Chapitre 5

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Nous arrivons à la maison. J’observe autour de nous. Aucune voiture. Il n’est pas encore rentré du bar.

Ouvrant la porte précautionneusement, j’entre et allume l’entrée. Des frissons parcourent tout mon corps, comme à chaque fois que je passe le seuil. Dire qu’il y a quelques années, je franchissais cette porte joyeusement …C’était bien avant la naissance de Mira.

Un pas à l’intérieur, je referme la porte derrière moi.

– T’étais où ?

Une voix pâteuse et enrouée brise le silence, en même temps qu’un coup de tonner éclate dehors.

Figée, je cache instinctivement Mira derrière moi.

– Répond quand je te parle !

Il hurle, et les marches grincent sous ses pas alors qu’il descend.

– J’avais besoin de marcher. Murmurais-je

Ma voix se brise, mon cœur s’emballe, mes poings se serrent jusqu’à ce que mes ongles s’enfoncent dans mes paumes.

Il n’aurait pas dû être là ! Pas de voiture veut dire pas de bourreau, normalement ! Que faire ? Que faire ?!

La panique m’envahit. Plus il s’approche, plus mes yeux cherchent une échappatoire. Mira… Mira ! Il ne doit surtout pas la voir.

– Même quand je dors tu viens me faire chier ?

Son ton est las, fatigué. Il se diriger vers la cuisine, ouvre le frigo et attrape une bière. J’en profite pour commencer à monter les escaliers.

– Stop !

Le frigo se referme brusquement. Un coup de poing sur la table claque dans l’air, me faisant sursauter.

– Petite ingrate, où crois-tu aller après m’avoir réveillé ?!

Je déglutis. Alors que je pose le pied sur la première marche, une main m’agrippe violemment et me tire en arrière. Je m’écrase au sol, mon dos percute le parquet. La douleur explose dans mon corps, encore un fois. Mon souffle se coupe. Il est là, au-dessus de moi, me toisant de ses yeux vides.

Mira est recroquevillée près des escaliers. Il ne l’a pas encore vue…

– Depuis qu’elle est partie, je ne sais plus quoi faire de toi.

Une étincelle de tristesse brille dans son regard, fugace, presque irréelle.

– C’est trop tard, maintenant. Tu lui ressemble tellement… J’ai l’impression de voir son fantôme à chaque fois que je te regarde.

Il s’avance.

Pour la première fois depuis son changement, son attitude trahit une profonde tristesse. Et, à ce moment-là, je vois l’homme derrière les coups.

Difficilement, je me redresse, restant près des escaliers tout en gardant une certaine.

La lueur s’éteint aussitôt. Son regard vide revient tout comme le démon.

Son bras se lève.

Un petit cri brise le silence.

Mira !

Alors qu’il commence à se retourner vers elle, sans réfléchir, j’attrape l’objet le plus proche et l’abats violemment sur sa tête. Il titube.

J’attrape Mira, récupère mon sac tombé au sol et me précipite hors de la maison.

Derrière nous, ses hurlements de douleur et de rage résonnent dans la rue, étouffés par la pluie et le tonnerre au fur et à mesure que nous nous éloignons.

Je cours sans but. Ne sachant pas où aller.

Le restaurant de Toma et Noellia ?

Non…

Je ne veux pas leur causer des problèmes.

Mais où alors ? Je n’ai ni amis, ni famille proche…

– Reste ici ! Hurle mon géniteur, sa voix tonne derrière moi.

Mes pieds s’emmêlent. Je trébuche et m’écrase sur le béton détrempé, Mira debout juste à mes côtés, en larmes.

La pluie tombe à verse, noyant les rues d’un gris oppressant.

Le ciel, lourd et menaçant, pèse sur mes épaules. Je me relève lentement.

Devant moi, il avance. Je me tiens là, immobile. A l’intérieur de moi, une tempête gronde, aussi violente que l’orage au-dessus de ma tête.

Ses yeux sont braqués sur moi, sa mâchoire serrée, comme s’il contenait une colère sur le point d’exploser. Ses cheveux poivre et sel plaqués contre son front par l’eau accentuant ses traits durs. Il a toujours eu cet air autoritaire, cet étrange mélange d’assurance et de froideur qui glace le sang. Un air qui a remplacé sa douceur passée. Mais ce soir, cette assurance n’est qu’une façade. Ses épaules légèrement affaissées trahissent une fatigue. Ou peut-être une culpabilité qu’il refuse d’admettre.

