- Hein ? Mais faut évacuer la capitale et stopper le tournoi !

Audisélia lui prit la main et lui caressa le dos pour le calmer.

- Mais qu'est-ce que tu fais ?

- Je te calme.

- Mais arrête ! rougit-il, ce n'est sûrement pas le moment de plaisanter !

La reine haussa les épaules et regarda devant elle.

- Ta phrase n'aurait pas dû être cela, elle aurait dû être « ce n'est sûrement pas le seul problème. ».

- Parce que y en a d'autres ?

- Oui, bien évidemment qu'il y en a d'autres ! Comme toujours ! grogna-t-elle, tu as déjà vu des problèmes arriver seuls ?

- Quels sont les autres soucis qui nous guettent ?

- Bah... La Félonne, Elena, des menaces étrangères nous obligeant à déménager une nouvelle fois et cet humain juvénile en bas.

- Lui aussi ? dit le garde étonné en le pointant du doigt.

La reine lui répondit par un hochement de tête en faisant une étrange moue avec sa bouche.

Sawyer se déplaça dans la pièce en se grattant la tête avec l'une de ses mains. S'arrêtant sur place, il congédia tout le monde, même s'il connaissait leur loyauté, il n'avait aucune envie que cette conversation soit entendue par d'autres personnes que lui et la reine.

- Sélia, quel est leur ordre d'importance ?

Elle fut pensive pendant quelques instants, comme si elle réfléchissait à quelque chose s'étant déroulé il y a longtemps. Sawyer voulut l'interrompre dans sa réflexion la sentant se perdre dans celle-ci, mais la reine reprit la parole avant.

- « T'es pas prêt. ».

Sawyer déglutit fortement, oubliant de reprendre Audisélia sur son langage. Il s'écroula sur un siège vide, posa ses coudes sur les accoudoirs du dit siège, entrelaça ses doigts et apposa ses index et ses pouces l'un contre l'autre avant de poser ses index sur son front et ses pouces sur son menton, il fit s'écouler l'air sortant de ses narines par le trou créé par le positionnement de ses doigts.

- Tu pourrais faire l'effort d'être moins stressé.

- Ce n'est pas possible, Sélia ! finit-il par dire après un long silence, comment quelque chose de pire que l'embrassement d'il y a vingt-six ans peut être moins pire que ce qui va bientôt arriver ? On a tout de même affronté un dragon légendaire.

- J'ai mis tous ces problèmes au rang de « T'es pas prêt ! » car non seulement, il y a trop de zones d'ombres pour que nous puissions établir l'amplitude de la menace, mais aussi parce qu'on ne sait s'il y a un quelconque lien entre eux et quand cela va arriver, expliqua-t-elle.

- Juste Marrynelia c'est trop ! Tu sais quoi ? Commençons par ça.

- Vous abusez, on dirait que si elle pète faut évacuer la cité !

- Sélia ! s'énerva Sawyer, tu ne peux pas te moquer des croyances d'autrui alors que tu te plains qu'ils se moquent de la légende du Héros et de la Fée.

- Ce n'est même pas une croyance vu qu'elle est...

Sawyer lui mit sa main sur la bouche pour la faire taire.

- Ça ne va pas ou quoi ? la vilipenda Sawyer, personne n'est au courant ! Tu n'as pas à parler de ça ! Combien de fois je vais devoir te le rappeler ?

- Vous me les brisez avec votre tabou futile, s'insurgea la reine, tu te rends compte que si on peut parler de sa situation, on ne trouvera jamais de solution.

- Je sais, je sais...

- Donc oui, elle s'est réveillée mais je ne vois pas la nécessité de déclencher le "Plan Ze'stia" sachant que son efficacité est toujours à prouver et qu'elle s'est juste RÉVEILLÉE. Elle n'a pas ouvert les yeux, ni bougé, juste réveillé. Ce n'est pas la première fois que ça arrive, tant qu'elle n'est pas capable d'utiliser sa magie.

- Réveillée ? Comment ça ?

- Tu l'as dit toi-même, c'est confidentiel, sourit-elle en haussant les épaules.

Il grimaça en roulant des yeux.

- Si ce n'est pas aussi important, pourquoi cela t'inquiète ?

