Chapitre 2
Le reste de la soirée se passe ainsi, assise dans la salle de bain ou dans ma chambre, étant les plus silencieuses possible. Mira jouant, dessinant tranquillement. Du haut de ses cinq petites années, elle comprend facilement la situation. Depuis sa naissance cachée, elle n’a pas pleuré une seule fois. Ma mère disait qu’elle sentait tout ce qui se passait autour et connaissait l’avenir. Combien de fois ai-je eu peur qu’il tue ma mère et ma petite sœur…
Mira, notre petit miracle, mon miracle, mon monde. Il n’est pas au courant de ton existence, ce qui ressort du prodige. Il passe la journée dehors, au boulot ou je ne sais où. Le soir voire en milieu d’après-midi, il rentre empestant l’alcool et la cigarette. Parfois j’échappe à ses coups, car trop bourré pour agir.
Notre mère a succombé sous sa violence répétée. Deux ans sans elle est un enfer, mais deux ans où ma conscience me permet d’avoir une pensée libre, celle de la voir sourire dans un autre monde. Je me demande la sensation que cela doit faire. La liberté.
Je pense à cela et à comment l’obtenir facilement, puis Mira me ramène vers elle et j’oublie ces pensées.
Au bout de plusieurs heures, j’entends ce monstre monter les escaliers, se prendre le mur et la porte de sa chambre qui claque, un gros bruit sourd et plus rien. J’attends. Rien. Difficilement, je m’approche de ma porte, tends l’oreille.
– Mira, je vais prendre à manger, pas de bruit, comme une souris d’accord ? Dis-je en murmurant.
Elle hoche la tête et se cache rapidement dans la salle de bain, dans le placard. Elle joue à la petite souris qui se cache du gros et méchant chat.
J’ouvre le verrou, la porte. Pose un pied et la referme lentement derrière moi. Les poings serrés tout comme la mâchoire, j’avance vers les escaliers. Une marche, elle grince, je ne bouge plus.
Rien.
La rampe est glacée sous mes doigts tremblants, chaque marche résonne comme une menace sourde. L’air est lourd, moite, chargé de cette odeur rance qui semble s’infiltrer sous ma peau. Une fois arrivée au rez-de-chaussée, je reprends mon souffle et me retiens de tousser violemment. Mon regard se porte sur la cuisine, à ma gauche. Elle est s’en dessus dessous. J’avance un pas après l’autre, les meubles comme appuie. Dans des petits tupperwares, quelques poignées de pâtes froides. Une boîte de gâteau au chocolat dans le placard et…
Une tasse se fracasse sur le sol.
Je me fige. Un bruit. Il grogne. Il bouge. Mon souffle se coup.
Je me dépêche de me cacher derrière l’îlot central.
– Mmm ? Grommelle-t-il à moitié endormi. C’est quoi ce bordel ?
Dans un soupir, il avance. Mon cœur tambourine comme s’il voulait défoncer ma cage thoracique pour s’enfuir. Va-t-il l’entendre ? Il ouvre le frigo. A quelques mètres de moi. Une bière. Puis il remonte.
Mon cœur siffle dans mes oreilles, la vision trouble à force de retenir ma respiration. Rapidement, dans la précipitation, j’attrape les gâteaux, des couverts et remonte. Je l’entends grogner, marmonner mais toujours dans sa chambre.
Je retourne auprès de Mira, verrouillant derrière moi, plaçant une chaise en plus pour bloquer la poignet, au cas où.
– Mira ? J’ai le repas. En lui soufflant.
Elle sort de sa cachette et me rejoint sur le lit. Je lui tends un tupperware, place une petite fourchette dans main et lui fait signe de silence. Nous mangeons. Quelques regards échangé, quelques grimaces rigolotes. Son regard s’attarde sur la boîte. Le mien approuve. Ses petits doigts serrent cette douceur sucrée. Un instant d’innocence. J’aimerais pouvoir lui en offrir plus. La boite atterrie dans le sac sous le lit. Pour plus tard.
– Est-ce fini ? Me demande-t-elle en me regardant de ses grands yeux bleus.
– Bientôt ma chérie, bientôt. Je vais rester à la maison toute la journée de demain, avec toi. La rassurant avec un petit sourire.
Le reste de la soirée ce passe de la même manière. Je reste à semi allongée, caressant ses cheveux tout en lui racontant de belles histoires. Des princesses, des héros, des sirènes et tout ce qui peut la protéger de la réalité.
