Réprimande et Renseignements

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Un énorme cumulonimbus noir rempli de foudre recouvrait tout le plafond, le grondement du tonnerre était assourdissant, les gardes avaient à côté d'eux un paratonnerre pour parer aux nombreux coups de foudre qu'ils pourraient recevoir par inadvertance à cause de leur armure qui conduisait forcément l'électricité.

Toute cette énergie électrique émanait de la colère de la reine, qui faisait face à Beneltig, son visage était impassible, la reine amusante, pleine de vie, qui était dure et douce à la fois, qui faisait des blagues potaches avait disparu pour ne laisser place qu'à cette femme qui avait des airs de tyran.

Elle était emplie de haine envers le jeune champion, sa lâcheté, sa couardise... la faisaient vomir, mais elle n'avait rien dit lorsque la Fée lui avait proposé lui comme champion, elle lui avait pourtant expliqué que ça ne voulait pas dire que c'était son amoureux qu'elle était obligée de prendre comme champion pour l'aider dans son combat pour sa prise de pouvoir. Mais elle n'en avait fait qu'à sa tête, et voilà, qu'elle allait devoir réprimander sévèrement l'élu de son cœur pour qu'il imprime dans son crâne de poule mouillée qu'il ne se battait pas simplement pour lui ou pour sa princesse mais était une vitrine des soldats de l'armée du Royaume Féérique.

Parfois, elle regrettait d'être devenue reine et de ne pas avoir suivi son amie combattre le mal à travers le monde. Elle n'aurait pas eu à faire toutes ces courbettes à ces gens qu'elle n'appréciait guère, ses vêtements qui lui compressaient aussi bien la poitrine, que le ventre ou qui écrasait le dos. Elle qui se prédestinait à être une vaillante guerrière du Royaume de Sylvania, il fallut qu'elle naisse dans un Bourgeon Royal – enfin elle est née dans un Bourgeon Royale et, elle, elle est née dans un cocon de racines de Java-Aleim –, qu'elle gagne le tournoi et l'élection de la nouvelle reine et qui plus est, que lors de son intronisation, elle ne soit pas réellement la reine et lorsqu'elle s'affirme, il n'y avait plus aucune guerre, elle ne pouvait plus démontrer ses capacités sur le champ de bataille, à moins de participer aux guerres d'autres nations comme il y avait quelques jours.

Et c'était « déplacé pour une reine de se battre dans l'arène avec des sauvageons » lui avaient dit ces vieillards ailés ou aux grandes oreilles. Tout ce qu'elle pouvait faire maintenant – pour se divertir bien entendu –, c'était de s'informer des récoltes, discuter avec ses suivantes, faire l'inventaire dans l'armée... alors imaginez l'ennui qu'elle avait de faire des remontrances à un enfant incapable de défendre sa petite-amie convenablement et de laisser au gré du danger.

Si je pouvais lui casser la gueule une bonne fois pour toute, je l'aurais déjà fait.

C'était vulgaire mais cela était le fond de sa pensée.

Elle avait tout fait pour l'endurcir, mais incapable de tenir une diète, des muscles en papier mâché, il ne pouvait même pas se servir de sa tête pour compenser son manque de force tellement il était bête.

Comment une fille pouvait être attirée par pareil abruti ? se demandait la reine.

Parce qu'en plus d'être bête, c'était un coureur de jupons, il ne l'avait pas encore trompée, mais son attitude vis-à-vis des autres filles démontrait que sa mâchoire méritait un bon recadrage. C'était la seule fois où elle voyait sa testostérone agir. Bête au point de ne pas comprendre la chance – tout est relatif – qu'il avait eu.

Cela aurait été un autre champion, elle aurait déjà balancé de la foudre sur sa maison pour lui remettre les idées en place, mais vu qu'il était issu de la famille qui l'avait aidée à venir au pouvoir, il y a environ vingt-cinq ans de cela, elle ne pouvait pas se permettre de lui casser ses chevilles à ce sale lâche.

Audisélia allait devoir faire preuve de diplomatie et de pédagogie – ce qu'elle détestait par-dessus tout utiliser quand il s'agissait de cas désespéré, mais Sawyer avait bien fait l'effort, elle pouvait bien le faire pour les autres.

