Chapitre 3
Plusieurs jours passent, presque identique. Surya et Mira vivent, parlent et dorment dans l’insécurité. Dans cette maison devenue un enfer. Une prison…Mardi matin, Surya quitte la maison avec Mira, emmenant le gros sac avec elle. Elle traverse une partie de la ville grâce aux transports en commun. Une fois arrivée à destination, elle se dirige vers le box et l’ouvre grâce à la clef de sa mère. Un box de stockage acheté par sa mère depuis plusieurs années. Son héritage. Dedans, elle ajoute les quelques ressources récupérés ces derniers mois, de même que les quelques sous engrangés avec plusieurs petits boulots dont le chant dans un restaurant-bar.
Se réveiller. Se déplacer discrètement. Prendre de la nourriture, manger. Tout se répète. La violence s’efface, remplacée par l’ombre d’un homme qui rentre tard, titubant, s’accrochant aux murs avant de s’effondrer sur le canapé ou dans sa chambre. Il est complètement alcoolisé, bien trop prit par ses pensées pour s’occuper d’elle, Surya. Mira n’existe pas pour lui. Il n’a jamais eu ou prit conscience de sa seconde fille. Cachée par sa défunte femme, suivie par la relève de l’ainé.
Trois jours après l’accident des escaliers, le jeudi matin, Suyra décide de retourner au lycée. Élève modèle de par ses notes, louper autant d’heures d’enseignement ne passe pas inaperçu pour certains enseignants. Muni d’un mot d’absence, réalisé par ses soins, elle se dirige vers l’accueil et remet le document factice qui passe comme une lettre à la poste. Ce n’est pas la première fois qu’elle écrit au nom de son géniteur, son père. Personne ne demande des comptes, personne ne demande à voir son père. Heureusement pour elle.
La matinée passe, Mira enfermée à la maison, cachée. Surya suit les cours sans éveiller l’intérêt des autres. Quelques camarades remarquent son retour en cours, de même que certains enseignants mais cela ne va pas plus loin que cela. Elle reste la plus discrète possible, au fond des classes. Le temps du midi vient.
Dans le lycée, le couloir est un tumulte de rires, de voix, de cris et de pas précipités. Des élèves passent en courant, d'autres se bousculent en plaisantant. Certains restent pendant que d'autres sortent. Différents groupes se forment et se défont au gré des conversations. Se saluant amicalement, échangeant quelques gestes d'affection.
Ce sont les bruits habituels d’un lycée en pleine effervescence.
Et au milieu de ce chaos, une silhouette solitaire avance, discrète, presque effacée. Elle marche lentement au centre du couloir, sans bruit. Ses pas glissant presque sur le carrelage.
Trop calme. Trop silencieuse.
De longues boucles noires ébènes lui tombent sur le visage, le dissimulant. Malgré tout, il est possible de distinguer la rougeur de son visage, un peu gonflé. Sa lèvre inférieure est coupée tout comme son arcade sourcilière. Son visage, plus marqué, contraste avec la pâleur intacte de ses mains. Du maquillage essayant de cacher les marques de violence.
Sa posture est voulue droite. Malgré ses efforts, elle est courbée, renfermée. Le pas lent et boitant. Ses yeux gris rivés sur le sol.
Ses doigts, couvert de pansement, sont crispés sur les bretelles de son sac. Habillée de noir, bien trop large pour sa carrure, passant sans se retourner.
Quelques regards se posent sur elle. Personne ne l’arrête. Personne ne lui parle.
Une fille tente de s’approcher mais reste figée, ne sachant comment lui adresser la parole, sans lui faire peur. Il s’agit de la même camarade rencontrée au parc.
Un garçon l’observe l’air inquiet. Il ne la quitte pas du regard et questionne ses amis. La camarade les retrouve et ils échangent quelques mots.
– Je l’ai croisé hier, au parc, avec une petite. J’ai cru que c’était une maman mais quand je l’ai reconnu, elle s’est enfuie. Elle se tenait les côtes et son teint était pâle. Explique-t-elle dans un murmure, presque comme si elle partageait un secret.
Ces derniers suivant son regard, une pointe de curiosité vite remplacée par la confusion et l’inquiétude se lisant dans leurs yeux.
Voulue discrète, que personne ne la remarque… C’est tout le contraire.
Son silence, ses blessures attire l’attention. Mais personne n’ose l’aborder. Personne n’ose briser la distance, comme si elle était faite de verre, prête à se fendre au moindre contact.
