Chapitre 4 : Je serais le démon
La nuit et la pluie commencent doucement à tomber. L’air frais apaise mon cœur meurtri, chassant l’angoisse le temps d’une nuit.
Quelques heures avant, nous nous sommes rendues au box pour poser la valise. J’ai récupéré par la même occasion un sac avec quelques affaires pour nous changer une dernière fois et ma guitare.
Nous entrons dans le restaurant, poussant la porte dans un cliquetis. Dedans, les voix s’élèvent, des bruits de couverts. La nourriture embaume mes narines, me faisant saliver.
– Surya ! Ma jolie tu es là. M’aborde Noellia.
Elle s’avance vers nous d’un pas gracieux et assurée, s’arrête, nous regarde à tour de rôle puis s’attarde sur mon visage. Sa bouche s’entrouvre. Dans son regard, de nombreuses questions se bousculent.
Toma, son mari m’accueille avec un large sourire.
– Comment vas-tu ? Oh tu as ramené Mira ! Qu’elle est belle. Me dit-il.
Ils ont déjà vu Mira à quelques reprises. Ils ne sont au courant de rien et ne demande aucune explication.
Le regard de Toma s’assombrit et l’inquiétude se lit sur son visage. Ils s’échangent des regards mais ne posent pas plus de questions, sachant que je disparaîtrais après ce soir.
Noellia était proche de ma mère, du moins, lorsqu’elles étaient jeunes. C’est pour cela qu’elle m’a offert ce job malgré mon âge. Sans lui, nous aurions eu bien du mal à suivre le plan et réussir à en arriver jusqu’ici.
Prenant Mira par la main, je l’entraîne au fond de la salle, près du bar. J’entre dans cette petite pièce étroite qui sert de loge. J’enfile une robe simple mais fluide, tombant jusqu’à mes cheville. Puis ajoute un large pull pour cacher encore plus mon corps. Mira est assise sur un vieux tabouret, ses pieds battant l’air tandis que je finalise mon maquillage pour cacher les dégâts. Ses grands yeux fatigués me suivent avec attention alors que je coiffe mes cheveux, laissant mes boucles cascader sur mes épaules.
– Tu es belle. Murmure-t-elle
Je luis souris doucement et ajuste une mèche rebelle derrière son oreille. Je me penche vers elle et place mon écharpe autour de ses épaules.
– Mira, restes près du comptoir, d’accord ? Je t’ai pris un jus d’orange. Si tu veux quelque chose, demandes à Noellia ou Toma.
Elle acquiesce sans répondre, ses petits doigts s’accrochant à l’écharpe. Je pose un baiser sur son front, finis de me préparer et prend une grande inspiration. J’avale mes antidouleurs. C’est la dernière fois. Une dernière nuit.
Cette idée m’attriste car j’aime beaucoup venir chanter ici. Bien que je parle peu avec Noellia et Toma, les propriétaires, ils sont devenus ma seconde famille, juste après Mira.
Nous sortons de la loge et je pose Mira sur une chaise près du comptoir, lui donnant son jus d’orange. L’odeur de bois ciré et d’épices me rassure. Derrière le bar, Noellia m’adresse un signe de tête et un sourire complice. Ses yeux trahissant une inquiétude, telle une mère face à son enfant.
– Prête pour ta dernière représentation ? Me demande Toma, apparaissant derrière moi.
– Oui… Mon ton marque une pointe de tristesse mais d’excitation.
– Tu pourras revenir autant que tu le voudras, tu le sais ? Me rassure Noellia.
Je leur souris et les remercies, puis me tourne vers la scène. Le brouhaha des conversations s’estompe alors que je monte les quelques marches, prenant place sur le tabouret, guitare en main. Les projecteurs me brûlent la peau, mais je ferme les yeux un instant, laissant l’ambiance du bar m’envelopper.
Toma commence au piano. Les premières notes résonnent et le silence se fait peu à peu. Ma voix s’élève, douce, fragile, mais sûre.
Je chante plusieurs morceaux, des chansons qui parlent de voyages, d’amour, de départs. Ma gorge se serre à chaque mot. Je sais que c’est la dernière fois. Chaque accord, chaque note résonne comme une promesse. Une promesse brisée. Oubliée…
Puis vient le dernier morceau. Celui que j’ai choisi spécialement pour ce soir. Toma quitte la scène et retourne derrière le bar pour aider Noellia avec la cuisine.
Un silence s’installe. Ma gorge se noue à l’idée de parler de mes sentiments, bien que camouflés derrières une chanson. Je pose mes doigts sur les cordes et inspire profondément, essayant de calmer mon cœur.
