Les supplications d'une mère
- Sélia !
Les portes de la salle du trône s’ouvrirent dans un fracas retentissant, une religieuse avec une veste jean fonça à la rencontre de la reine Audisélia qui recevait quelques ambassadeurs venus signer un armistice avec le royaume de la Forêt des Fées.
Levant les yeux vers cette inconnue, la reine fut agréablement surprise de la voir avant de changer subitement d’émotion et d’afficher de la plus grande et violente des colères.
- Elena ! s’écria Sawyer.
La souveraine des fées de Sylvania fit taire son garde du corps, elle descendit les marches menant à son trône.
- Ambassadeurs, vous pouvez disposer… très rapidement !
- Mais nous n’avons pas fini ! intervint l’un d’entre eux.
- Les traités ont été griffés, le reste ne sont que formalités, mondanités et simagrées donc je vous prierai de vous en aller avant que je doive trouver une excuse pour justifier votre mort inopinée auprès de vos dirigeants, donc… déguerpissez !
Voyant la colère dans les yeux de la monarque, les ambassadeurs prirent leurs jambes à leur cou et s’enfuirent de la salle du trône.
- Gardes ! Entourez l’intruse ! ordonna Audisélia.
Les gardes s’exécutèrent et encerclèrent de leurs lames et de leurs lances, la nonne en veste jean.
Audisélia attira elle l’épée qui était incrustée dans le trône grâce au magnétisme électrique et la planta dans le sol.
- Tu ne te serais pas enrobée depuis la dernière fois qu’on s’est vues ?
- On mange beaucoup trop d’aliments caloriques à l’église, je leur ai déjà dit de changer le régime alimentaire, plaisanta la nonne, mais plus sérieusement, tu pourrais dire à ces faiblards de ne pas pointer leurs jouets dans ma direction avant que je les casse sans faire attention.
« Jouets ? », « Pour qui se prend ce déchet d’humaine ? » se dirent les gardes.
- Essaie si tu l’oses, la provoqua la reine.
Entourée par les gardes qui la menaient de leurs armes, la nonne haussa les bras en décalant son buste sur la droite.
Les gardes attaquèrent l’intruse sans sommation, celle-ci esquiva agilement l’attaque de ses opposants et fit trébucher l’un d’entre eux sur les lames de ses adversaires lui coupant les narines, prit sa lance suivie d’une roulade pour se mettre face à tous les gardes.
La reine fit le tour de la pièce d’un simple regard et vit encore des témoins extérieurs au royaume et à ses proches, elle ne pouvait laisser le fleuron de sa garde rapprochée se faire laminer par une humaine.
Audisélia a été bien trop arrogante sur ce coup-là. Aucun être de ce royaume ne pouvait vaincre celle qu’on surnommait « La Mort ».
- Arrêtez-vous ! ordonna la reine-fée, je vais m’occuper de cette sale humaine.
- Carrément ? « Sale humaine » ? s’étonna la nonne, tu as autant de ressentiment à mon égard ?
- Je ne vois absolument pas de quoi tu parles, gamine, rétorqua Audisélia.
La reine retira l’épée du sol et la pointa vers elle.
- Je pense que tu as oublié qui est la plus âgée de nous deux, conversion des âges ou non ?
Celle qui était surnommée « La Mort » fit apparaître une longue faux orange dont on ne pouvait deviner la consistance ou l’inconsistance.
- En tant que reine, je n’ai pas à y tenir compte de ces codes archaïques, la rabroua-t-elle.
Audisélia exécuta des gestes avec sa main droite faisant apparaître des cercles lumineux bleus autour d’elle, de ces cercles sortirent des éclairs qui s’élancèrent sur la nonne qui les dévia en tournoyant sa faux.
- La « Magie des Glyphes » ? Tu t’es amélioré, princesse ?
- Je viens de te dire que je suis une reine, Elena !
La reine s’élança vers l’intruse, armée de l’épée des Dignes Rois Ancestraux de Sylvania. Elena arrêta de faire la majorette avec son arme et accompagna Audisélia dans sa démarche.
Le choc de leurs armes créa une fissure sur le sol et les fit se repousser mutuellement.
Audisélia passa derrière Elena à la vitesse de l’éclair pour lui asséner un coup d’épée dans l’épaule, la nonne la stoppa avec le manche de sa faux et voulut la faire reculer avec un coup de pied, mais la fée de sang royal fit un salto et se retrouva sur le haut du manche de la nonne. Et alors que cette dernière essaya de lui mettre un coup, la reine sauta de son arme et vola au-dessus d’elle avant de l’attaquer en piqué à plusieurs reprises.
