L'attaque de Novillios
Revenons à un événement qui vous a été relaté bien plus tôt. Dans un souvenir du Héros, lorsqu'il n'était encore qu'un jeune garçon apeuré et que sa mère le défendait face à un horrible chevalier sanguinaire qui était, sans aucun doute, le Némésis.
Celui-ci avait mis à feu et à sang le paisible village de Novillios et en avait fait un lieu de meurtres, de massacres et de viols en tout genre. Ce suppôt du Malin ne pouvait être humain, malgré sa belle gueule d'ange qui masquait la noirceur de son âme – s'il en avait une.
L'ancienne héroïne Elena, elle priait sur l'un des bancs de l'église pour la guérison de son fils à en être au bord des larmes. Revenue bredouille après son voyage jusqu'au royaume de la Forêt des Fées, il ne lui restait plus que la prière pour obtenir son plus grand désir. Elle enrageait que sa meilleure amie n'ait pas daigné l'écouter, ni la comprendre... Toutefois, elle se devait de la comprendre. Désormais, Elena supposait qu'elles atteignaient la quarantaine, mais l'une des deux paraissait en avoir toujours vingt alors que l'autre avait déjà entamé la moitié de l'espérance de vie d'un ancien humain. Pour Audisélia, sa tentative de meurtre s'était déroulée il y a à peine quelques mois, voire quelques jours selon la conversion des âges. Elle avait quand même failli les tuer, la princesse aux cheveux de cristal et le fils de Torn le héros de Sylvania. Même si elle n'était pas totalement fautive... ce sont ses bras qui ont agi, et de nul autre personne.
Soudain, elle sentit un vent mauvais provenir de l'entrée de l'église, les lumières des bougies vacillèrent, un étrange frison lui parcourut l'échine et un malaise l'enivre de dégoût. Elle venait d'avoir une impression familière, une très familière mauvaise impression qu'elle n'avait pas ressentie depuis tellement longtemps. Elle n'aurait jamais pensé pouvoir se retrouver une nouvelle fois en présence d'une telle aura maléfique.
It's me, Elena ! lui susurra une voix dans ses pensées.
Elle sursauta de peur en entendant sa voix, celle du Némésis.
C'était lui !
Bien qu'il ne soit pas là, elle percevait son regard effrayant la fixer.
Elle fit volteface, et vit deux ombres menaçantes devant les portes de l'église. Elle s'essuya les yeux et aperçut deux grands gobelins recouverts d'essence du Maléfique, ce liquide visqueux noirâtre et rougeâtre qui corrompt tout.
Ils étaient irrécupérables...
Elle allait devoir les tuer, mais bien sûr, hors de la maison de Dieu.
Les deux monstres corrompus couraient vers elle, Elena les repoussa avec un simple coup de pied les éjectant hors de l'enceinte de l'église, elle fonça dehors et sauta au-dessus des deux gobelins corrompus se retrouvant dos à eux. À peine furent-ils retournés qu'elle fit apparaître sa faux fétiche et les trancha en mille morceaux avec des lames d'air, les transformant en rondelles.
Bien que son arme fût puissante, elle n'était pas suffisante pour vaincre le Némésis sans exécuter le scénario, elle ne pouvait le vaincre qu'à l'aide de la fée, cependant, elle ne l'avait pas encore trouvée. Pourtant elle avait senti sa présence dans la Forêt des Fées de Sylvania lors de sa dernière venue, cela lui semblait être une bien trop grande coïncidence que par deux fois son (ou sa) compagnon se trouve là-bas. Mais le problème, c'est qu'elle n'était pas la seule à pouvoir émettre la même énergie que la fée de la légende, il y avait aussi la Félonne. La seule explication au fait qu'elle n'ait jamais eu sa fée comme compagnon et qu'elle n'était pas une « élue », bien qu'elle ait obtenu la Volonté Héroïque, son existence se résumait alors à être un vaisseau pour le prochain héros de la légende qui, lui, aurait son ou sa compagnon de légende.
