Chapitre 16 - Résurgence - partie 2
Je me suis senti petit, tout petit, trop petit face à l’immensité de cette femme. Et la peur a dynamité mes forces comme un poignard impitoyable. Je me suis mis à trembler comme un enfant devant cette panique incroyable et lancinante. Je ne me contrôlais plus, ne respirais plus, ne vivais plus ; j’étais comme sorti de moi-même. J’ai vu un petit garçon qui avait peur, alors je l’ai aidé à s’enfuir. Je me suis vu bousculer Livia, pousser la porte violemment, et partir en courant comme si j'avais le diable à mes frousses.
J'ai pleuré au hasard jusqu’à me retrouver face à la mer, si seul parmi les promeneurs du soir. Je suis resté longtemps immobile, tendu comme un ressort immature ; je me suis planté le nez dans les étoiles et le cœur six pieds sous terre. J’étais dans une bulle infernale où elle pouvait surgir à tout instant.
Quand je suis revenu à la réalité, la nuit était silencieuse et bien entamée, j’étais seul sur les galets somnolents de Nice. J’avais plus de peur que de sang dans les veines, mais j’ai pu rassembler mes esprits au-delà des spectres du passé. J’étais complètement perdu et j’ai appelé Diego, parce qu’il restait mon frère et mon repère. Il était trois heures du matin et nous sommes rentrés à la Cité dans le noir et le silence.
Diego m’a installé au salon pour la nuit, et il est resté près de moi comme une veilleuse bienveillante. Malgré sa force et sa présence, j’ai enchaîné et déchaîné des cauchemars diaboliques qui me réveillaient en sursaut et en sueur. Et je n’ai dormi que trois heures, si vraiment on peut appeler sommeil ce qui n'était que tentatives d’échapper à cette trouille fondamentale qui me dévissait l’esprit.
Le lendemain, les conseils que porte soi-disant la nuit ne m’ont pas sauté aux yeux, et le problème restait entier. J’étais incapable de vivre en la sachant vivante et libre de ses mouvements. J’ai d’abord pensé à la tuer, quelque part entre la légitime défense et l’œuvre de salubrité publique. Mais la perspective d’une visite mensuelle de Catalina et des enfants dans un parloir sordide m’a fait changer d’idée.
J’étais à nouveau seul et désarmé face à la toute-puissance outrecuidante de cette femme inextinguible. La vengeance était impossible et impensable comme une hérésie tentatrice mais fatale. Seule me restait la Justice en laquelle je n’avais jamais cru.
Je ne pouvais ni l’abattre ni la laisser en vie, encore moins en paix : tels étaient Les Versets Sataniques dans lesquels je me débattais aveuglément. Et c’est finalement Diego qui a eu l’idée salvatrice : lorsque ni la mort ni la vie ne sont envisageables apparaît la prison. Aux yeux de la loi canadienne, elle était coupable du meurtre de mon père et condamnée à la rétention criminelle à perpétuité. Le Tour d’Écrou s’est imposé comme la seule et unique solution qui ne m’obligeait pas à tout lui sacrifier.
Alors j’ai déclaré à l’armée que j’avais de graves problèmes familiaux, ce qui était d’une imparable exactitude, et j’ai réservé deux billets pour Vancouver. Ensuite j’ai attrapé mon pauvre courage dans ma main droite, broyé mes pauvres entrailles dans ma main gauche, et je suis allé chez ma sœur comme dans un autre monde. Je n’avais plus qu’à la cueillir comme une fleur venimeuse et malfaisante.
Diego a proposé de m’accompagner, mais je devais y aller seul et je le savais bien. Ce ne fut pas simple. Elle m’inspirait une peur intestine et incisive, et quand Livia m’a ouvert sa porte, quand j’ai vu qu’elle était encore là, j’ai eu l’impression de provoquer en duel tout le bestiaire de toutes les mythologies, La Bête du Gévaudan, le monstre du Loch Ness, le Cerbère des Enfers, Le Chien des Baskerville, le cheval de Troie, les moulins de Don Quichotte et le Léviathan…
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