Sawyer la surveillait pour qu'elle ne fasse pas preuve d'une violence « extravagante » sur un enfant. Cela était bien dommage qu'il n'y eut pas Globox pour le distraire avec ses absurdités. Un jour, elle devrait dire à Morvian, un autre Saint de la Reine, qu'il le remplace lors de ses jours de repos.

Désormais, après toutes ses raisons, nous pouvons revenir sur la situation actuelle du cumulonimbus qui se formait au-dessus de leur tête.

Beneltig s'avança vers la reine et lui demanda la raison de sa présence auprès d'elle.

- Et la déférence ? lui rappela la reine.

Le champion s'exécuta immédiatement se rappelant de la conduite à adopter en présence de sa Majesté et s'excusa platement de son impolitesse.

- Tu sais pourquoi je t'ai convoqué ? lui demanda Audisélia.

- Aucune idée, ma reine, répondit-il la tête baissée.

- Je suis sûre que tu en as une petite idée malgré le pois chiche qui te sert de cerveau.

Sawyer cogna sur le trône pour rappeler à la reine de rester calme. Celle-ci soupira d'exaspération.

- Je vais aller droit au but. Tu as laissé ta protégée sans surveillance alors qu'un grand danger s'était manifesté dans le Colisée.

- Elle ne voulait pas partir ! Que vouliez-vous que je fasse ?

- Que tu restes avec elle ! répliqua-t-elle, juste, je te rappelle que tu es l'un des seuls à avoir un double statut puisqu'étant amant et protecteur d'une princesse et tu as échoué dans les deux. Et ce n'est pas la première fois que tu es incapable d'effectuer ton travail. Déjà lorsque ce lézard s'en était pris à elle, tu as été incapable de la protéger, tu as encore fui... lâchement, glissa-t-elle avec une pointe de mépris, il a fallu que cet humain vienne la sauver, et cela par deux fois puisque tu n'as même pas pu user de ton corps pour assurer sa sécurité ! Il a fallu encore qu'il intervienne.

- Qu'est-ce que vous me chantez là ? s'offusqua le champion, ce type n'a rien d'un humain, les humains sont bien plus faibles que moi, ce type est tout autre chose ! Aucun humain ne pouvait faire face à Triface et l'emporter, déjà personne ici ne le pouvait.

- C'est vrai, accorda la reine, et nous sommes en train d'identifier la source de sa force incommensurable. Néanmoins, ce n'est pas ce que je t'ai dit, je t'ai dit de la protéger, je ne t'ai jamais demandé de vaincre des monstres ou des assassins. Tu n'arrives même pas à suivre une simple conversation. Abruti !

La reine fut encore rappelée à l'ordre par son garde du corps.

- Je ne vous permets pas ! Je fais du mieux que je peux pour la servir ! se défendit Beneltig, comme si j'avais voulu être son champion alors que...

- Et pourtant, c'est le cas ! l'interrompit-elle, tu l'as parce qu'elle a mis toute sa confiance en toi, peu importe que tu sois faible ou pas ! Elle a mis sa confiance en toi car elle en croit en toi comme personne ne croit en elle, alors mérite au moins cette confiance. Ou abandonne le moment où j'aurai trouvé un remplaçant digne d'elle.

Beneltig grinça des dents, bien que cela l'arrangeait de n'avoir plus à se battre, il se sentait humilié, il ressentait toute la rancœur qu'avait la reine envers lui. Lui n'avait jamais voulu être sur le champ de bataille menant au trône, mais il a fallu que cette sale sorcière de voyante sorte une prédiction de nulle part et remette toute l'organisation de sa vie en jeu, et il y avait encore eux qui lui demandaient de rendre des comptes.

Et maintenant, cet « humain » qui a débarqué dans leur sainte demeure où leurs ancêtres ont toujours pu se protéger participait à cette humiliation. Il aurait bien voulu que le Juge Fou lui fasse sa fête. Il ne comprenait pas pourquoi il y avait tout cet attroupement autour d'une fée qui était née sans aile. Pourquoi tant de personnes lui en voulaient et l'empêchait de vivre une vie paisible ? C'était comme si le monde entier voulait attenter à sa vie mais qu'une force supérieure lui faisait réchapper à toutes ses tentatives de meurtres.