Elena contrait chacune de ses offensives avec facilité, pour un observateur aguerri comme Sawyer, on n’observait très clairement qu’aucune des deux ne se battaient à fond, surtout l’humaine. La reine bien qu’elle fût manifestement en colère, se forçait à la combattre, elle n’en avait aucune envie mais elle ne pouvait ignorer l’humiliation que lui avait infligé Elena lorsqu’elles étaient plus jeunes…
Elle allait la pourfendre…
La reine vit une faille dans sa défense et se plaça face à elle pour lui enfoncer sa lame dans le thorax. Elena la vit s’approcher à une vitesse fulgurante, elle aurait très bien pu la trancher en deux d’un seul coup de faux, esquiver son attaque ou lui briser le crâne avec un coup de coude, mais non. Elle fit disparaître son arme fétiche et se prit le coup d’épée de plein fouet, elle ralentit la vitesse de pénétration de l’arme en apposant ses mains dessus sauf qu’au lieu de rentrer dans sa poitrine, elle transperça son cœur.
Surprise par la réussite de son coup, la nonne saisit l’épée et la fissura à sa simple force avant d’y renoncer.
Un filet de sang coula au bord de ses lèvres, les bras ballants, elle releva et regarda sa meilleure amie.
- Je te supplie, Audisélia… Sauve-le…, pleura-t-elle.
Prise d’une folie sans borne, la reine n’avait pas remarqué le changement de trajectoire de son attaque. C’est aux mots de sa dulcinée qu’elle retrouva la vue et découvrit l’épée de ses prédécesseurs plantait dans le cœur d’Elena.
- ELENA ! s’écria Audisélia en lâchant le manche de l’épée, pourquoi tu ne m’as pas attaquée ?
- Tu sais très bien que tu es incapable de me tuer et que je suis incapable de m’en prendre à toi…, répondit l’humaine en habit de religieuse, malgré le grain de folie que je perçois dans ton regard à chaque fois que mes yeux rencontrent les tiens…
- Il faut quand même te soigner même si tu es immortelle, dit la reine inquiète.
- Je n’ai vraiment pas le temps pour ça… Le temps lui est compté…
- A qui ?
- Mon fils…, soupira-t-elle.
La reine resta bouche bée, interdite, elle se mit debout et s’écarta d’Elena.
- C’est bien…, j’imagine… tu as réussi à avoir un… marmot…
Audisélia n’arrivait pas à cacher sa tristesse, la bouche couverte par sa main, les larmes s’écoulant sur son visage.
Même Sawyer ne savait quoi dire face à cette annonce, il savait pourtant qu’il était impossible qu’elle puisse avoir un enfant. Mais alors pourquoi mentirait-elle ?
- C’est…
- Ce n’est pas ce que je crois, n’est-ce pas ? l’interrompit la reine désemparée, c’est ça que tu vas me dire ?
- Mais qu’est-ce que…
- Ça fait deux fois que tu me poignardes dans le dos, dit-elle en se frappant le torse, deux fois ! Cette fois-ci, je ne te pardonnerai pas ! Cette fois-ci, je ne laisserai pas passer un autre affront.
- Ça se voit que la première fois que tu m’as pardonnée, ironisa-t-elle en crachant du sang.
Elle saisit la lame plantée en elle et la retira à main nue avant de la jeter aux pieds de la souveraine du royaume des fées de Sylvania.
La nonne s’approcha d’un pas ferme vers son amie, amie qui lui emboîta le pas. Audisélia était prête à en découdre avec Elena, même si elles devaient en venir aux mains. Cependant, contre toute attente, la religieuse se jeta aux pieds de la monarque qui la fixa, éberluée, devant son acte invraisemblable.
- Qu’est-ce que tu fais ?
- Audisélia Vanguard deuxième du nom, reine du royaume de la Forêt des Fées de Sylvania, je me trouve à tes pieds pour te supplier de sauver mon fils ! l’implora-t-elle.
Quel péché venait-elle de commettre ?
La reine était au courant des dogmes qui régissent le christianisme et savait qu’elle n’avait aucunement le droit de faire ça.
- Euh… Léna… tu n’as pas à faire ça…, dit Audisélia déboussolée.
- Si ! rétorqua Elena, c’est le seul moyen pour que tu comprennes mon désespoir.
Elena, une femme devenue épouse du Christ, qui avait donné sa vie à son Seigneur, était à genoux devant une autre personne que Dieu. L’abnégation dont elle faisait preuve allant jusqu’à pécher face à son dieu pour son rejeton débectait la reine-fée.
- Je… je ne… je ne peux… pas accéder à ta requête…, bégaya Audisélia.
- Dis plutôt que tu ne veux pas.
- OUI ! Je n’en ai effectivement et absolument pas l’envie ! finit-elle par avouer crachant toute sa haine face à cet enfant dont elle ne connaissait même pas le visage ni le nom, tu crois vraiment que douze ans après que tu te sois en allée, je vais « sauver » ce sale gosse qui est le tien alors que je l’exècre de tout mon être par sa simple évocation pour sa simple existence ? dit-elle avec une haine qui était presque palpable.