Se faire avoir par le destin n'était pas une première pour Elena, même avant qu'elle devienne héroïque, sur le continent d'Eden... Mais pour l'heure, sa seule réelle préoccupation n'était autre que les deux enfants.
Des cris la firent sortir de ses pensées, elle remarqua que les nuages de ténèbres dans le ciel reflétaient une couleur pourpre, elle entendait le crépitement des flammes et des hurlements de désespoir qui composaient une symphonie horrifique. Elle se retourna en direction de ces sons et de ces lumières, et découvrit avec stupeur l'horreur qui se déroulait à Novillios pendant qu'elle priait : le village était en feu, assiégé par l'armée des monstres corrompus du Némésis qui étaient de toutes tailles et de toutes races. Ils le ravageaient de part en part sans scrupule, possédés par les miasmes du Maléfique.
Il était peut-être même accompagné de ses « généraux ».
Cette fois-ci, Elena se doutait qu'il ne comptait pas la laisser s'échapper. Il n'y aurait aucune échappatoire pour sa survie, soit elle le tuait, soit elle mourrait, voire pire, elle devenait l'une des causes de la destruction de Fayiera Terra...
Elle ne pouvait pas se résoudre à ses trois chemins qui lui étaient destinés ! Si elle trouvait la fée, il pourrait le sceller encore une fois... Elle ne pouvait mourir alors que son enfant était si jeune...
C'est vrai, le gamin !
Elle repartit à l'intérieur de l'église en enjambant les cadavres des gobelins fraichement tués et gravit les escaliers à la recherche de son fils.
As-tu aimé mon petit comité d'accueil ? demanda le Némésis.
- Généralement, c'est aux habitants d'organiser un comité d'accueil pour les invités à ce que je sache.
Toujours à faire l'intello... Je préférais Lesiana Santario, la commissaire de Los Chicanas à Mexicario, j'avais complètement réussi à la détraquer !
A ne pas confondre avec le Mexique, le Nouveau Mexique, le New Mexique et le Tout-Nouveau Mexique. Mexicario n'était pas vraiment ce qu'on pourrait appeler un pays, voire une ville tellement l'organisation de ce lieu-dit était... anarchique.
- Je m'en « rappelle » : cinq enfants, trois cousins, trois neveux, six nièces, un mari et deux frères que tu as zombifiés, l'obligeant à les tuer car elle ne pouvait de les voir devenir des monstres à moitié morts. Elle fut dans une telle souffrance que la seule chose qu'elle voulait c'était abandonner le rôle de héros, quitte à ce que cela lui coûte la vie. Malheureusement pour toi, tu n'as pas réussi à obtenir ce que tu voulais en lui faisant goûter au désespoir : la corruption du héros. Et par dépit, tu as abrégé ses souffrances. Quelle preuve d'humanité..., conclut-elle avec ironie.
Elena en profita pour réveiller ses consœurs du couvent, elles lui demandèrent ce qu'il se passait les yeux encore clos et en baillant – les pauvres venaient tout juste de s'endormir. Elles n'eurent droit comme réponse qu'Elena n'avait pas le temps de leur expliquer, si elles voulaient un semblant de réponse qu'elles observent Novillios à traveurs leurs fenêtres. Elles devaient, en tout cas, prendre le bus de l'église et s'enfuir du village le plus loin possible. La sortie Sud de Novillios étant totalement à l'opposé du lieu de l'attaque des troupes du Némésis, elles se devaient de prendre cette direction pour fuir.
Elle arriva à la chambre de la Mère Supérieure, plus communément appelée Matriarche Thérésa ou Sœur Thérésa.
- Mère Supérieure ! Réveillez-vous...
La Matriarche n'était pas dans sa chambre. Elle repartit alors en toute hâte dans le couloir à sa recherche mais ne la vit nulle part.