Déjà pourquoi la reine prenait-elle autant soin d'elle ? Ne ferait-elle pas du favoritisme en la surprotégeant ? Il n'aurait pas toute cette pression si elle n'était au-dessus de lui à guetter ses moindres actions, il aurait déjà réalisé sa mission.

Il ne prononçait que des mots inaudibles aux oreilles de la reine.

- Arrête de marmonner. C'est irritant. Parle avec tes tripes au lieu de cacher tes paroles dans ta barbe. Je ne vais pas user de mes pouvoirs pour te materner même dans tes prises de paroles.

Il se releva et montra les crocs.

- Je ne vois pas pourquoi vous faites un tel favoritisme envers la fée aptère alors qu'elle n'est pas la seule à être née sans aile, de plus, il faudrait aider chaque princesse-fée qui se présente dans ce cas-là.

La reine posa un doigt sur son menton, fit une moue interrogative et regarda le nuage que sa colère formait.

Bon, comment je vais pouvoir me débarrasser de ça ? se demanda-t-elle.

Puis retourna son regard en direction du champion.

- Je ne vais pas dire que tu es contre le succès de ta protégée, mais parlons de ce favoritisme que tu soulignes. Ce « favoritisme » vis-à-vis de ton amoureuse n'est rien d'autre qu'une aide car, comme tu le sais, elle ne recevra aucune aide de nobles. Comme les autres nobles j'ai le droit à ma favorite et elle fait partie de celle sur laquelle j'ai porté mon dévolu. Mais je te comprends, le fait que je la protège et lui donne la possibilité du royaume comme toutes les fées issues des Bourgeons Royaux fait que tu m'as sur le dos car je n'ai pas envie qu'elle échoue à cause de toi, créant une pression sur toi car tu as l'impression que j'exige de toi de la faire gagner, mais cela est totalement faux, je veux juste qu'elle ne perde pas à cause de ta couardise mais à cause du fait qu'elle se trouve face à plus fort qu'elle, comme ça, dans les faits, elle aura donné tout ce qu'elle avait malgré les difficultés. Compris ?

C'était tout de même une très longue phrase, elle pourrait fournir un effort pour mettre des points.

Pourquoi elle a répété autant de fois le mot « fait » ? s'interrogea le garde du corps royal Sawyer, en tout cas, elle a l'air moins en colère.

Beneltig hocha la tête, tout de même rassuré que la reine n'ait pas autant d'attente sur lui concernant la fée aptère.

- Concernant l'autre fée sans aile, ce ne sont pas tes histoires, elle est soumise à un tout autre régime que vous autres, dit-elle froidement.

Ah bah non.

Ah bah non.

L'atmosphère redevint lourde, la colère de la reine se ressentit à travers les grondements des nuages qui devinrent de plus en plus bruyants.

- Que ce soit la dernière fois que tu remets en doute mes actions, le prévint Sa Souveraineté, la prochaine fois, la foudre s'abattra sur toi et tu auras moins de chance de survie que l'humain. Tu peux disposer.

Beneltig la remercia et s'enfuit de la pièce.

Sawyer lui demanda :

- Désormais, comment vous allez faire pour vous débarrasser de ce cumulonimbus ?

- Ne t'inquiète pas, je sais déjà quoi faire avec.

- Une bombe ?

- Évite tes sottises, je ne pas suis aussi folle que mes prédécesseurs, le réprimanda-t-elle, ça servira pour notre cher invité s'il n'est pas le Némésis.

Sawyer leva un sourcil.

- Vous avez changé d'avis sur son cas ?

- Non. J'ai juste espoir qu'il ne le soit pas.

- Pourquoi ?

- Parce qu'il est évident que s'il est le Némésis et que nous nous trompons, nous contribuerions à la fin du monde.

- Et à la non-venue de l'Héroïne..., ajouta-t-il.

Sawyer posa son bras sur le haut du dossier du siège royal de la reine. Il paraissait n'avoir pas beaucoup dormi ces temps-ci. Sûrement des histoires avec la Défense qui voulait plus ample information sur la venue d'un tel individu – après tout, ils étaient chargés d'assurer la sécurité à l'extérieur du territoire sylvain pour qu'aucun intrus ne puisse s'infiltrer. Quelle opprobre aurait-il eu sur eux et leurs familles si cet humain s'en était pris à la reine ou à leurs concitoyens.

- Entre autres.

- J'espère que tu t'excuseras.

