1.3

8 minutes de lecture

Jørdiss, rivière de Velin

Les skeids de la flotte d’Eirik s’étaient engagés dans les rivières du Corvin depuis déjà plusieurs heures. Les rames frappaient l’eau en une litanie de bruit uniquement entrecoupée par les barreurs annonçant les ponts qui se dressaient sur le chemin.

Chaque navire narlhind remontait le cours d’eau en une longue file et lors de leur avancée dans les terres, ils étaient accompagnés par des cris ou bruits d’avides flammes dévorant le bois. Vibord et un bon nombre de drengrs longeaient les berges et laissaient d’indélébiles marques dans leur sillage.

Les guerriers narlhind protégeaient les flancs de la flotte qui s’étiraient à présent bien dangereusement. Ils prévenaient de toute attaque surprise et les villages ou maisons isolés ayant le malheur de se trouver là faisaient face à leur plus sombre tradition.

Chaque chaumière, chaque bâtiment aussi miteux qu’il soit était pillé. Ils agrémentaient ainsi l’avancée des navires avec de nombreux feux de joie éclairant la route à suivre pour la flotte. Ils marquaient ainsi le passage des drengrs par une traînée sanglante et sauvage. La peur était une arme des plus efficace et les narlhinds en faisaient usage, leur ennemi ne devait avoir confiance en ses forces.

Les hommes et femmes restés à bord des embarcations étaient quant à eux aux prises avec les rames. Jørdiss, assise sur son siège, se concentrait de son côté pour suivre le tempo pris par le reste des occupants du navire. Elle se concentrait sur sa rame et les mouvements qu’elle faisait, qu’elle devait faire. De temps à autre, le feu venait recouvrir d’une légère brume le navire en assombrissant le soleil. L’odeur du bois et de la paille brûlés accompagnait quant à eux son voyage en lui chatouillant le nez. La guerrière au bouclier avait enfin quitté la mer, sa désagréable odeur salée et ce n’était pas pour lui déplaire.

Tournant la tête, elle observa Eirik qui se dressait au milieu du navire entouré de certains de ses guerriers. Il était là où le mat s’était jadis tenu fièrement et il observait les alentours d’un regard bien appliqué, bien soucieux. Eirik fit alors signe à l’un des hommes postés aux côtés du barreur et le drengr sortant un cor souffla dedans.

Leur destination devait être proche si Eirik donnait l’ordre au bateau de ralentir et aux guerriers de se préparer. Freinant ses mouvements, Jørdiss abandonna sa rame pour la confier à un des hommes du navire en rejoignant Eirik.

— On est proche, demanda la guerrière au bouclier qui était aux côtés d’Eirik et de ses combattants de confiance.

— Nous touchons au but, allez prépare-toi !

— Ma hache a soif de sang, lui répondit-elle avec avidité.

— Allez, va et reste concentrée, lui répondit sèchement Eirik avec un ton presque paternaliste.

Les navires continuèrent encore une bonne heure leur progression à l’intérieur des terres du Corvin. Les hommes à bord des navires s’équipaient pour la lutte à venir et les combattants de Vibord étaient quant à eux tombés sur de moins en moins de bâtiments au fur et à mesure de leur avancée. Se concentrant ainsi uniquement sur leur tâche d’escorte.

Mission qui devint vite caduque lorsqu’une puissante cloche se mit à sonner non loin.

Les navires de la flotte débouchèrent sur une partie plus large de la rivière et la ville dont avait tant parlé Eirik durant leur voyage apparut aux yeux de tous. De hautes constructions de pierre entouraient une colline et dominaient les arrivants de toutes leurs majestés. Ces hauts murs, entrecoupés de tours crénelées, devaient cacher la majeure partie de la ville, mais de nombreux bâtiments tapissaient déjà la rive et la sorte de petit port qui y prenait place était déjà bien important, bien occupé.

Jørdiss et les autres guerriers du navire furent arrachés à leur observation et rêverie lorsqu’une flèche s’abattit sur la proue du navire. Projectile qui s'avéra bientôt être l’éclaireur de nombreux autres. Le moment de flottement qui était survenu lors de leur arrivée, lors de leur première vision du lieu, fut vite brisé lorsque les traits s’abattirent sur le skeid.