Elle sentit le Némésis se rapprocher, elle n'avait vraiment pas le temps de faire tout le tour du lieu pour chercher cette vieille mégère. Elle se dirigea vers sa chambre et, étrangement, la trouva entrouverte. Elle généra sa faux et s'approcha délicatement de l'entrée, craignant le pire. Entrant dans la pièce, elle allait trancher en deux l'intrus qui avait osé se faufiler dans sa chambre, mais se ravisa en voyant qu'il s'agissait de la Mère Supérieure au-dessus du corps du jeune garçon. Sœur Elena allait se jeter sur Mère Thérésa mais s'aperçut qu'elle était en train de prier, et sentit que son fils était encore en vie.
- Après tout ce temps, tu te méfies encore de moi, déclara la Mère Supérieure.
- Vu l'amour que vous portez au garçon au point que je ne fus pas autorisé à lui donner à un nom, permettez-moi d'émettre des doutes.
Elle fit rapidement disparaître sa faux.
- Je peux te l'accorder, mais qui crois-tu qui se soit occupé de cet enfant ? Sœur Magah ?
- Vous devriez arrêter de juger les autres sur leur passé dès lors qu'ils rentrent dans les ordres...
- Elle est inconsciente. Surtout quand elle laisse des enfants s'amuser sur le toit du couvent.
- Oh la...
Elle se retint d'injurier sa sœur en Christ mais la Mère Supérieure avait raison. Magah était incapable d'un quelconque esprit d'adulte.
Elena s'approchait du lit de son fils et vit qu'il dormait aux côtés de Zelda.
- Vous les laissez dormir dans le même lit ? chuchota énervée Elena.
- Pourquoi pas ? Ce sont des enfants. Ils n'ont pas encore l'esprit perverti par le péché. Tu es encore plus stricte que moi.
Elena prit l'épaule de son fils et le secoua.
- Réveille-toi ! On doit y aller !
Le garçon ouvrit petit à petit les yeux, les habituant à la lumière de la pièce.
- Qu'est-ce qu'il y a ? demanda le garçon.
- On doit s'en aller.
- On est viré ? s'inquiéta le jeune homme en regardant la Mère Supérieure, mais on a rien fait.
- Ça n'a rien à voir ! le recadra Elena, le Némésis est là. On doit fuir.
Le plus surprenant dans cette situation, c'était qu'Elena était plus inquiète par le fait que son fils dorme avec une fille d'à peu près son âge que du Némésis dont elle en parlait d'une voix si monotone.
- Encore ? Mais pourquoi ? Tu peux pas le battre comme dans la légende pour qu'on puisse vivre en paix ! Moi j'en ai marre de courir à travers le monde pour rien ! Je viens juste de me faire des amis que j'ai envie de garder...
- Arrête de faire l'enfant avec tes caprices, le réprimanda Elena, ce n'est pas la première que cela nous arrive. On doit continuer d'avancer quoi qu'il nous en coûte...
Était-ce trop dur pour un enfant de subir ces mots ? Assurément, il y avait trop façon de lui dire.
Zelda se réveillait tout doucement, elle avait entendu des bribes de la conversation et était toute déboussolée, elle ne comprenait rien à ce qui se passer.
- « Viens juste » ? Ça fait...
La Matriarche attrapa l'épaule de la Sœur et lui fit comprendre qu'elle devait faire preuve de beaucoup plus de compassion à l'égard de son enfant. La Sœur soupira et s'agenouilla face à son fils.
- Je suis désolée de vous infliger ça les enfants, mais je n'ai pas le choix... Après si tu te sens heureux ici, je ne veux pas t'obliger à vivre une énième séparation et une pérégrination vers nulle part périlleuse, alors peut-être que... nos chemins devraient se séparer ici ? Si tel est ton choix sache que j'ai été très heureuse d'être ta m...
Le jeune garçon se jeta sur sa mère et l'enserra.
- Non ! Je ne veux pas que tu me laisses !
Elena fut surprise par la réaction de son fils, même s'il avait vécu longtemps ensemble, elle ne s'attendait pas à une telle réaction de sa part. Il l'aimait vraiment ? Il la considérait vraiment comme sa mère ?
- Si vous vous en allez, je peux venir avec vous, demanda Zelda, j'ai pas de famille et j'ai pas vraiment envie de retourner à l'orphelinat. Suivre l'héroïne serait mon plus grand rêve.