Les premiers mots sortent de ma gorge, telle des couteaux transperçant mes lèvres.
“Seule...brisée quand le vent souffle...doucement. Un brin de silence, les ténèbres m’envahissent...”
Ma voix vibre, emplie d’émotion contenue. Un silence presque religieux s’installe dans la salle. Les notes s’envolent, s’accrochent aux murs, aux verres posés sur les tables, faisant écho aux cœurs battants. Tel un adieu murmurée, une confession chantée.
“Donc les faits, les coups, la vie est ainsi ?”
Ces mots sortes plus portés de tristesse que voulu.
“Flancher, tomber, mon cœur se brise, son regard m’implorant, criant : Est-ce fini ?
A ces mots, ma voix se brise. Malgré tout, je poursuis la musique à la guitare comme si c’était prévu, me laissant un moment de répit pour reprendre mon souffle. Les regards s’écarquillent, ne me lâchant pas. Mes lèvres tremblent, mes yeux brillent. Baissant la tête, je ferme les yeux quelques secondes puis la relève et porte mon regard sur les personnes présentent dans la salle.
“Je serais le démon, le démon… Il n’arrivera pas...”
Ma voix diminue petit à petit, au gré de la chanson. Du coin de l’œil, je vois Mira s’approcher de la scène et m’observe de ses grands yeux, une moue se forme sur son doux visage.
“Au ma chérie, mon cœur, mon monde. Je te protégerai, au périple de...de ma vie.”
Le dernier accord s’éteint. Mon regard ne la quitte pas et un petit sourire apparaît sur mon visage, contrastant avec la tristesse de mes yeux. Un instant, il n’y a que le silence. Puis les applaudissements fusent, un tonnerre qui me secoue de l’intérieur.
Mais avant que je puisse réagir, une petite silhouette se précipite sur scène et s’accroche à moi. Mira.
Ses petites mains attrapent mon pull, sa tête enfouie contre mon flan. Je pose la guitare d’une main et de l’autre, lui caresse les cheveux. La serrant contre moi. L’émotion me submerge, mais je reste droite, lui murmurant des mots rassurants.
– Trop de monde… Murmure-telle d’une petite voix tremblante.
J’attrape Mira, et la porte, ne pouvant m’empêcher d’esquisser une grimace de douleur malgré les médicaments.
Puis, portant Mira et la guitare, je descends de la scène. Dans la salle, des regards nous suivent. Certains sont émus, d’autres intrigués voire même confus. Parmi eux, quelques visages familiers...Des élèves de mon lycée. Installés en famille ou entre amis, me fixent, bouche bée.
Je croise leurs yeux, et le temps semble suspendu.
Ils m’ont reconnue ?
Oui… Ils m’ont reconnue...
Je m’arrache à leur regard et me tourne vers Mira, l’embrasse sur le front et file dans la loge récupérer nos affaires. Noella toque à la porte.
– Tu peux entrer. Je prends mes affaires et nous allons devoir y aller.
Elle s’avance vers nous, ébouriffe les cheveux de Mira et d’une voix hésitante me dit.
– Tu sais… Tu es toujours la bienvenue, tu peux même rester avec nous si besoin. On s’occupera bien de vous.
Mon cœur se serre. Je lui tourne le dos, faisant mine de ranger ma guitare mais en réalité, je cache mon visage et mes lèvres tremblantes.
– C’est gentil Noellia mais je ne veux pas vous impliquer dans tout cela. Vous nous avez déjà tant aidé. Je dois finir ce que j’ai commencé, seule.
– Tu es certaine ? Sa voix presque suppliante.
– Est-ce que je peux te confier sa guitare ? Je ne voudrais pas qu’elle s’abime sous la pluie. Dis-je en lui tendant la guitare de ma mère.
Elle soupire, inquiète et désemparée mais la récupère et la range en lieu sûr. Toma nous rejoins un instant avant de retourner au service. Après une embrassade, elle me tend une enveloppe et je quitte le restaurant par la porte arrière, tenant la main de Mira. Nous avançons sous la pluie, protégées par un parapluie. L’eau tombant sur le sol chante une mélodie mélancolique, laissant un vide dans mon cœur. Ils sont d’un grand soutient et c’est pour cela que je ne veux pas les impliquer dans tout cela. Jetant un dernier coup d’œil, je vois l’ombre de Toma regardant par la fenêtre. Mira le salut par un petit signe de la main et nous nous éloignons.
Plus qu’à rentrer et rester enfermées tout le week-end. Nous marchons en silence, je range l’enveloppe dans mon sac. Et sous la pluie battante, une larme s’échappe.
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