Chapitre 9
Jacinthe
En entrant dans le magasin, je suis comme une enfant émerveillée par tout ce qu’elle voit. Les lumières, les couleurs et les objets me fascinent, ils permettent de créer un paradis unique à chacun. Je sens ton regard et tourne aussitôt la tête vers toi en brandissant mon plus beau sourire. Tu m’entraînes dans un rayon de bougies. J’en reconnais certaines, nouvellement arrivées à la maison.
- C’est ici que je les ai achetées, murmures-tu avant de déposer un baiser furtif sur ma joue. J’ai complètement oublié de te demander, tu souhaites peut-être changer la couleur des murs ?
Je n’y avais pas pensé non plus. Nous n’avions pas commencé à décorer la chambre du bébé, étant donné que je n’en étais pas à un stade avancé de ma grossesse. Les murs sont donc restés blancs, tandis que le sol est fait de parquet, comme dans la plupart des pièces de la maison.
- Je préférerais mettre de la couleur avec des images, des objets et un rideau pour la fenêtre, affirmé-je après un temps de réflexion.
- D’accord. Que dirais-tu d’acheter quelques bibliothèques ?
- C’est justement ce à quoi je pensais.
Le clin d’œil que tu m’adresses me fait rire et j’ai presque envie de courir à travers le magasin pour parcourir les rayons. Nous nous dirigeons donc vers l’ameublement, cherchant des bibliothèques que je pourrai remplir de livres et de décorations. J’ai toujours rêvé d’avoir une pièce réservée à la lecture. Ce ne sera pas forcément le cas, un coin suffira amplement, mais ce sera mon petit cocon. Bien sûr, tu pourras y venir aussi. Je nous imagine déjà, blottis l’un contre l’autre sur un canapé, discutant de nos lectures respectives.
- À quoi tu rêves ?
- À nous, dans cette pièce, à lire et bavarder.
- Alors essayons de créer l’ambiance propice à ce rêve. Il se réalisera bientôt, j’en suis sûr.
Anton
Il semblerait que ce projet de décoration te mette sur la voie de la guérison. Tu t’enthousiasmes pour des meubles, tu m’expliques de quelle façon tu voudrais les disposer, tu imagines le rangement des bouquins qui seront à l’intérieur, les objets qui orneront les planches, etc. Ton engouement, bien qu’il me réjouisse, m’étonne autant que ce matin. J’ai peur que tu ne me caches tes sentiments réels pour me faire plaisir. Je décide tout de même de profiter de l’instant présent.
Après avoir choisi deux bibliothèques blanches, suffisantes pour commencer, nous dénichons plein de bricoles de toutes les couleurs : quelques bougies décoratives, une lampe rose pastel, une petite tortue en verre remplie de sable multicolore et d’autres encore qui viendront les décorer. Un rideau fin du même rose que la lampe habillera la fenêtre et tu choisis un tapis blanc qui fait écho à celui de notre chambre. Nous continuons à fureter à travers les allées du magasin, véritables mines d’or pour les esprits aussi créatifs que le tien. Telle que je te connais, tu voudrais tout acheter, comme pour donner une maison à chaque objet croisé. Commençant à trouver le tout assez lourd, je te demande si tu es prête à passer à la caisse.
- Tu n’as qu’à aller payer, je continue à regarder et tu me rejoins ensuite, si tu veux, me réponds-tu.
- Tu en es sûre ?
Je suis assez surpris de cette envie, mais je suppose que si tu me le proposes, c’est que cela ne te gêne pas. Je me dirige donc vers les caisses en te promettant d’être aussi rapide que l’éclair. Je sens pourtant que ma promesse sera difficile à tenir, étant donné le monde qu’il y a. On dirait une fourmilière.
Jacinthe
Tout va bien. Je peux y arriver. Je peux rester seule quelques instants. Ça ne devrait pas être si difficile, tout le monde le fait. Il suffit de regarder autour de moi, beaucoup de personnes ne sont pas accompagnées. Elles s’en sortent. C’est vrai qu’il y a du monde. Les gens se bousculent pour passer, pour être les premiers. Être les premiers pour quoi faire, d’ailleurs ? Dans un magasin de décoration, ça ne sert à rien d’être pressé ; on vient quand on en a le temps et l’envie, non ? Il semblerait que peu de gens alentour soient de cet avis. Ça me donne le tournis. Je focalise mon attention sur la marchandise. Je regarde des cadres, il y a quelques photos de nous que j’aimerais mettre en valeur. Ça cogne dans ma tête. Il y a beaucoup de bruit, je m’en rends compte maintenant que tu es parti. J’ai à la fois l’impression de devenir sourde et de tout entendre plus fort. Je sais que je suis dans le magasin, mais j’ai l’impression de ne pas y être. C’est incohérent, je sais. Je ne comprends pas ce qu’il m’arrive.
Je ne sais pas depuis combien de temps tu m’as quittée. Je pourrais essayer de te rejoindre, mais je suis comme pétrifiée. Mon estomac se noue, ma gorge également. Il y a trop de monde, je vais étouffer. Il faut que je cherche de l’air. Les gens s’emparent de l’oxygène, il n’y en a plus pour moi. J’ai l’impression que les regards sont sur moi. Je sens que mes yeux sont écarquillés, ma gorge est sèche, j’ai envie de pleurer mais je ne peux pas le faire, on ne pleure pas dans un magasin, devant des gens. J’ai vingt-huit ans, ils ne pourraient pas comprendre. Moi-même, je ne comprends pas. Il faut que tu reviennes vite, la peur s’empare de moi. La panique me paralyse.
- Anton…
Je voudrais crier, mais ma voix n’est que murmure. À vrai dire, je ne suis même pas sûre que cet unique mot soit sorti de ma bouche. Je nage en plein cauchemar. Non, je ne nage pas, je suis emportée par les flots, le courant a fait de moi sa prisonnière et m’entraîne loin, très loin. Je vais mourir.
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