- Tu sais que la vie à mes côtés est plus ardue que de me supporter à l'orphelinat, dit Elena l'héroïne.
- C'est pas grave, je suis un bonhomme moi ! s'exclama la petite fille.
Elena secoua la tête, désemparée par cet argumentaire si... développé.
- Comme tu veux mais après faudra pas te plaindre.
Elle releva l'enfant enrubanné et indiqua à tout le monde de partir au bus. Les enfants avancèrent plus rapidement que les adultes. Mère Thérèsa retint Elena et l'emmena dans sa chambre.
- Qu'est-ce que vous faites ?
La Mère Supérieure alluma trois bougies au-dessus de son bureau et un cercle magique apparut au-dessus de celui-ci, une énergie violette enveloppa le bureau avant de disparaître. Mère Thérèsa fouilla dans ses tiroirs et en sortit un parchemin où il était inscrit des inscriptions illisibles, même pour l'héroïne.
- Hypocrite un peu d'user de la magie quand...
- Tais-toi, tu veux. Tiens.
- Qu'est-ce que c'est ?
- Ce que tu m'as demandé après que tu eus été revenue de ta petite escapade.
- Mais vous aviez dit que...
- Oublie ça. J'ai observé comment ce garçon se démenait comme un diable dans le bénitier pour simplement se déplacer, pour manger, pour sourire, pour ne pas avoir honte de lui en me regardant... C'est une épreuve trop dure pour un enfant de dix ans, il ne mérite pas ce genre de vie, même dans un monde aussi infâme que le nôtre.
Des larmes coulèrent sur le visage de la Matriarche.
- Mais je ne sais absolument pas où se trouve cette sorcière.
- La Montagne Décharnée.
L'héroïne sursauta.
- Mais c'est de la folie de s'y rendre !
- Pas si tu as ce papier. Et tu as été élue par Dieu pour être la protectrice de ce monde alors ce n'est pas une vulgaire montagne remplie de squelettes qui va te faire quoi ce soit, lui rétorqua-t-elle en lui frappant l'épaule.
Toujours dure cette vieille dame grabataire.
Dire qu'il y a à peine quelques minutes, Elena injuriait toute sa descendance – enfin, elle l'a fait pendant plusieurs années.
Elles entendirent le bruit du klaxon, Elena porta Mère Thérèsa à un bras et courut jusqu'à une fenêtre donnant sur le parking où était garé le bus, elle sauta à travers et atterrit sur le toit du bus de l'église, puis en descendit et reposa la Mère Supérieure.
- J'aurais pu faire une crise cardiaque !
- On ne parle jamais de ce qui aurait pu arriver, lui dit Elena.
Une Sœur du nom de Valzen plutôt fine et aux contours des yeux noircis vint s'approcher de l'héroïne.
- Tu nous as convoquées pour que nous prenions le bus mais pourquoi ?
- À cause d'un funeste danger qui se rapproche dangereusement, lui expliqua Sœur Elena, vous allez devoir vous en enfuir en prenant la sortie du Sud du village.
- Seulement la sortie Sud mène à rien à deux cents kilomètres à la ronde, intervint Sœur Lilette, le seul moyen d'atteindre une autre ville le plus rapidement sans se perdre dans les ténèbres c'est d'aller à la sortie Est.
- Mais le danger se trouve à l'Est !
- Calmez-vous ! interrompit Sœur Deliane.
C'était une femme imposante au visage carré qui, malgré sa carrure de boxeur, était plutôt féminine. Elle s'accroupit entre les sœurs et fit apparaître sur le sol une carte de la ville, tracée dans la terre.
- Je sais Mère Supérieure que je ne devrais pas utiliser la magie mais là, c'est vraiment important.