- Le fait qu'il y ait d'autres choses qui rentrent en compte avec son réveil.

- Comme quoi ?

- Tu as déjà entendu parler de la secte de la Légion de l'Aube de la Sorcière ?

- Oui, dans des bruits de couloir, se souvint-il, des hérétiques qui défient la légitimité de nos dieux au profit d'une sorcière omnipotente.

- Hé bien, ces hérétiques se sont mis en action depuis son réveil.

- Qu'est-ce que tu veux dire par là ?

- Que je ne pense pas que cela soit une simple coïncidence...

Sawyer se gratta le menton et se déplaça dans la pièce pour réfléchir, il se saisit d'une carafe de citronnade et s'en servit dans un verre.

- Sers m'en aussi.

Le garde s'exécuta et lui servit son verre, qu'elle but à peine, puis elle reprit la discussion.

- C'est vrai que dans les textes historiques, elle est aussi nommée par le nom de "sorcière" mais j'aurais plutôt pensé que cela serait une insulte.

Les historiens de ce pays sont incapables d'être neutres.

- C'est vrai..., avoua-t-il, attends... On va encore faire des fouilles dans les archives ? se lamenta-t-il.

- Non. Nous n'avons absolument pas le temps à cause du tournoi et autres...

Sawyer souffla de soulagement.

- Mais Sélia, normalement tu peux les trouver et écouter leurs conversations, tes ondes s'étendent sur tout le royaume, non ?

- Si mais ils ont l'air d'avoir une protection, donc je ne peux pas savoir s'ils sont des fanatiques ou des terroristes.

- OK, d'autres informations sur le sujet ?

- Non, c'est tout ce que j'ai appris.

- Tu sais, Sélia, ce n'est pas à toi de faire ce boulot d'investigation.

- Tu veux le confier à qui ? À ces incompétents du bureau de surveillance qui est rempli de détraqués sexuels ?

- Bah c'est leur travail, ils se doivent de le faire.

La reine eut un rire nerveux en entendant cela, avant de montrer son dégoût évident vis-à-vis de ces gens.

- Tu plaisantes, j'espère ? Pour que je retrouve encore dans leurs comptes rendus des photos volées ? Non merci. Mais pour revenir aux choses troublantes qui se déroulent autour du royaume, on peut parler des monstres et des troupes armées qui se trouvent au-delà du pays de Kano.

- Des troupes armées et des monstres ? dit-il interloqué, normalement nos éclaireurs nous auraient avertis avant qu'ils se trouvent à nos frontières.

- Ils l'ont fait quand je les ai envoyés chercher Elena.

- Quoi ? dit le garde du corps de la Déesse de Foudre, tu l'as encore fait ?

- On en parlera après, vu que c'est lié au garçon, mais ces troupes font juste de la figuration, ils ne tentent de lancer aucun assaut, ils n'ont même pas pénétré la frontière sinon nos défenses se seraient activées, et le plus grand problème c'est que cela fait des semaines qu'ils tournent en rond.

La reine fit apparaître une carte sur l'un des murs de la loge et avec un laser de poche qu'elle sortit de son décolleté, elle pointa toutes les zones où cette armée a été vue et effectivement, ils n'avaient jamais pénétré le pays de Kano.

- Elles sont issues de quel royaume ? lui demanda Sawyer.

- Aucune idée, lui rétorqua-t-elle, il n'y a aucun blason sur le drapeau, mis-à-part à dessin qui m'est étrangement familier.

- Tu leur as envoyé un émissaire ? suggéra-t-il.

- Déjà fait. Il s'est fait bouffer.

- Manger..., la corrigea-t-il, attends, quoi ? Comment tu le sais ?

- Evidemment, il n'y est pas allé tout seul, ce sont ses accompagnateurs qui me l'ont raconté.

- Et le rapport avec la Félonne ?

- Les jours suivants son réveil, cette mystérieuse armée s'est ordonnée et se tient en rang, expliqua-t-elle, je dois te dire que c'est bien la première fois depuis que j'ai atteint l'âge adulte que quelque chose me donne autant de frissons, confessa Audisélia, je ne sais pas si cela a un lien avec elle, mais en tout cas, cette coïncidence est... déplaisante.

