Chapitre 2

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Jacinthe

            Je te vois assis dans la cuisine. Je n’ose pas m’approcher, comme après chaque crise. Je me sens terriblement mal, d’autant plus que tu as remarqué les griffures sur mon bras, je ne peux donc pas te les cacher. Il va me falloir assumer pleinement mes actes.

            Lorsque j’arrive près de toi et que je vois ton regard plein de tendresse, mes craintes s’envolent. Je m’assieds sur tes genoux et, tandis que tes bras se referment autour de moi, je ne peux retenir mes larmes, une fois de plus. Je sens tes mains attraper mon visage et ton regard plonger dans le mien. Le bleu de tes yeux me captive. Ton regard est le plus doux et réconfortant que je connaisse. Sentir tes doigts caresser doucement mes joues pour effacer mes larmes me réchauffe le cœur. J’esquisse un sourire et un soupir s’échappe d’entre tes lèvres.

            - J’avais peur que tu ne souries plus, mon ange. Tu as vu mon petit mot ?

            Pour toute réponse, je hoche la tête. La gêne me rattrape, alors je baisse les yeux.

            - N’aies pas honte, Jacinthe, me dis-tu en secouant la tête. Je sais que tout ne se règle pas en un clin d’œil. Le psy a dit qu’il fallait s’attendre à d’autres crises.

            - Pourquoi il ne m’a pas gardée à l’hôpital s’il savait que les crises reviendraient ?

            - Il pensait que tu serais mieux à la maison, dans un environnement familier. Il pense que c’est mieux pour toi. Tu es restée un mois à l’hôpital, il était temps que tu reviennes, tu ne crois pas ?

            - Pour être avec toi oui, mais je ne suis pas en sécurité avec moi-même. Tu vois bien le résultat, dis-je en te montrant mon bras strié de rouge.

            - Tu n’es pas seule, Jacinthe. Je suis là. Je ne veux pas te garder enfermée dans un hôpital. Tu as tenté de te suicider. Oui, c’est grave, mais tu dois aussi essayer de reprendre une vie normale.

            - Une vie normale aux yeux de qui ? Ma vie n’a jamais été normale aux yeux des gens.

            Ma voix est lasse, tout comme mon corps et mon esprit. J’ai toujours été considérée comme une personne instable. Je n’ai pas terminé mes études, je n’ai fait que des petits boulots qui ne me motivaient pas, je n’ai jamais eu de véritables amis. Bien sûr, tout cela a fait fuir bien des gens. Ce n’était pas qui j’étais qui les intéressait, mais ce que je faisais. Ma valeur était proportionnelle à mon niveau d’études et à ma situation professionnelle. Mes passions, mes envies, mes problèmes étaient secondaires ou passaient aux oubliettes.

            Jusqu’à ce que je te rencontre. «La nuit des temps est mon roman préféré, l’avez-vous lu ?» Cette question est gravée dans ma mémoire. Pourquoi ne me suis-je pas enfuie ? Pourquoi n’ai-je pas eu peur lorsque tu as demandé à me revoir ? Une intuition, peut-être. Mon cœur savait sans doute déjà qu’il battrait pour toi.

            - Anton ?

            - Oui ?

            - Qu’est-ce qui t’a décidé à me parler le jour de notre rencontre ?

            Ton regard, un instant envahi d’inquiétude, s’éclaircit et un sourire apparaît sur ton visage. Mes mains se perdent dans tes cheveux châtains ébouriffés.

            - J’ai vu la détresse dans tes yeux ce jour-là, me réponds-tu. Ils étaient rouges tellement tu avais pleuré. J’avais envie de t’aider, mais je ne voyais pas comment. Je t’ai observée, j’ai compris que tu aimais les livres, alors j’ai pensé que c’était le sujet idéal.

            Ton esprit logique me fait sourire.

            - Qui sait, c’était peut-être une intuition, ajoutes-tu avec un clin d’œil.


Anton

            En voyant ton sourire suite à ma réponse, je suis soulagé, une fois de plus. Je souhaite seulement que tu sois heureuse. Ce ne sera pas facile, mais je sais que c’est possible. Je dois te faire aimer la vie. Malgré ta mélancolie, tu es habituellement capable de voir les merveilles du monde, même celles que d’autres sont incapables de remarquer. C’est ce qui me plaît en toi : cette capacité d’émerveillement devant des choses qui sont banales aux yeux des gens.

            Malheureusement, depuis quelques mois, tu as oublié cette facette de ta personnalité. Je ne t’en blâme pas, je ne t’en blâmerai jamais. Je me dis parfois que j’aurais peut-être pu faire quelque chose pour empêcher cela de se produire. Si j’avais fait plus attention à toi, tu n’aurais peut-être jamais tenté de te suicider. Je ne le saurai jamais. J’ai failli te perdre, toi aussi, mais je dois me concentrer sur le présent et le futur. Je dois prendre soin de toi pour que tu ailles mieux, pour que l’on retrouve notre joie de vivre.

            - Ça te dirait de sortir un peu demain ?

            Tu sembles hésitante, ce que je peux comprendre, mais une idée à laquelle je tiens particulièrement me trotte dans la tête.

            - Je ne sais pas, Anton. Je ne me sens pas vraiment prête. Tu pensais à quel genre de sortie ?

            - Je voudrais t’emmener dans un magasin de décoration.  

            - Pourquoi ? J’ai vu que tu as acheté une nouvelle lampe et que tu as ajouté des bougies dans la chambre.

            - Ça te plaît ?

            - Oui, c’est joli.

            - J’avais envie de faire quelques changements. J’aimerais en faire un encore plus grand et j’ai besoin de ton aide.

            - Je t’écoute, me réponds-tu en fronçant les sourcils.

            - La pièce qui devait servir de chambre au bébé, j’aimerais la décorer à ton image. Toutes les pièces de l’appartement se ressemblent. Elles manquent de couleur, de personnalité, de tout ce que tu aimes habituellement…

            Je m’arrête soudainement. Tu te lèves et te rues vers la chambre. Je ne comprends pas tout de suite ce qu’il se passe.

            - Jacinthe ! Qu’est-ce qu’il y a ? je te demande en te suivant.

            Tu me fais face. Tu pleures à nouveau. Je sens une douleur dans ma poitrine. Je n’aime pas te voir pleurer, d’autant plus quand je vois la souffrance dans ton regard.

            Lorsque je te prends dans mes bras, tu réussis à articuler en sanglotant :

            - Pourquoi tu me parles du bébé ?

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