- Ce n'est pas à moi de le faire c'est à elle ! s'énerva-t-elle.

- Oui... Peut-être... En fait, je n'en sais rien, se rétracta-t-il, mais rappelle-toi d'une chose, ici la paix règne mais dans le monde extérieur, au moindre centimètre carré, tu peux te faire tuer...

- Ne la prends pas pour une faiblarde, l'avertit-elle froidement.

- Même si elle est forte en magie, non seulement elle n'est pas invincible, mais en plus, ce n'est qu'une enfant. Je pense que tu la surestimes. Ça je te l'ai déjà dit, mais soit, je vais omettre le fait qu'elle puisse se faire assassiner, je vais alors te rappeler que la durée de vie d'un être humain est aussi éphémère que le souffle du vent.

- Cela fait à peine juste six ans qui se sont écoulés..., dit-elle avec une mine boudeuse.

- Souviens-toi de ton choc quand tu l'as revu dix ans plus tard...

Audisélia se tut, s'avouant vaincue par l'argumentaire de son ancien champion.

Sawyer se demandait si elle n'avait pas rapidement occulté la possibilité qu'il soit le héros de la légende. Cela l'arrangeait bien mais... pour la psyché d'Audisélia était-ce une bonne chose ? Il avait tout de même en face d'elle une véritable bombe à retardement qui risquerait d'exploser le royaume en cas de mauvaise manœuvre.

Pendant ce temps, Audisélia envisageait éventuellement la possibilité de se réconcilier avec son amie si elle revenait, ou encore, envoyer une délégation à sa recherche, mais il était laborieux de sortir du pays de Kano sans perdre des hommes au passage, et il n'en resterait même pas une poignée lorsqu'ils reviendraient lui annoncer qu'ils revenaient bredouilles.

- Vous ne deviez pas convoquer les espions et informateurs pour qu'il vous fasse leur rapport ? demanda Sawyer pour changer de sujet.

- Ah oui c'est vrai.

Elle claqua des doigts et des hommes en noir de toute race apparurent par des portes et trappes dérobées. Ils s'agenouillèrent face à leur reine.

Un vieux nain plus petit que la moyenne des nains se mit à côté de la souveraine. C'était le grand conseiller Igniasté, un ancien général dont la sagesse n'avait d'égal que la longueur de sa barbe qu'il s'est juré de ne jamais couper avant sa mort – je ne sais absolument pas qui allait lui couper le jour de son enterrement, on ne m'avait jamais mis dans la confidence, je pense que la reine ne le savait pas elle-même, elle espérait en tout cas que ça ne soit pas elle.

C'était lui qui était en charge des opérations secrètes menées hors du pays pour espionner les pays voisins – hors du pays de Kano car il n'y avait pas d'autre nation que le Royaume de la Forêt des Fées au sein de ce lieu hostile – qui commerçaient, communiquaient ou avaient noué une alliance avec eux pour savoir s'ils les avaient trahis sur l'emplacement de cette réserve des Féériques. De toute manière, ils avaient toujours un moyen d'échapper à leurs opposants...

Néanmoins, son véritable conseiller n'est nul autre que Sawyer. C'est avec lui qu'elle prend ses décisions finales trente pour cent du temps – si le conseiller le savait, il préférerait se couper un testicule que sa barbe !

- Helmir, relève-toi et révèle-nous les informations que tu as obtenues sur ce garçon humain, exigea le conseiller à la cheffe de la section espionnage.

Celle-ci s'exécuta et sortit d'une capsule de verre une série de feuilles qui était son rapport. Au premier abord, on pourrait penser que cette elfe de nuit puisse être un homme au vu de sa musculature assez prononcée, de son crâne rasé dont on pouvait deviner la couleur de ses cheveux blonds, de ses yeux perçants et de son regard froid, mais surtout de sa poitrine presque inexistante – ne lui faites pas remarques sur ça si vous ne voulez pas vous retrouver un jour entouré d'alligators couronnés, une espèce particulièrement sauvage et belliqueuse ayant pour origine les alligators originels mais qui ont acquis la particularité d'avoir une vitesse incroyablement prodigieuse, dépassant pour certains la vitesse du guépard mais surtout d'avoir des dents en or en forme de couronne qui leur permettaient d'arracher la chair de leurs proies avec une effroyable aisance et ils digéraient même les os et les cheveux de leurs victimes, ils méritaient bien leur surnom de « nouveaux cochons de la pègre ».