On y voyait la position du Némésis et de ses troupes, les habitants qui s'enfuyaient et les Sœurs qui étaient à l'autre bout de la ville, le tout formé par des petits points de diverses couleurs. Les différentes sorties y étaient indiquées, et on pouvait observer que la sortie Est n'avait pas encore était atteinte par le Héraut du Malin, il se trouvait plus au Nord-Est. Sœur Lilette calcula le trajet qu'ils pouvaient faire pour atteindre la sortie Est sans être attaqués par les monstres.
- Bon. Ça risque d'être juste au vu de l'avancée des créatures démoniaques mais je pense qu'on pourrait leur échapper de justesse si on part maintenant.
- Cependant, nous n'allons pas partir maintenant, déclara l'abbesse.
- Hein ? firent les Sœurs, étonnées.
- Nous sommes de la congrégation des Enfants du Saint Salut, rappela Mère Thérèsa, nous ne pouvons pas nous enfuir comme des lâches, sinon cela revient à dire que tous nos sermons n'étaient que de la poudre aux yeux et de l'hypocrisie.
- Mais Mère Supérieure, si ce sont les monstres qui sont décrits dans la légende du héros, nous ne pouvons les combattre, dit Sœur Parola.
Les autres Sœurs hochèrent la tête. Elles étaient vraiment toutes effrayées.
- Je sais que nombre d'entre vous craignent le danger qui arrivent, que vous avez échappé à des guerres, des massacres, des vies qu'aucun être en ce monde ne méritent d'avoir... Mais nous devons aller au-delà de nos appréhensions et aider les autres car il est de notre devoir d'aider autrui. « Fais ce que tu voudrais qu'on te fasse ! ». Alors rappelez-vous des malheurs que vous avez vécus et souvenez-vous du moment où vous vouliez qu'on vous tende la main.
Se souvenant de leurs passés tumultueux, elles baissèrent la tête, honteuse de vouloir abandonner tant d'innocents alors que leur bus avait assez de place pour secourir un minimum de personnes.
- Désormais vous avez obtenu la force de pouvoir aider les autres alors soyez cette main que vous auriez voulu qu'on vous tende. Et toi, Elena, si tu es celle que tu prétends être, tu sais quel choix faire.
- Mère Supérieure, le héros est chargé de sauver le monde du Malin, pas sauver les gens.
- Tu sais que cela n'a aucun sens, non seulement pour ton rôle mais aussi pour ta foi.
Elena se mordit la langue, elle le savait déjà, mais elle ne pouvait courir le risque de mettre en danger ceux dont elle avait la garde pour des inconnus qui la dénigrait.
- Soit ! capitula-t-elle, malgré tout, nous sommes bien trop nombreuses, il n'y aura jamais assez de place pour nous permettre d'aller secourir les Novilliorois.
- Sœur Deliane, sortez Marie et Joseph, ordonna la Matriarche.
- Ah mais oui ! s'exclama la Sœur bodybuildeuse, c'est vrai qu'ils sont arrivés.
Elle se rendit au garage avec Sœur Noami et toutes les deux sortirent deux immenses bus, si le premier pouvait accueillir soixante-seize personnes, ceux-là étaient capables d'accueillir deux cent cinquante-six personnes.
- Vous les avez vraiment achetés ? demanda la Sœur Elena.
- J'ai pensé que faire des activités allant au-delà de notre quotidien religieux pour le bien de la communauté était finalement une bonne idée, autant pour les villageois que pour les enfants.
- Dommage qu'ils servent désormais d'arche de Noé.
- C'est peut-être pour ça que le Seigneur me les a faits prendre.
Les doyennes de l'église firent grimper les autres Sœurs et les deux enfants dans le plus petit bus, conduit par Sœur Franzesca, les deux autres étaient pilotés par Sœur Deliane et Sœur Noami. Elena grimpa sur le toit du bus contenant toute la communauté régulière.
Les Sœurs démarrèrent les bus et toutes se rendirent à un coin différent de la ville, les conductrices avaient toutes un plan pour pouvoir se repérer dans le village et pour pouvoir esquiver l'armée corrompue. Au vu de la composition du village et de tous les holocars qui tentaient de s'enfuir par la même voie, il était plus facile de contourner la route principale pour se rendre à la sortie Est, alors Elena aurait tout le temps de rattraper le bus contenant son fils et Zelda.