Mira fini par s’endormir sur moi. Le vent dehors se fait sentir, comme s’il retient son souffle. La lune éclaire faiblement la chambre, me permettant de garder un œil sur la poignet. Une douce lumière qui éclaire ses petites joues rebondies. Son petit nez fin qu’on a juste envie d’embrasser et ses grands cils entourant ses magnifiques yeux… Son souffle paisible contre ma poitrine est mon ancre. Je me dis que tant qu’elle dormira ainsi, tout ira bien. Je tiendrai. Pour elle.
Les yeux fixés sur cette poignée, dernier rempart le séparant de nous. Beaucoup trop de choses me vienne en tête, la fuite, la journée, les douleurs que je tente d’oublier, en vain. Mon corps meurtri s’égosille, je ne bouge pas, je prends sur moi et souris.
Encore un peu de temps, et tout prendra fin. Nous ne seront plus dans ce monde odieux, monstrueux, ne voulant que notre malheur. Je me raccroche à cette image comme un noyé à sa planche.
Les heures passent, le matin arrive, je n’ai fait que somnoler, toujours en alerte, je ne peux m’endormir et prendre le risque.
Clac !
La porte d’entrée s’ouvre et se referme violemment, il part au travail ou ailleurs, qu’importe. Tant qu’il n’est pas là, nous pouvons en profiter pour réunir ce qu’il nous manque.
Je caresse la joue de Mira, la tirant de ses rêveries. Nous devons prendre tout ce que l’on trouve. Elle se lève, frotte ses yeux et me sourit, les yeux brillant.
– Tu es merveilleuse et belle mon petit miracle. Aller, va te coiffer, tes belles boucles doivent être entretenues.
Elle comprend rapidement, entre dans la salle de bain et m’attend. Je la rejoins plusieurs minutes plus tard. Lui fait couler un bain, dans une bassine. Un petit canard en plastique, ses habits posés à côté. Il faut en profiter pour la laver.
Pendant ce temps, je ferme la porte à clef. La place autour de mon cou et me dirige vers le couloir. Mes jambes trembles, prêtes à lâcher sous mon poids. Chaque pas est une torture, mais je ne dois pas le flancher.
Petit pas par petit pas, j’avance jusqu’à sa chambre. Une odeur nauséabonde, une envie de vomir… Un mélange entre alcool, tabac, crasse, transpiration et une odeur d’acide écœurante. L’air est épais, poisseux, me piquant la gorge. Il colle à la peau.
Me retenant de vomir, je pousse la porte sur une chambre complètement délabrée, des tâches sur la moquette, le plafond et les murs jaunis. C’est immonde.
Je m’affaire à la tâche, cherchant tout ce qui peut m’être utile. Un document, de l’argent, une montre ou tout ce qui peut être vendu.
200 euros au total !
Presque euphorique. Je les saisis et les range rapidement dans ma poche. Ils sont sales mais qu’importe !
Est-ce qu’il le remarquera ?
Je secoue la tête. Non, il perd beaucoup de chose et dépense énormément en alcool, il pensera y avoir déjà dépensé. Du moins, j’espère…
Mes doigts tremblent et se referment sur les billets. Est-ce suffisant ?
Les affaires remis à leur place, je sors de la pièce et me dépêche de retrouver Mira.
– Je prends rapidement une douche et on va aller se promener d’accord ? Lui dis-je
Elle cris silencieusement de joie, ce qui m’arrache un sourire. Je file sous la douche, laissant Mira dans la chambre fermée à clef. L’eau chaude coule sur mon corps, tels des couteaux lacérant ma peau meurtrie. Chaque mouvement est un défi.
Au bout d’un moment, sortant de la douche, je me sèche et attrape des bandages et commence à me penser, appliquant de la pommade. Puis, un cachet, un autre. J’ingère plusieurs cachets anti-douleurs pour tenir la journée. Je ne dois pas inquiétée Mira. Nous sommes presque à la fin. La fin. Enfin partir. Encore quelques jours et tout sera fini…
Une fois prête, je récupère Mira et nous sortons le plus discrètement possible de la maison. Lunette de soleil et masque. Aucun commérage, personne ne doit me reconnaître ni voir mes blessures sinon le plan pourrait tomber à l’eau. Nous passons le pas de la porte, le soleil brille de mille feu dans ce ciel bleu azure. Un petit vent frais souffle, faisant virevolter nos cheveux. Mira arbore un grand sourire. Nos sorties sont rares, très rare. Son sourire me donne le courage d’affronter ce démon, affronter cette douleur qui menace de me faire tomber dans les pommes… Son sourire est précieux, ses yeux brillants...Mon cœur s’en réjoui.
Nous finissons par nous promener pendant un long moment. Puis, dans un parc, elle coure et s’amuse tandis que je l’observe depuis le banc, filmant chacun de ses petits moments avec mon petit téléphone acheté d’occasion. Je l’utilise principalement pour filmer ou prendre en photos les moments avec Mira, n’ayant personne avec qui parler.