L’une de ces flèches frôla d’ailleurs la tête de Jørdiss qui d’instinct se baissa.

Les guerriers qui s’étaient pressés au simple bruit des projectiles se fichant dans le bois, formaient à présent une sorte de mur de bouclier à l’avant du navire. Ils protégeaient ceux qui s’activaient aux rames tandis que la proue se couvrait de plus en plus de ces dangereuses flèches.

La guerrière ne resta pas longtemps derrière les boucliers de ses frères d’armes.

Un trait venant se planter dans l’épaule d’un des guerriers l’obligea à avancer pour prendre sa place dans ce véritable rempart de bois. Bloquant son bouclier sur celui de ses camarades, Jørdiss fit bien attention à se protéger.

Les respirations se faisaient fortement entendre derrière le mur tandis que les traits se plantaient dans le bois des boucliers en d’innombrables petits impacts. Les hommes étaient concentrés, concentrés à tenir fermement leur bouclier pour ne pas laisser les flèches s’abattre sur ceux qui se tenaient juste derrière.

Échangeant un regard avec les drengrs qui l’entouraient, Jørdiss reporta sa vision devant elle en décalant quelque peu sa protection. Les quais qui se rapprochaient étaient loin d’être déserts. Quelques hommes semblaient se presser pour monter des barricades à la hâte avec le moindre objet qu’ils trouvaient tandis que de nombreux archers étaient alignés sous une sorte de grand bâtiment. Un homme en armure dirigeait leurs efforts en donnant les ordres.

La guerrière n’eut pas le temps de plus observer qu’une nouvelle volée de flèches frappa les protections l’obligeant à resserrer son bouclier sur les autres.

Le navire continua son avancée sous une véritable pluie de projectiles qui perdaient en intensité avec le nombre croissant de navires qui se rapprochaient. Ils attiraient chacun une partie des tirs, mais ces derniers n’étaient pas moins inoffensifs pour autant. Un nouveau guerrier fut atteint à côté de Jørdiss et s’écroulant sur le pont, il fut traîné alors qu’un de ses camarades prenait sa place.

Vibord et ses combattants devaient avoir atteint les bâtiments périphériques, car le bruit des combats se fit bien vite entendre durant les derniers mètres parcourus par le skeid.

Jørdiss et les guerriers qui étaient privés de toute vision sur l’avant comprirent leur arrivée lorsque leur bateau frappa le bois des quais en un lourd grincement.

Un des hommes de bord, trop confiant ou ivre de combat s’était levé et brandissant sa longue hache pour motiver les combattants d’Eirik par son cri de guerre.

— Valía mère de tous les dieux, accueille-nous en ton palais !

Les combattants du mur de bouclier brisèrent alors les rangs et, un à un, ils sautèrent sur les planches du quai. Jørdiss dut d'ailleurs faire attention en bondissant du skeid pour ne pas tomber dans l’eau.

Les flèches volèrent de toute part.

Des drengrs du navire harcelaient à présent les archers ennemis tandis que Jørdiss fût prise dans la charge lancée contre les barricades entourant le grand bâtiment du port.

Son cœur battait à tout rompre, elle avait bien sûr un peu peur. Elle n’avait pas combattu depuis un moment, mais elle ne pouvait montrer ses sentiments. Au combat, tout signe de faiblesse était à bannir et Valía l’observait sûrement avec ses enfants.

Le drengr à côté d’elle pris par la ferveur du combat fût arrêté net dans sa course par une lance jetée sur lui. Les continentaux allaient défendre chèrement leur demeure face aux envahisseurs. Aussi déterminé ou puissant qu’il était, le guerrier narlhind qui avait couru en leur direction était à présent mort, sûrement emporté dans le palais de la déesse aux mille formes. Cette scène choquante fut bientôt noyée dans la multitude quand l’affrontement commença. Lorsque le corps-à-corps débuta entre les narlhinds et les continentaux.