Je l’observe avancer, ses pas lourds résonnent dans ma tête tel la cloche annonçant la fin. Chaque éclaboussure autour de lui, accompagnant la force de ses enjambées, me donne l’impression que le sol s’effondre sous moi.

Il s’arrête à quelques mètres. Me dévisageant comme s’il cherche à lire en moi.

Mais ne dit rien. Pas un seul mot.

– Tu vas payer.

Sa voix, rauque et basse, claque comme un coup de tonnerre.

Un silence pesant s’abat sur nous. Seul le clapotis de la pluie brise l’attente.

Il s’avance encore, réduisant la distance qui nous sépare. L’eau ruisselle sur son pull sombre, mais il n’y prête pas attention.

Il n’y a que moi. Ses yeux accrochés aux miens.

– Tu as peur ? Demande-t-il soudain, sa voix presque douce.

Un frisson remonte ma colonne vertébrale, mais je refuse de détourner les yeux. Je relevai le menton, un geste de défi dérisoire.

– Non, dis-je d’une voix plus ferme que je ne l’aurais cru. Essayant de cacher Mira derrière moi.

Il esquisse un sourire, froid et cruel.

– Tu mens. Je vois la peur dans ton regard.

– Laisse-moi partir. Tu ne veux pas de moi, alors rentre chez toi et oublie-moi.

Ma voix, emplie de rancune, semble le faire vaciller une seconde.

– Tu es sous ma garde. Tu es ma fille…

– Stop ! Hurlais-je en l’arrêtant net. Ta fille ?

Un rire jaune m’échappe. Une quinte de toux douloureuse suit.

– Tu ne m’as jamais voulu. Tu as tué ma mère et tu as voulu me tuer de la même manière il y a à peine quelques jours et tu dis que je suis ta fille ?! T’es qu’une enflure ! Un enfoiré de première !

– Ne me parle pas sur ce ton ! Aboie-t-il son cri se mêle au tonnerre. Tu es ma fille ! Quant à ta mère…

– Ne parle pas d’elle ! Je t’interdis de parler d’elle !

Ma voix brise la nuit.

– Tout ça, c’est de ta faute !

Les maisons alentour s’éveillent, quelques lumières s’allument malgré la tempête.

– Tu n’es qu’un connard sans scrupule, sans vergogne. Un alcoolique, un drogué et un meurtrier !

Sa main explose contre ma joue. Ma tête bascule, je vacille et tomber au sol. J’en reste pantoise.

– Maman !

Mira se jette dans mes bras, en sanglots, complètement effrayée. Je l’attrape et m’éloigne de ce démon. La cachant sous ma veste, essayant de la protéger de la pluie et de ce monstre, son géniteur.

– Qui est cette gamine ?

Son air ahurit m’aurait fait rire dans d’autres conditions. Sa main tremble en s’approchant, hésitante.

– Ne la touche pas ! Ne t’approche pas ! M’égosillais-je

Son regard se trouble.

– Anika ? Souffle-t-il, sa voix se brisant lorsqu’il prononce le nom de ma mère. Est-ce toi ?

Je couvre les oreilles de Mira et hurle à plein poumon, qu’importe si les voisins sortent.

– NE PRONONCE PAS SON NOM !

Il titube. Avoir prononcé son nom l’a fait complètement dessouler. Sa bouche balbutie des mots incompréhensibles. Ses yeux s’éclaircissent et il finit par regarder ses mains avec lesquelles il m’a battu tant de fois. Enfin, il me voit.

– Non…Anika ?

Ses sourcils se froncent lorsque son regard s’éclaircit et plonge dans le mien.

– Surya ? Ma fille ?

– Tu n’es pas mon père.

Je recule, serrant Mira contre moi.

– Tu es un meurtrier. Au grand jamais tu ne l’approcheras.

Un pas en arrière.

Puis un autre.

Je tourne les talons et m’enfuis. Tenant toujours Mira dans mes bras, le sac sur le dos.

Viktor reste figé, planté sous la pluie, en plein milieu de la route. Le regard vide, l’air abattu, une main tendue dans notre direction.

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