Cette femme avait vu défiler les différents dirigeants du royaume à cause de la longue longévité des elfes noirs qui était beaucoup plus accrue que celle des régents de ce royaume, mais pour des raison secret défense, elle a été vieillie pour le bien du royaume

- Contrairement à ce qu'on pourrait penser, Tadzi a fait un bon travail d'investigation, annonça-t-elle.

Même sa voix était virile, elle était plus grave que certains des mâles de ce royaume. Elle était vraiment un atout lorsqu'il fallait l'envoyer dans des lieux exclusivement masculins ou féminins – surtout dans des lieux humains ou avec une population plutôt humanoïde parce que ses oreilles pointues avaient été taillées, il y a cinquante ans de cela. Une perle rare dont il ne fallait pas négliger l'importance.

- Tu veux dire que Tadzi est devenu plus qu'un journaliste people ? dit faussement étonnée la reine-fée.

- C'est plus compliqué que cela. Il est un individu autant « populaire » que mystérieux, la plupart des informations que nous avons acquises sur les différents endroits où il est allé tiennent plus du racontar que du fait avéré.

- Que veux-tu dire par là ? lui demanda le conseiller Igniasté.

- Ce que je veux dire c'est que les élucubrations de Tadzi peuvent être autant vraies que fausses car ce garçon est une énigme, expliqua-t-elle, apparu il y a de cela cinq ans, il s'est souvent retrouvé dans des situations improbables pour un enfant de son âge...

- Son âge ?

- Oui. Ce garçon n'a que quinze ans, révéla Helmir.

La reine était circonspecte.

- Pourquoi es-tu étonnée Sélia ? lui chuchota Sawyer, quel âge pensais-tu qu'il avait ?

- Trente-six ans !

- Tu te fiches de moi ? C'est un adulte humain ça, cesse de confondre l'espérance de vie des Féériques et des humains.

- Dans tous les cas, il ne me paraissait pas aussi jeune... Donc tu veux dire qu'il a commencé son aventure à dix ans ?

- Exactement, lui répondit-elle, il aurait été recueilli par un homme que vous connaissez tous possédant le doux sobriquet d'« Ange des Armes », un seigneur de guerre humain.

- Sérieusement ? sifflèrent entre leurs dents la reine et son garde du corps.

- Hein ? dit Igniasté.

- Non rien, lui répondirent Audisélia et Sawyer.

Helmir haussa un sourcil et comprit que ces saligauds n'avaient pas mis dans la confidence le véritable grand conseiller de ce pays. Ils jouaient à un jeu très dangereux, même si la côte de popularité de la reine était l'une des plus hautes comparées à celles de ses prédécesseuses, elle devait pourtant savoir avec le Grand Incendie et la Félonne que faire des machinations en douce sans avertir son entourage qui serait le plus à même de la sortir de la mouise en cas de coup dur ou d'imprévus était la norme – surtout pour « ça ». Elle tint compte de cela et n'en dit pas plus pour que les manigances de la reine et de son confident soient découvertes.

Mais elle ne pouvait pas tenir sa langue elle ! pensaient-ils à l'unisson.

- Pour vous répondre monsieur le conseiller, c'est un individu avec qui nous avons eu quelques soucis lors de nos diverses opérations, mentit à moitié l'espionne, cet Homme est bien de la pire espèce : calculateur, menteur, fourbe pourtant, talentueux dans son domaine de prédilection.

- Je ne l'ai jamais vu mentionné dans vos rapports pourtant, dit consterné le nain de petite taille aux longs sourcils blancs.

Ce n'était pas un pléonasme ! Il était très petit.

Les deux amis d'enfance déglutirent violemment au point de presque s'étouffer, et ils avaient de quoi craindre le pire sachant leur secret.

Sauf qu'Helmir était une professionnelle du mensonge et de l'improvisation. Les imprévus étaient son quotidien – même si son plus grand fantasme est d'avoir une mission qui se passe tranquillement. Je pouvais vous dire que là, elle enrageait, mais d'une manière, je ne voudrais pas être son flux sanguin.

- C'est un désagrément assez minime dans nos activités, nous n'envisagions pas que cela soit important.

Est-ce que cela va passer ?