Passant par-dessus un chariot composant la barricade, Jørdiss rejoignit la mêlée qui prenait place juste derrière. Son grand bouclier était des plus utiles. La guerrière parait les coups qui la harcelaient de toute part. Son épée, quant à elle, fendait l’air en prenant sa dîme de sang chaque fois qu’elle fendait l’air de son fil aiguisé.

Leurs adversaires n’étaient pas des plus émérites, mais ils défendaient leurs foyers et cela donnait à tout homme l’énergie d’affronter le danger, la mort. Un solide combattant habillé d’une vieille cotte de mailles chargea Jørdiss lorsqu’il la vit en difficulté face aux assauts d’un de ses camarades.

Observant cela, la porteuse de bouclier fut obligée de reculer et son premier agresseur accentua ses attaques pour profiter de son avantage. Mais il en abusa. Le laissant s'épuiser en des coups futiles contre son bouclier, Jørdiss dévia son arme avant de transpercer le pourpoint de son adversaire avec sa lame.

La guerrière n’eut cependant pas le temps de savourer sa première victoire que le second agresseur vint l’attaquer de sa lance. L’homme semblait bien plus âgé que son prédécesseur, plus expérimenté et ses attaques immobilisèrent Jørdiss. Perdant appuie sur une traîtresse flaque d’eau la guerrière se retrouva bientôt dans le sol couvert de boue, et abandonnant son lourd bouclier, Jørdiss parait les coups comme elle pouvait avec son épée.

Le continental semblait l’attaquer tel un pêcheur piégeant sa proie. Son pieu frappait le sol avec force et bientôt, le fer de l’arme passa les défenses de Jørdiss.

Le fer du pique plongea douloureusement dans l’épaule de la narlhind.

Une chaleur diffuse émanait de la blessure et quand l’homme retira son arme, la guerrière sentit son sang chaud couler sur sa peau. Serrant les dents de douleur elle eut le temps de voir le second coup de l’homme arriver, mais ce dernier fut coupé sur sa lancée

L'homme s'écroula à terre et Jørdiss put voir une petite hache plantée dans son dos.

Vibord posant son pied sur le combattant mourant, retira son arme avant de la plonger à nouveau dans le corps du pauvre continental gémissant à chacun des coups assassins qui lui étaient portés.

Se redressant, Jørdiss grimaça face à la douleur.

— Fais donc attention, skjaldmö, lui lança le narllhind. Si tu meurs, je devrai supporter Eirik tout seul. Tu n’oserais quand même pas me faire ça !?

Et souriant, Vibord replongea dans le combat qui prenait place autour d’eux.

Les abords de la ville semblaient être pris par les narlhind. Les combattants ennemis encore debout se repliaient dans les rues menant aux murailles. Les quelques malheureux qui se laissaient distancer étaient pris par la meute de drengrs qui les harcelaient.

La fureur des guerriers narlhinds semblait effrayer les continentaux comme s’ils n’étaient que des enfants. Ils s’enfuyaient apeurés sous les rires des guerriers qui les taillaient en pièces.

Ce n’était pas de vrais combattants, se dit Jørdiss. La lutte avait été simple malgré ses propres erreurs. Il s’en était fallu de peu, se surprit-elle a pensé en souriant malgré la douleur.

Tandis que les combats perdaient en intensité et que les défenseurs étaient repoussés de la périphérie de la ville. Eirik approcha de Jørdiss. Il était flanqué de ses porteurs de drapeau et d’un petit groupe de drengr qui le suivait pour assurer sa sécurité.

— Alors, fit-il tout sourire. Comment trouves-tu ma nouvelle ville ?

— Des plus accueillantes, dit Jørdiss en cachant sa douleur.

— Fais voir…

Eirik, qui n’était pas passé à côté de la grande tache rouge sur le veston de cuir de Jørdiss, observait la blessure.

— Rien de trop mauvais, va donc soigner ça avec une bonne lame.

Et avant qu’elle ne quitte sa présence, il la retint de sa main.

Il posa son front contre le sien comme pour communier avec elle après la lutte qui avait fait rage.

— Allez, finit-il de dire en la poussant, va nettoyer ça et rejoins-moi. La suite devrait te plaire...

Annotations

Vous aimez lire Kost . ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0