Elle sauta sur le bus de Deliane qui se rendant dans le centre du village, Noami irait se charger d'aller en direction de l'hôpital psychiatrique pour récupérer les personnes de l'asile.
Se tenant droite sur le haut du véhicule, Elena pensait.
Elle ne s'était jamais senti l'étoffe de l'héroïne. Même si elle avait réussi à tenir plus longtemps que ses prédécesseurs – pour la plupart –, elle savait que cela était dû à la chance, ou plutôt à Dieu ou à ce foutu Destin...
Peut-être aujourd'hui serait sa fin, elle se dirigeait peut-être vers sa mort sans le savoir, mais il n'y avait aucune solution. Si le Némésis n'avait envoyé que deux sbires ridicules pour se confronter à elle alors qu'il aurait pu venir de lui-même, cela signifiait que lui aussi savait que le temps d'Elena était compté, et que de toute manière, c'est ici que se déroulerait son combat final.
L'énergie du héros devait sans doute la quitter sans qu'elle s'en rende compte dévoilant de plus en plus sa position au Némésis. Cela voudrait dire que le futur héros allait bientôt être sélectionné et qu'il se trouvait dans ce lieu, à peine aurait-il la Volonté du héros qu'il devrait se confronter à l'ennemi de l'humanité ?
Le Destin du héros se foutait bien de leurs têtes à ces pauvres âmes qui tenaient plus de martyrs que de héros.
Il était peut-être temps d'assumer son futur chant du cygne, de cesser d'utiliser sa faux datant d'une énième guerre futile et de porter sur elle la véritable arme du héros de la légende, celle qui avait été forgée tout spécialement pour elle. Le moment était venu.
La nonne fit apparaître sa faux et la brisa, une chaine se matérialisa entre les deux extrémités du manche de la faux brisée et une lame apparut sur le deuxième bout de faux, elle accrocha l'arme sur ses hanches et tendit les mains en face d'elle :
- Choisie pour sauver le monde du Démon, élue pour sauver les Hommes et les Féériques, moi l'héroïne de cette humanité nouvelle et brisée, je t'appelle toi, l'arme capable de pourfendre les ténèbres : Épée de l'Éternel.
Dans ses mains apparut une épée brillante, étincelante, elle était de toute beauté, l'aura qui l'entourait était tel le feu embrassant le buisson ardent du pays de Madian, son manche orange gravé et sa lame plus tranchante que l'air... Il ne pouvait s'agir que de l'arme de l'héroïne Elena, celle dont la foi était immuable.
Arrivant vers la grand-place, les Sœurs Deliane et Elena firent la rencontre d'un immense monstre gris, purulant de pustules, il avait une bouche sur le ventre et trois bouches édentées en guise de yeux. Il avait l'air aussi bête que ses pieds, il saccageait tout sur son passage et dévorait à tour de bras. Les pauvres villageois qui avaient le malheur de se trouver sur son chemin. Elena sauta du bus et se dressa sur la route de sa main alors qu'il allait empoigner à pleine main toute une famille, elle planta sa main dans sa patte comme si c'était du beurre et la trancha en une rotation sur elle-même. La bête hurla de douleur, mais la nonne ne montrait aucune forme de compensation envers elle, il n'était qu'une créature morte-vivante résultant d'une agglutination de corps qui avaient été dévorés par cette chose : le bijou du Némésis qu'elle allait s'empresser de tuer une bonne fois pour toute, elle en avait assez de voir cette chose se mettre sur sa route.
La bête se releva et tenta d'écraser l'héroïne mais celle-ci sauta sur sa main et courut le long de son bras gras et rempli de visages de ses victimes qui hurlaient à la mort, elle planta son épée dans ses visages, la faisant glisser jusqu'à la tête du monstre pour leur accorder le repos éternel en continuant son ascension. Arrivée en haut, elle se tint face à la tête de la créature, elle vit son noyau à l'intérieur de la bouche principale, la créature essaya de l'attraper mais Elena sauta en arrière en faisant un salto en arrière et dans les airs, elle pointa son épée en direction du noyau et étendit la lame de son arme, pourfendant cette boule d'hémoglobine. Le noyau brisé et éclaté, la créature se désagrégea en un tas de chair putréfié.
