Chapitre 16

Résurgence

(Partie 3)

Je l’ai regardée dans les yeux et j’ai senti mon cœur battre le long de mes nerfs. Je sais que je suis resté droit et je crois que je suis resté digne. Mais ma mémoire vacille et se défile sans cesse, et je ne sais plus ce que lui ai dit, je ne sais plus comment je lui ai enfin fait face ni pourquoi je lui ai enfin fait peur. J’ai juste conservé quelques images : ma sœur tissée de silence et de questions, ses yeux secs devant la mort et dénués de remords, mes mains tremblantes qui pourtant n’ont pas tremblé. Puis il y a eu la route, la douane, l’avion ; et la Liberté.

Je n’ai même pas eu besoin de la livrer aux autorités : apparemment il avait suffi de mettre son nom sur une liste de passagers pour réactiver les recherches, et la police l’attendait tranquillement à Vancouver, avec des menottes solides et un mandat d’arrêt en règle.

Son incarcération sonna comme une délivrance bien méritée : j’ai eu l’impression qu’on m’enlevait peu à peu une enclume de plomb incandescent qui me collait aux basques et aux tripes. J’ai dû répondre à quelques questions rapides devant un officier fédéral, puis je suis allé chez Marie qui fut bien surprise de me voir, j’ai embrassé mes amours et raconté mon histoire. Je me suis senti infiniment et instantanément libre, et j’étais sur un petit nuage quand je suis rentré à Cannes, le lendemain.

Finalement, seule la mort de mon père aura pu briser le cercle de la maltraitance, au-delà de son absence, comme un bouclier invincible penché sur mon existence : je crois autrement que je n’en aurais pas eu la force.