Sawyer posa sa main sur sa tête et lui dit :

- Je ne te savais pas trouillarde, lui susurra-t-il.

- Ces gens ne sont pas normaux, ils ont l'air... démoniaques, je l'ai senti en les observant à travers les jumelles. Si tu m'autorisais à partir en guerre, je les aurais anéantis depuis longtemps.

- Notre armée n'a pas besoin de toi pour se charger de vulgaires manants et pleutres qui n'ont pas le courage de nous affronter.

- Je ne vais pas les envoyer contre un ennemi inconnu ! désapprouva-t-elle.

- Et je ne te laisserai pas aller te confronter face à un ennemi dont tu as peur, répliqua-t-il, en plus, tu vas encore nous ramener une troubadour...

La reine se leva, outrée par les propos de son garde.

- Je ne vais pas te laisser dire du mal d'Elena ! s'irrita Audisélia, tu...

- En parlant d'elle, qu'est-ce qui t'a pris d'envoyer des gens à sa recherche ? changea-t-il de sujet.

- Maintenant qu'on connaît la région et qu'on la maîtrise, il n'y a pas eu de morts, cette fois-ci, lui indiqua-t-elle.

- Je t'ai déjà dit que si le gamin était le Némésis, elle réapparaîtrait d'elle-même donc tu n'avais pas besoin de... Attends ? Ils sont revenus ? dit-il hébété.

- Tu es long à la détente, lança-t-elle, et oui, idiot ! Ils sont tous revenus, en esquivant cette armée de l'étrange.

Elle se rassit sur sa chaise en se resservant de la limonade.

- Etonnant et étonné.

- Pas étonnant, vu qu'ils ont été formés pour, dit-elle furibond, et me coupe pas la parole pour dire n'importe quoi.

- Oui, ma reine, dit-il avec une voix lente et un ton moqueur, dites-moi pourquoi vous avez tenu à me désobéir malgré toutes mes recommandations.

- Tu sais que je suis la reine et que c'est à toi de m'obéir, lui rappela Audisélia.

- Mais je m'occupe de toi depuis que je t'ai trouvée donc je m'assure que tu ne fasses pas de bêtise trop grosse pour toi.

- Ouais, ouais, râla-t-elle, je le sais. En vérité, j'ai demandé de partir à sa recherche car l'enfant humain m'intrigue.

- En quoi ?

- L'humain meurt, révéla la reine Audisélia.

- Comment ça ? demanda Sawyer, c'est une expression ?

- Non ! souffla-t-elle, je te parle de l'humain qui a sauvé la princesse-fée sans aile. Hé bien, mis-à-part la quantité pharaonique de plomb que j'ai aidé à extraire de son corps, les analyses médicales montrent que ses cellules se désagrègent de façon anormale mais aussi incontrôlée et de façon constante, sauf dans une situation.

- Qui est ?

- Lorsqu'il dort.

Sawyer se frotta les yeux ne comprenant pas là où voulait en venir son amie.

- Donc là t'es en train de me dire que ce gosse va clamser à cause d'une malformation cellulaire mais il peut faire ce dont nous avons tous été témoin, parler, rigoler, sans subir de douleurs ?

- Je pense qu'il prend énormément sur lui pour ne pas montrer qu'il souffre, mais oui, il va mourir, confirma-t-elle, et cela corrobore les informations que nous a rapportées ma petite fée sur le fait qu'il dorme énormément, ajouta-t-elle, je pense que lui-même n'est pas au courant de son état de santé alarmant. Mais il y a quelque chose qui le sauve, et c'est bien cette chose qui m'intrigue.

- Quelle est cette chose qui t'a fait risquer la vie de nos hommes pour partir à la recherche d'une femme plus insaisissable que le vent ?

- C'est parce qu'il possède la même capacité régénératrice qu'elle.

- Sérieusement ? dit Sawyer choqué, tu es certaine de ce que tu dis ? Ce n'est pas possible qu'une autre personne l'ait à part s'il est réellement...

Le visage d'Audisélia se déconfit.

- Le Némésis, se rattrapa-t-il, il ne peut pas...