La nonne atterrit juste derrière la petite famille et leur indiqua de monter dans le bus. Elle leur demanda s'il y avait d'autres personnes qui avaient besoin de son aide, on lui dit que de nombreuses familles s'étaient enfermées dans leur maison en espérant que les monstres les ignorent et y en d'autres qui étaient coincés dans les gravats ou sont en incapacité de se déplacer.
Elle partit dans la direction que la famille lui avait indiquée, accompagnée du père qui n'avait pas envie de passer pour un pleutre en laissant une Sœur les sauver sans rien faire. Tous les deux visitèrent toutes les maisons possibles, frappant à toutes les portes pour avertir leurs occupants qu'un bus les attendaient pour les escorter hors de cet enfer.
Elena soulevait des poutres, détruisait des rochers qui avaient été projetés sur les résidences des villageois pour sauver ce qu'il y avait à sauver : hommes, femmes, enfants, vieillards, animaux de compagnie, bête de somme... Si elle devait sauver le monde, alors elle allait sauver le monde, elle ne se laisserait plus aller à la couardise ! Ces gens attendaient un sauveur dans leur détresse et elle n'allait plus rester inactive face aux dangers, peu importe la rancune qu'elle leur portait pour avoir maltraité son fils, elle allait les secourir coûte que coûte. Et ces personnes voyaient sa détermination devant les aller-retours transportant les impotents, les handicapés et les enfants à la seule force de ses bras, tous ceux qui avaient injurié le jeune garçon, tous ceux qui l'avaient malmené, blessé... se retrouvaient honteux devant cette femme qui se démenait de tout son être pour les secourir.
Avec le bus, ils faisaient le tour des environs pour voir s'il y avait encore des gens à secourir sans pour autant s'approcher de l'armée du Némésis et ne pas croiser l'un de ses généraux. Le Némésis pouvait la sentir se rapprocher, mais il ne faisait rien, il devait sans doute l'attendre pour qu'il puisse mettre un terme à cette course-poursuite qui avait duré depuis bien trop longtemps.
Si seulement Audisélia avait été la fée de la légende..., regretta-t-elle, peut-être nous l'aurions vaincu assez longtemps pour que je puisse vivre en paix avec le gosse ? Non ! Je ne peux pas désespérer maintenant, sinon je vais perdre toute ma volonté une fois face à lui ! Je dois continuer le com...
Elena se mit à cracher du sang en toussant, elle s'écroula sur le sol en se tenant la gorge, sa fin arrivait plus vite que prévu. Sœur Deliane lui demanda si elle allait bien, mais Elena n'arrivait plus à respirer, si son asthme revenait maintenant, cela ne servirait à rien de combattre. L'un des passagers du bus lui lança un sort de soin pour la calmer, elle se retourna et s'aperçut que c'était la femme de l'homme qui lui avait prêté main-forte.
- Je crois vous reconnaître... Vous êtes la nouvelle infirmière de l'école primaire ?
- Si, c'est moi, et je tenais à vous dire que je suis infiniment désolée de n'avoir pas voulu m'occuper de votre fils lorsque ses blessures s'étaient ouvertes en cours...
- Ça n'a aucune sorte d'importance, souffla Elena.
- Pour moi si. Pour nous tous même. Vous êtes quand même la directrice de l'orphelinat et vous vous êtes préoccupée de chacun de nous alors que vous ne nous devez rien.
La nonne leva les yeux et vit que tout le monde l'observait des deux étages du bus, elle se grattait la tête avant de s'affaler sur son siège avant secouer la main au-dessus d'elle.