- Mais il n’a rien à voir avec notre histoire, se défendit la nonne.
- Je n’en ai que foutre, Elena, s’égosilla la reine en agitant violemment les ailes créant d’énormes bourrasques dans la pièce.
Elle n’arrivait même plus à être maitresse d’elle-même, son rôle de reine, d’amie trahie… Tout se mélangeait dans sa tête. Elle était à deux doigts de la rupture.
Voyant qu’elle était face à un mur, la religieuse s’avoua vaincue, elle ramassa l’épée de la reine et se releva grâce à son aide, elle la lui tendit, mais Audisélia ne fit rien pour la reprendre, alors Elena la planta dans le sol, nettoya sa robe et s’en alla en se tenant la plaie béante qu’elle avait à la poitrine.
Elle s’arrêta à la double porte et s’adressa à son ex-amie.
- Je ne t’en veux pas, tu sais…
- T…
- SINCEREMENT ! la coupa Elena, tu sais ce gamin, il te ressemble, j’aurai voulu que tu le rencontres, je suis sûre que toi tu l’aurais compris et tu aurais pu le sauver…
- Elena… Si je vois cet enfant, je le tuerai dès que je croiserai son regard, jura la reine.
- Je vois…, acquiesça la nonne, mais je ne pense pas.
- Hein ?
La nonne se retourna et foudroya du regard Audisélia, ses yeux effrayèrent la reine et ses gardes. Les iris d’Elena étaient devenues jaune doré, la fée et son ami se souvinrent de ses yeux, la reine trembla de tout son corps, au point d’en claquer des dents à l’intérieur de sa bouche.
- Le Destin ne le permettra pas…
Ensuite la religieuse sortit de la salle du trône.
Quelques secondes après son départ, elle s’écroula sur le sol, caressant son épaule, à la limite des larmes. Elle était terrorisée par ses yeux qui lui étaient étrangers mais qu’elle avait déjà perçu le jour de sa traîtrise. Sawyer touchait sa poitrine et son abdomen avec une expression de douleur.
Serrant les dents, la reine hurla à tout le monde de partir, gardes comme servantes ou suivantes.
- DEGAGEZ !
Des éclairs sortirent de son corps, prenant une couleur pourpre, elle se leva et partit en direction des ambassadeurs qui s’obstinaient à rester.
- Arrête-toi, Audisélia ! lui hurla Sawyer.
Les éclairs frappaient de façon aléatoire dans la pièce et détruisirent tout sur leur passage.
Sawyer sortit une sarbacane hypodermique d’une de ses poches métallisées et tira une flèche dans le cou de la reine comme il y était inscrit dans les fiches trouvées… Cependant, un éclair désintégra la flèche.
Il était pris de court, s’il n’intervenait pas, elle allait devenir incontrôlable, alors il courut vers elle et se jeta sur elle, l’entoura de ses bras et lui chanta la Berceuse, subissant en même temps la colère de la reine qui la déchaînait à travers la foudre qu’elle projetait.
S’il n’arrivait pas à la calmer, il n’y aurait pas de retour à la raison, il serait contraint à…
Soudain, Audisélia ralentit sa course jusqu’à totalement se stopper, la tension électrique de son corps diminua jusqu’à ne plus produire d’éclairs pourpres, et finalement, d’arrêter d’en produire totalement.
La tête basse, elle laissa ses larmes s’étaler sur le sol.
- Pourquoi je suis incapable de lui dire que je l’aime ? Je dois toujours fanfaronner et faire n’importe quoi comme toujours…
- Ce n’est pas grave, laisse-moi m’occuper du reste.
Sawyer appela des servantes et des gardes pour s’occuper de la reine et l’emmener dans sa chambre, il ordonna qu’on attrape tous les membres extérieurs aux proches de la reine, y compris les courtisans, et qu’on leur fasse oublier ces derniers évènements, ensuite, qu’ils jettent dehors les ambassadeurs.
Lui devait rattraper Elena.
Partant à l’extérieur du royaume et de la forêt protectrice du Cerf au Bois Blancs sans grand mal, elle arriva sur une plage de sable blanc. Si elle avait le temps, elle emmènerait le petit garçon dans un endroit similaire où il pourrait y avoir un peu plus de lumière, car aller à la plage dans la nuit éternelle avec des lampe-torches n’était franchement pas intéressant.
S’apprêtant à faire le chemin retour, elle entendit quelqu’un crier son nom, elle se retourna et reçut une fiole, et la réceptionna bien qu’elle eut un œil clos. Cette fiole était pleine de poussières de fées.
- Tu t’en vas directement après avoir mis le bazar au château ? lui demanda Sawyer sur un cheval blanc.