- Tu sais, l'interrompit la reine en fixant le plafond, lorsqu'elle était venue me demandant mon aide pour un garçon dont elle s'occupait, elle m'avait dit que ce petit bonhomme souffrait d'un mal similaire que celui que je t'ai décrit...

- Euh... Sélia ? dit le garde inquiet.

- Et tu te souviens que je lui ai refusé mon aide, continua Audisélia sans faire attention à son meilleur ami, alors qu'elle m'a suppliée à genoux, alors que c'est proscrit dans sa religion de fléchir le genou face à une autre personne que son dieu. Elle m'a suppliée en larmes en péchant à l'encontre de son dieu et de ses principes pour la vie d'un enfant dont j'ai ignoré l'importance à ses yeux, juste à cause d'une vieille querelle datant d'il y a peu de temps pour nous qui vivons des centaines d'années, mais pour elle, ça datait d'une éternité..., pleura-t-elle.

- A...A...Att...Attends, Audisélia ! bégaya la garde-fée, rien ne prouve que...

- A cause de mon égo de reine du royaume de la Forêt des Fées, j'ai... j'ai délaissé ma meilleure amie alors que nous nous étions promis d'être toujours là... l'une pour l'autre..., s'apitoya-t-elle en s'agrippant à son bras.

- Non mais Sélia, arrête-toi là, ça ne veut rien dire !

- J'ai juré de le tuer ! se lamenta-t-elle.

Des éclairs se mirent à sortir de son corps, plus elle fondait en larmes, plus ils étaient nombreux. Jusqu'au moment où Sawyer n'entendit plus rien, il vit la reine se retourner vers lui et il fut pris d'une frayeur terrible en voyant son visage.

Ce qu'il craignait était arrivé.

S'il la laissait sortir de cette pièce par une quelconque sortie que cela soit la plateforme ou l'entrée, il ne savait quelle catastrophe elle pourrait provoquer.

Sawyer ne supportait pas de la voir dans cet état, c'est pour ça qu'il ne lui avait pas parlé de la possibilité lorsqu'ils énonçaient leurs suppositions ou qu'elle effectuait ses recherches, mais son amie était bien trop intelligente et difficile à duper pour n'avoir pas envisagé ou ignoré cette possibilité.

La reine se leva et se dirigea vers le garde.

Ses capacités saccadées, son maquillage qui s'écoulait avec ses larmes, ses yeux qui avaient rougis, gonflés et qui s'étaient renfoncés dans leurs orbites, sa bouche béante et ses doigts qui effectuaient des mouvements erratiques, lui rappelaient un mort-vivant.

Il détestait vraiment la voir ainsi.

Le garde du corps se leva et la prit dans ses bras, quitte à se faire électriser par les éclairs qu'Audisélia produisait, il lui caressait la tête pour la rassurer et qu'elle cesse de sangloter.

- Ça veut dire que par ma faute... elle serait morte par ma faute..., dit-elle en reniflant.

- On n'en sait rien Sélia, dit-il en supportant les éclairs qui le touchaient, on ne peut pas faire de conclusion si hâtive sans preuve concrète. Tu as peut-être raison d'envoyer des gens à sa recherche, je pense...

Il n'avait pas envie de faire de fausses affirmations qui lui porteraient préjudice. S'il avait tort, dans un coup de folie, elle pourrait le transformer en papillon grillé. Sa seule option était d'être évasif dans ses propos.

- Il faut que tu dormes maintenant, Sélia, lui chuchota-t-il avec une voix douce, quand tu te réveilleras, tu iras mieux...

Sawyer lui chantonna une berceuse pour la calmer, les éclairs se firent de moins en moins présent jusqu'à ce qu'elle ne soit plus capable d'en envoyer, ses paupières devinrent de plus en plus lourdes, jusqu'à ce qu'elle n'arrive plus à les ouvrir.

Ses derniers mots avant d'être plongée dans un sommeil profond :

- Heureusement que je t'ai toi... sinon je n'aurai plus personne à aimer...

Puis elle s'endormit pour de bon, en tenant le foulard blanc qui entourait son poignet gauche.

Continuant à la cajoler, il lui murmura :

- Moi, aussi, Sélia... Moi aussi, je t'aime...