Soupir. Ma main sur mes côtes, je ferme les yeux un instant pour calmer la douleur. Même respirer est douloureux. Est-ce que je vais devoir aller aux urgences ? Non...trop cher et je ne veux pas que Mira se retrouve dans une famille d’accueil si on apprend que je subis les violences de mon père.
– Regarde ! Regarde je suis tout en haut ! Hurle Mira en rigolant.
Son rire est comme une douce musique pour mes oreilles ou bien comme une bulle d’air parmi le marécage dans lequel mon esprit s’enfonce au fur et à mesure des années.
Ouvrant les yeux, je ne peux m’empêcher de rire, ce qui accentue mon mal. Qu’importe. M’avançant, je tends mes bras vers elle, l’aidant à descendre du toboggan.
– J’ai vu, tu ressemblais à un petit singe. Dis-je en lui touchant le bout du nez.
Des pas précipités, des cris et une voix qui réprimande. Deux petites voix me rappel dans le monde réel. Une petite fille et un garçon suppliant leur sœur de jouer.
– Oh grande sœur ! Je peux aussi jouer au toboggan comme cette fille ?
– Vous pouvez y aller mais soyez sage ! Lui répond leur sœur.
Je commence à m’éloigner avec Mira, laissant la place aux autres.
– Oh vous pouvez rester avec votre fille madame. Ils seront sage ne vous en faite pas. M’informe-t-elle.
J’hoche la tête en guise de réponse, mais évite de la regarder de peur qu’elle me reconnaisse.
– Je peux continuer à jouer ? Me supplie Mira de ses grands yeux.
– D’accord.
A peine posée au sol qu’elle court et se précipite en haut du toboggan, jouant avec les autres enfants. Je finis par me rassoir sur le banc. Cette fille, je la connais. Pourvu qu’elle ne me reconnaisse pas...Normalement aucun souci, je ne parle à personne au lycée. Mais quand même, on a travaillé une fois ou deux en TP de chimie…
– Vous venez souvent ici ? C’est la première fois que je vous vois. Me questionne-t-elle.
Évitant de parler, je réponds brièvement avec des gestes simples.
– Oh, vous êtes muette ou malade ? Désolée… Je suis trop curieuse parfois. Je viens souvent avec les jumeaux. Ils ont six ans et votre fille ?
Cinq… Elle a bientôt six ans aussi. D’une main, je lui indique son âge.
– Cinq ans ? Elle est trop mignonne ! Ils ont l’air de bien s’entendre. Dit-elle d’un ton joyeux avant de gronder le petit garçon. Adrien ! Laisse ta sœur tranquille !
Elle ne m’a pas reconnu...Je souffle doucement soulagée. Mais son regard s’attarde une seconde de trop sur moi. Je détourne les yeux. Le malaise s’insinue, froid et insistant. Elle sait. Non, elle ne peut pas savoir…
– Dites-moi, on s’est déjà vu quelque part non ? Me questionne-t-elle, ne me lâchant pas du regard.
Je secoue les mains pour essayez de dissoudre cette pensée puis me lève. Trop rapidement. J’en perds l’équilibre. Ma jambe !
– Attention !
En même temps qu’elle cri cela, elle me rattrape avant que je finisse étalée par terre, la tête la première. Mes lunettes tombent. M’aidant à me relever, elle les ramasse et me les tend.
– Tenez… Attendez… Surya ? C’est toi Surya ?
J’attrape rapidement les lunettes qu’elle me tend, puis récupère Mira et commence à partir aussi vite que je le peux, boitant.
– Attends ! Les jumeaux restez ici ! Surya !
Je ne l’attend pas, me dépêchant de partir alors qu’elle essaye de surveiller les petits. Oh non… pourquoi il fallait que je tombe sur quelqu’un que je connais…
Se dépêchant, je mets fin à cette journée et passe par plusieurs ruelles pour être sûr de ne pas être suivie. L’après-midi pointant le bout de son nez, nos ventres gargouillent.
– On va manger dehors aujourd’hui. C’est exceptionnel d’accord ?
Toute ravie, elle me câline. Et nous allons dans un supermarché acheter notre repas. Mira choisit ce quelle veut pendant que je prends deux trois trucs nécessaires pour la suite du plan. Rien de bien lourd vu mon état. Ensuite, nous mangeons dehors, au soleil, tranquillement.
Et, avant les 16h, nous rentrons et rangeons nos achats. Le reste de la journée se passe tranquillement dans la chambre. Rien d’extraordinaire. Juste, encore et encore des anti-douleurs pour tenir.
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