- Non, ne vous inquiétez pas, le rassura le nain conseiller, s'il n'est pas un ennemi de la nation ou un danger direct pour notre population, alors autant ne pas nous en soucier.

La reine et son garde du corps levèrent discrètement leurs pouces en l'air pour la féliciter.

Franchement..., pensa-t-elle.

- Reprenez donc votre rapport, ma chère Helmir, dit la reine tout sourire.

C'est bon, elle était dans les petits papiers de la royauté désormais. Peut-être que désormais, Audisélia cesserait de se moquer de la poitrine invisible de l'un de ses plus fidèles agents.

- Pour résumé, de nombreuses légendes circulent sur lui et cela ne fut pas une mince affaire de démêler le vrai du faux de toutes les données que nous recueillies. Pour beaucoup de personnes, il est une ignoble bête sauvage, une monstruosité provenant des temps les plus reculés de Fayiera Terra, et les caméras de surveillance d'Oranas ne démentent pas leurs dires, mais ce qui revenait le plus dans les témoignages, c'est qu'il était une abomination sans nom.

- Il est donc le Némésis ? demanda la reine impatiente.

- Je ne crois pas, lui répondit Helmir, bien qu'on nous ait relaté tous ses actes abjects dont certains dépassent l'entendement et d'exploits tellement ubuesques que cela en est absurde, si je puis dire, on ne peut nier que ce jeune homme, humain ou non, a accompli des choses qui démontrent sa bonté d'âme.

- C'est-à-dire ?

- Par exemple, commença l'elfe de nuit en fouillant dans les feuilles de son rapport, il aida à réparer le barrage d'Utenro alors que les rapides déferlaient sur lui et les hommes qui avaient été attitrés pour le faire, il sauva les occupants d'un TUGV (Train à Ultra Grande Vitesse) en tenant les wagons qui avaient basculé dans le vide à sa seule force en attendant que les secours arrivent, il a terrassé la tyran Albedo Abuzela Wata qui avait imposé sa terreur sur la Capitale Déchue : Paris, il aida les pompiers de la ville de Déon-Macon à stopper l'incendie qui ravageait leurs champs et éloigna les flammes des silons de Dusten-Balt, et a aussi combattu les « loups-garous » qui dévoraient les villageois de Thiercelieux... Cela est une infime partie des bonnes choses qu'il a faites.

- Et le bilan de ton enquête, quel est-il ?

Helmir se frotta le menton avec sa main vêtue d'un gant de cuir, elle était pensive, elle n'avait pas réfléchi concrètement à ce qu'elle allait dire à la reine à son retour de mission après ses deux semaines et demie d'enquête. En énumérant les actes de l'humain, son regard s'adoucit et sa voix s'était éclaircie par rapport au moment où elle parlait de ses atrocités. Pour la première fois, elle ne pouvait pas être aussi catégorique qu'à l'accoutumée.

- Je veux bien avouer que ce n'est pas un enfant de chœur, même s'il l'a été...

- Comment ça un « enfant du cœur » ? demanda la souveraine interloquée, comment ça, ce n'est pas un « enfant de cœur » ?

- Non mais..., dit Helmir.

- Donc il ne fait pas partie de la « secte du cœur » ? l'interrompit le conseiller, c'est une bonne chose ?

Helmir se claqua le visage.

- Laissez tomber..., cracha-t-elle.

Elle toussa et reprit son sérieux.

- En toute sincérité, je n'en suis pas sûre à cent pour cent, mais pour moi, il ne donne pas l'impression d'être le Némésis, même s'il a en sa possession Ymir... J'ai pu comprendre, qu'à travers les récits que mon équipe et moi avons pu recueillir, que c'est la force des événements qui l'ont amené dans ces situations improbables pour un enfant de son âge, situations qui le sont, même un adulte ne devrait pas y être confronté. Cependant, en définitif, cet humain est une personne avec un bon fond, voire c'est un Homme à l'altruisme grandiloquent dont le destin lui barre la route à chaque fois. Mais je suis certaine que passer du temps avec la fée aptère lui sera plus bénéfique que d'être au côté d'Astéron.

La reine croisa les bras, ferma les yeux et réfléchit avant de les rouvrir ensuite.

- C'est un bon plaidoyer Helmir, la félicita la reine, je ne te savais pas être capable de pitié pour quelqu'un, encore moins pour un être humain.