Surya semble ailleurs, intouchable. Comme si rompre ce silence risquait de la faire disparaître ou de la briser.
Les échanges se poursuivent, portant sur tout et rien : des cours, des professeurs trop sévères, des sorties du week-end.
Mais elle ? Elle ne dit rien.
Jamais.
Sa silhouette s'enfonce dans le couloir, s’éloigne du brouhaha sans un mot. S’arrêtant devant un casier, l’ouvre et tend le bras pour attraper un cahier, mais son souffle se coupe. Elle se tient le bras, serre les dents. Sa main tremble légèrement alors qu’elle s’accroche à la porte du casier pour ne pas chanceler. Elle jette un coup d’œil mais ne remarque rien.
Le petit groupe qui l’observe retient son souffle, le cœur brisé, le regard de compassion bien que ne comprenant pas. Comme un silence solennel, ils veulent en savoir plus. Malgré le fait qu’ils ne la connaissent pas, certains d’entre eux on déjà travaillé avec elle. La trouvant douce, timide, intelligente et pourtant, le peu de joie qu’ils ont perçut n’existe plus en cet instant.
Elle attrape tout. Ne prend pas le temps de trier. Ne ferme pas le casier. Fais demi-tour. Chaque pas lui arrache une grimace, mais elle ne ralentit pas. Une main sur ses côtes.
– Pourquoi prend-t-elle toutes ses affaires ? Questionne la jeune camarade.
– Elle boite. Regarde son visage, il est gonflé. Renchérit un garçon, les sourcils froncés.
Mais comme à chaque fois, le couloir reprend vie derrière elle. Aujourd’hui est un jour différent car son passage laisse un arrière goût. L’inquiétude, la curiosité, la confusion… Ils continuent de la regarder et lorsqu’elle quitte les lieux, s’échangent des regards. Un message silencieux que seul eux comprennent.
Pour les autres, rien ne s’est passé. On oublierait presque son passage. Elle ne marque ni les lieux ni les esprits.
Une fois sortie du lycée, elle continue son chemin, peinant à porter son sac lourd. S’avançant, un pas puis l’autre. Une larme solitaire roule sur sa joue. Elle l’essuie d’un revers de main. Un peu de maquillage s’efface, dévoilant un bleu plus sombre. Comme si, malgré ses efforts, la vérité refusait de disparaître.
Surya avance dans la rue, s’éloignant de plus en plus du lycée, un bâtiment à la fois de réconfort et de peur. Réconfortée d’être loin de cet homme mais effrayée de devoir laisser Mira seule à la maison. Après tout, elle n’a que cinq ans et demi. Malheureusement, impossible de faire autrement. Elle réfléchit sur la prochaine marche à suivre.
Elle sert les poings, et pense : Lundi. Je suis majeure ce lundi. Plus qu’à tenir demain et ce week-end. Rester discrète puis je l’emmènerai loin de lui.
Déterminée sur cette dernière ligne droite, elle avance, le regard fixé sur l’horizon, portée par une détermination plus forte que la douleur. Le trajet du retour est long, les transports prennent beaucoup de temps. Surya stresse.
Une fois chez elle, elle monte directement dans sa chambre, retrouvant la petite Mira qui s’occupe comme elle le peut. Le sac de cours tombe lourdement au sol. Dedans, quelques livres et manuels mais aussi des documents utiles, récupéré la semaine dernière.
– Je suis de retour mon cœur.
Elle s’avance, se laisse tomber sur le lit pendant que Mira grimpe et embrasse sa joue.
– Tu as été sage ? Demande Surya, d’une voix fatiguée et emprunte de douleur.
– Oui ! Répond Mira en murmurant. C’était long sans toi.
– Je sais, désolée… La prenant dans les bras.
Elles s’allongent reste ainsi un instant.
– Je finis de tout préparer ce soir et demain. Nous partirons lundi. Annonce-t-elle d’une voix ferme.
Mira se relève, excité à cette idée, elle saute de joie sur le lit.
Plus tard dans l’après-midi, Mira finit un paquet de gâteau tandis que Surya récupère tout le nécessaire encore présent dans la chambre et la salle de bain. La nuit passe et la valise est finalisée le lendemain matin.
– Mira, ce soir nous sortons. On mange dehors dans un restaurant d’une connaissance et je chante ma dernière chanson. D’accord ? Annonce Surya.
La petite aux yeux brillant hôche la tête et se coiffe.
Vient le soir.
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