- Je n’ai pas vraiment le temps de rester, j’ai un gamin qui m’attend loin d’ici, lui répondit en souriant la religieuse.
- Ce marmot en question, il provient vraiment de tes entrailles ?
- D’après toi ? Gros bêta.
Sawyer gémit de soulagement.
- C’est pas très correct de se réjouir du malheur des autres, mon cher Sawyer.
- Avec toi, la bienséance, je n’en ai rien à faire.
- Etonnant de ta part, dit-elle en s’étalant de la poussière de fée sur sa palie, elle va bien la princesse ?
- Elle a failli réduire à néant le royaume, sinon elle se repose dans sa chambre.
- Rien de nouveau sous le soleil, quoi.
Sawyer descendit de son cheval et s’approcha de son amie, il prit un ton beaucoup plus sérieux qu’au début.
- Elena, Audisélia… depuis le jour où tu es partie en ayant failli nous tuer, elle n’a pas arrêté d’effectuer des recherches sur la légende du héros, si tu voyais l’état de sa chambre, c’est un foutoir sans nom, indécent pour une reine, des feuilles de partout, un tableau placardé de punaises, des fois, elle faisait des nuits blanches et je la retrouvais les yeux rouges et d’immenses poches sous les yeux… Juste pour pouvoir te libérer de cette malédiction qui t’entrave.
- Dis-lui d’arrêter. Pour son bien.
- J’ai essayé ! Mais elle ne veut pas. Elle est obstinée, se désola-t-il, tu ne sais pas à quel point elle est inquiète pour toi.
- Ce n’est pas ce qu’elle m’a montré.
- Arrête, lui dit le garde du corps, tu sais très bien que ce ne sont pas ses vrais sentiments.
Elena se gratta la tête, déroutée, puis fit un bruit de bouche montrant qu’elle n’arrivait pas à nier à l’évidence.
- Je le sais ! ronchonna-t-elle, je le vois avec mon gosse déjà qu’il ne veut plus parler. Mais elle doit vraiment arrêter de fouiner, je ne veux pas que le Némésis refasse son apparition ici. On a déjà eu de la chance la dernière fois !
- Mais…
- Et je sais à quel point elle aurait voulu être la fée de la légende, mais elle n’en est pas la réincarnation, et tant mieux ! Je n’ai aucune envie qu’elle meure à cause de cette malédiction…
- Cela la satisferait pourtant de mourir avec toi, j’imagine…, dit-il avec un rire acide.
- Ça te satisferait ?
Sawyer eut un sourire crispé et détourna le regard en secouant la tête.
- La question ne se pose pas.
- Dans quel sens ? lui demanda Elena, c’est de l’ironie ou tu fais ta mijaurée ?
- Elena…
- Ok, ok, ok, j’arrête mais tu devrais lui dire, lui conseilla en riant Elena.
- Elle a déjà quelqu’un dans son cœur…
- Qui ? Il est plus beau que toi ?
- Es-tu sérieuse ?
- Bah oui.
- Laisse tomber, souffla Sawyer, prends ce cheval, tu rentreras plus vite chez toi.
Il lui donna les rênes du cheval à son amie.
- Ah ! Je me demandais pourquoi tu étais venu me voir avec un cheval.
La nonne se hissa sur le cheval et soupira de soulagement de ne pas à avoir à marcher jusqu’à Novillios.
- Comment tu as pu venir à pied déjà ?
- J’ai dressé un Roller Scorpion. Désolé, je n’ai malheureusement pas Seb’is à mes ordres et je ne possède pas tes pouvoirs.
Sawyer eut une absence face à cette révélation.
Un roller scorpion ? Elle se fout de ma gueule ?
- Toujours plus, toi, finit-il par dire.
Elena rit.
- Fais bonne route, dit-il en frappant le derrière du cheval, et désolé de ne pas pouvoir t’aider.
- C’est rien, je comprends, déclara la religieuse, prends juste soin de ma promise, rit Elena.
Elle n’a absolument pas conscience des sentiments de Sélia…, pensa, dépité le garde.
Il s’envola pour rejoindre le château et s’occuper une énième fois de la princesse Audisélia. Mais un étrange sentiment parcourut le corps de la fée lorsqu’il ressentit un étrange vent provenant de la direction d’où était partie Elena. Il avait l’impression que c’était bien la dernière fois qu’il la verrait…
Mais cela était impossible, rien en ce monde ne pouvait la tuer sauf la créature qu’ils avaient « vaincue » lors du Grand Embrassement.
Le Némésis était mort sous ses yeux, alors pourquoi la guerrière à la faux était tant déterminée à fuir cet ennemi fantôme. Et pourquoi portait-elle une faux, ne lui avait-il pas confié l’épée de son père décédé ?
Elle, seule, était au courant de la vérité de ce qu’elle appelait sa « malédiction ».
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