- C'est que ce petit homme est encore moins bien traité que nous les Féériques par les nôtres et par ses propres congénères, et que la vie l'a bien trop maltraité pour que je ne puisse pas être touchée par son parcours de vie.

- Tu as toujours été autant honnête avec toi-même, Helmir, la complimenta le conseiller Igniasté, même lorsque la personne était décriée de tous, c'est toi qui devrais être juge à la place de Triface.

- Cela serait un honneur, le remercia l'espionne, mais la vie que me procure d'être dans les services de renseignements me manquerait bien trop si je la quitte, surtout que je dois cette vie à notre reine. Mais j'y réfléchirais en temps voulu.

- Moi, je réfléchirai aux nombreux éléments que tu nous as apporté. Je ne peux, cependant, pas oublier l'une de ses requêtes qui pencherait sur le fait qu'il soit effectivement le Héraut du Mal, mais même si cela m'est incompréhensible, je peux bien l'accepter... Mais il a intérêt à avoir une véritable raison.

- Arrête ton extrémisme pseudo-religieux, lui chuchota Sawyer, juste parce que tu penses qu'elle était l'héroïne de légende.

- Oui, oui..., l'éconduit la reine.

- Finalement, ma Dame, intervint la seconde des services de renseignements, seul lui pourra vous dire la vérité, non seulement sur sa vraie nature, mais aussi sur ses véritables intentions et sur la teneur de son passé.

- Bien. Je prendrai compte de ton rapport dans ma décision finale.

Helmir fit une courbette et dit à ses hommes qu'ils pouvaient disposer, et ils disparurent en un clin d'œil. Il ne restait plus qu'elle dans la salle du trône.

- Encore quelque chose Helmir ? lui demanda Audisélia.

- Oui. Deux choses, ma reine.

- Soit. Exprime-toi.

Le visage de la cheffe des espions devint tout rouge.

- Pour la chose que je vous ai demandé, il y a trois mois de cela, dit-elle timidement, est-ce que cela sera bientôt prêt ?

- Ne sois pas aussi impatiente, ma petite Helmir, sourit la fée royale, ne t'inquiète pas, cela te sera livré dans les plus brefs délais.

- Je vous en remercie fortement, dit-elle avec une voix aigüe.

Elle soupira de soulagement et reprit son calme et put parler normalement de la deuxième chose qu'elle voulait demander à la reine.

- La deuxième chose sur laquelle je voudrais m'exprimer est le fait de mieux régler les téléporteurs, j'en ai assez d'atterrir dans des tas d'ordures, après je suis obligée de me relaver, heureusement que cette fois-ci ma mission s'est déroulée à Vicenti, sinon je ne sais pas comment cela se serait passé ailleurs.

- Hein ? Mais ce n'est pas moi qui gère les téléporteurs ! se dédouana la grande fée, ne t'en prends pas à moi mais à Seb'is, ce fainéant.

- Je sais, mais il est absent, c'est pour ça que je viens me plaindre auprès de vous.

- Alors attends son retour car je ne peux rien pour toi.

Où est-il encore parti cet abruti ? s'interrogea Audisélia, ne me dites pas qu'il est encore parti en vadrouille à l'extérieur ? Je vous jure.

- Soit, accepta Helmir.

L'agent spécial fit tourner le cadran de sa montre et disparut.

- Que lui avez-vous promis ? demanda Igniasté.

- Cela ne vous concerne pas, répliqua Audisélia, ce sont des affaires de femme.

- Je suis certain que c'est quelque chose de noble, au vu de la prestance de la dame.

- Oui, oui, c'est ça. Un « truc bien noble », se moqua la monarque avec mépris.

À quel point, il pouvait l'avoir en haute estime ? se demanda la reine.

Les pensées d'Audisélia revinrent sur le cas de l'humain. Après ce qu'avait trouvé la cheffe du service d'espionnage du royaume féérique, beaucoup des éléments rapportés démontraient son innocence. Pourtant, en son for intérieur, elle espérait que ce garçon serait véritablement l'ennemi de Fayiera Terra et qu'elle et son amie d'antan le vainquent à deux, elles n'auront pas besoin de mot à ce moment-là pour se pardonner, et à cette occasion, elle lui avouerait enfin ses sentiments, ne pensant plus aux règles de ce royaume raciste.

