grisaille de Milan.
GABY: Pourtant, il y en a des choses à faire, quand on y pense.
LORETTA: Aux Maldives ? Non. Juste aller à la plage.
GABY: Je parlais de Milan. Il y a un bail que je n’ai plus été au théâtre. Plus un bail que je n’ai été dans une galerie. (Pause) Tiens, je voulais voir la dernière expo de Marco Spleen, je l’ai ratée.
BEBBA: Tu aimes Marco Spleen ?
GABY: C’est notre voisin. On prend souvent l’ascenseur ensemble ; alors forcément, ça crée des liens… de voisinage, pas plus.
OLYMPE: Ça n’a pas dû lui faire plaisir que tu ne viennes pas à son expo.
GABY: Maman était malade. J’ai passé mon temps à l’hôpital.
LORETTA: Ah oui, c’est vrai.
(Silence. A une ou deux tables de la leur, le portable de Gine se met à sonner. Elle décroche)
GINE: Allô ?... (Voix douce et amoureuse) Bonjour… Au bar… A notre bar… Je lis, et je pense à toi… Je te lis, et je te pense… Lequel ? Le dernier… Oh oui, il me plaît. Moins que toi, mais il me plaît, comme tous les autres… Oui, tu me manques beaucoup. Quand viendras-tu ?... Non, plutôt ne me dis rien. Je veux avoir la surprise… Oui, même à trois heures du matin…. Moi aussi, je t’aime.
(Elle raccroche, et reprend sa lecture)
LORETTA: Elle est seule comme nous, mais elle est heureuse. Nous, on est seules, et on se barbe. Pourquoi ?
OLYMPE: Parce qu’elle est amoureuse, et que nous ne le sommes plus.
GABY: Ça n’a rien à voir. Lorsque j’étais amoureuse de Marco, et qu’il n’était pas là, je n’étais pas heureuse du tout.
BEBBA: Et moi, quand Egidio faisait son service militaire, qu’est-ce que je pouvais me barber sans lui.
LORETTA: Pareil pour moi, lorsque Mario est allé finir ses études aux Etats-Unis.
OLYMPE: Alors, ça veut dire quoi ? Moi aussi, je m’ennuie sans Ezio; mais avec lui également ; moins, peut-être, mais je m’ennuie tout de même. Ça prouve quoi ?... Que je ne suis plus amoureuse de lui ?
LORETTA: Si tu ne le sais pas toi, comment veux que nous le sachions ?
GABY: Etre ou ne pas être amoureuse, là n’est pas la question. Je crois que si on s’ennuie, c’est parce que nous nous ennuyons. Notre ennui, n’est pas en rapport avec les autres, mais avec nous-mêmes. (Un temps) Quand je me mets à lire, c’est parce que je m’enquiquine. (Indiquant Gine) Elle, c’est parce qu’elle aime ça. (Un temps) Nous, on n’aime rien de ce que nous faisons. Voilà le fond des choses.
BEBBA: En somme, tu es en train de nous dire que nous avons une vie de merde ?
GABY: Je dirais plutôt que nous avons une vie qui ne nous plaît pas.
LORETTA: Dans ce cas, jetons nous à l’eau. Au moins nous mettrons fin à notre perpétuel emmerdement.
BEBBA: Ça ne marchera pas. Nous savons nager toutes les quatre.
LORETTA: Accrochons nous une pierre au cou.
(Olympe se met à rire)
GABY: Qu’est-ce qui te fait rire ?
OLYMPE: La pièce finit exactement comme ça. Les quatre femmes s’attachent une pierre au cou et se jettent dans le port.
BEBBA: Quel plagiaire cet auteur. Nous devrions porter plainte contre lui.
OLYMPE: Pour cela, nous devrions finir comme dans la pièce.
BEBBA: Si on se noie, on ne pourra plus porter plainte.
OLYMPE: Il faut savoir ce que l’on veut.
LORETTA: Moi, à la rigueur, c’est mon mal de vivre que je voudrais noyer… dans l’alcool !!
GABY: Nous pensons comme toi, Loretta.
OLYMPE: (Levant le bras. Hélant) Garçon ! Encore quatre whiskies, s’il vous plaît.
FIN
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