À l'extérieur de la salle du trône, Beneltig avait été interpellé par des hommes encapuchés de longues capes rouges et de capuches pointues avec une croix à son sommet entouré d'un cercle rouge au-dessus comme d'une auréole écarlate. Le champion craignait tellement qu'il serrât les dents et ses doigts étaient crispés. Il n'osait même pas se retourner pour leur faire face.

- Que me voulez-vous ?

- Tous les assassins que nous avons envoyé s'occuper de cette chose ont été arrêtés soit par la reine, soit par ses gardes ou des interventions extérieures. Vu que nous sommes incapables de prendre sa vie, tu vas devoir la faire perdre incontestablement durant le tournoi pour que nous puissions nous en débarrasser en toute quiétude, dirent-ils à l'unisson avec une voix étrange.

- Hein ?

- Ne soit pas choqué. C'est ton devoir ! Aucune fée sans aile ne doit accéder au trône pour ne pas être la nouvelle cause de la destruction du royaume. Surtout si elle est le réceptacle de notre bienfaitrice.

- Quand est-ce que le royaume a été détruit car ce n'est pas marqué dans les livres d'histoire ? dit Beneltig d'un ton moqueur.

Il sentit la froideur de la pointe d'un poignard.

- Voulez-vous que nous voulions l'enfoncer dans votre nuque pour que vous deveniez tétraplégique à vie à cause du poison que nous y avons placé ? le prévinrent les hommes en rouge,

Il secoua la tête pour notifier son désaccord.

- Donc cesse tes moqueries envers nous, alors que ton urine s'échappe de ton urètre. Nous te parlons du jour maudit où cette humaine et l'autre atteinte du syndrome de Stockholm ont combattu Drakniar, le dragon au souffle cendré. Elles ont montré à la population une fausse bonté provenant des humains, et que certains étaient capables de surpasser nos meilleurs guerriers..., grognèrent-ils, nous avons perdu un fervent défenseur de la justice Féérique et de notre cause en la personne de Triface, dire que la reine va épargner son assassin qui est bien évidemment humain... Encore eux... Toujours eux.

Beneltig avec une voix tremblotante leur demanda une alternative beaucoup plus « paisible ».

- Pourquoi ne pas me faire éliminer dès le premier tour ou que je déclare forfait au lieu de combattre ? Comme ça, elle n'accédera pas au trône et pas besoin que je la tue.

Les mystérieux hommes encapuchés soufflèrent avant de rire à gorge déployée à voix basse.

- Je ne crois pas que tu as compris le but de notre entreprise, dirent-ils, nous voulons une pureté des idées et des physiques au sein du royaume, donc nous allons tuer toute personne allant à l'encontre de la philosophie des premiers rois et notre bienfaitrice, et les sans-aile qui ne font que salir la beauté de notre royaume.

- Quand vous dites sans-aile, vous voulez dire...

- Toutes les personnes qui ne sont pas des fées.

- Mais les premiers rois n'adhéraient pas à de tels idéaux !

- Cesse de geindre ces âneries qu'on vous apprend à l'école ! Nous te parlons des révélations que nous a fait notre grande protectrice et véritable souveraine ! rectifièrent les hommes en rouge, et pour ta stupide proposition, je vais te poser une question qui va sûrement répondre à la tienne : penses-tu réellement que nous croyons que tu as une chance de gagner le tournoi ? rirent-ils, fais ce que nous attendons de toi, c'est tout. Ton destin est déjà scellé.

L'énigmatique groupe d'hommes en rouge se rassemblèrent en un seul, celui qui tenait le bras de Beneltig rangea le poignard dans son vêtement écarlate et retira son étreinte. Le temps que Beneltig se retourne, ils s'étaient évaporés dans la pénombre, ils avaient tous disparus.

Alors que les lumières se rallumèrent, le champion tomba à genoux, le visage perlé de sueur, il se mit à pleurer et renifler bruyamment, en ayant de la morve violette au nez. Il frappait le sol de désespoir, ne sachant pas comment se sortir de cette situation.

Pendant ce temps, au même endroit, à peine à quelques mètres de lui, se trouvait un individu en béquille qui l'observait.

Depuis combien de temps était-il là ?

Sans un mot, il repartit de là où il venait sans se faire remarquer.

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