- Vous n'avez pas à vous excuser ou me remercier, c'est mon devoir en tant que nonne, chrétienne et héroïne de vous sauver. Comme on dit en Islam, je crois : « Qui sauve un homme, sauve l'humanité », et mon fils me demanderait si je dois accepter vos excuses car il a fallu que je vous sauve pour que vous vous rendiez compte du mal que vous avez fait, et j'ai bien trop la flemme pour réfléchir à ce genre de conneries... Le plus important, c'est que vous vous échappiez, alors allez-vous asseoir.
L'infirmière scolaire hocha tristement la tête et retourna à sa place.
- Peu importe que cela soit hypocrite de ton point de vue ou non, chuchota Sœur Deliane à Elena, le plus important c'est qu'ils aient compris de leurs erreurs.
- Je ne sais pas, je m'en fiche tu sais.
La même chose se déroula dans les différents quartiers du village, affrontant les monstres et autres bestioles en tout genre, secourant tous les villageois qu'ils trouvaient sur leur route et ils réussirent à récupérer le maximum de personnes qu'ils pouvaient récupérer et arrivèrent au lieu du rendez-vous. Elena descendit du bus et alla à la rencontre de la Matriarche.
- Nous avons pu récupérer autant de gens que nous avons pu en trouver, il y en a même dans les soutes donc il faudra que Sœur Deliane fasse attention en conduisant.
- Et toi ça va ? lui demanda la Mère Supérieure, tu n'as pas l'air très bien...
- Ce n'est rien. Juste que ma fin est proche, donc je dois vous demander quelque chose.
- Quoi ? s'inquiéta la Mère Supérieure, ne me dis pas que...
- Si. Gardez avec vous le garçon, il le faut. Je ne sais pas ce qu'il va m'arriver mais si je vous suis, il nous suivra et vous décimera, il vaut mieux que je fasse tout mon possible pour le retenir un temps suffisant pour que vous puissiez vous enfuir en toute tranquillité.
- Mais tu...
- Oui j'ai péché en lui mentant, mais Mère Thérèsa, ce gamin n'a pas besoin de me voir mourir, je préfère qu'il se sente abandonné une nouvelle fois plutôt qu'il me voie me faire charcuter par ce démon.
- Je n'allais pas te parler de ceci, mais du fait que tu devais aller à la Montagne Décharnée.
- Vous pourrez l'y conduire vous-même, lui répondit-elle en lui tendant le parchemin qu'elle lui avait donné plutôt.
Mère Thérèsa ne voulait pas laisser l'une de ses filles aller à la mort, mais si c'était le seul moyen d'assurer la survie du groupe... Elle voyait dans le regard d'Elena sa détermination à se battre, malgré la pâleur de son visage, face à cet être malfaisant.
Elle se devait de respecter ses dernières volontés.
- Je te le promets.
- Merci.
La Mère Supérieure remonta dans le bus et retourna à sa place à côté du jeune enfant, elle le réveilla. Le garçon eut du mal à se redresser, lui aussi était dans un sale état, ces blessures suintaient de sang et de pue, les bandages le grattaient, mais il se retenait pour paraître le plus normal possible, pour qu'on ne le juge pas. Cette détresse attristait la Mère Suéprieure, elle en serrait les dents de rage. Elle était peut-être trop vielle, mais elle irait avec lui en demandant à Sœur Franzesca de les conduire jusqu'au sommet de la Montagne pour voir cette sorcière, peu importe les conséquences.
- Réveille-toi... Il faut que tu dises au revoir à ta mère.
- Hein ? sursauta l'enfant.
Il tourna sa tête à la fenêtre et vit sa mère lui faire coucou.
- Maman monte !
- Je ne peux pas. J'aurais voulu que nos chemins continuent jusqu'à que je puisse t'envoyer à l'université ou juste t'offrir un avenir radieux mais le temps de Dieu n'est pas le nôtre... Les Sœurs et la Mère Supérieure vont s'occuper de toi, désormais. J'ai été plus que ravie d'être ta mère, je sais que nos débuts ensemble étaient plutôt mitigés, voire même tumultueux... Entre ce que je considérais être des caprices et ma dureté... Mais arrivés ici, j'ai été vraiment contente que tu t'ouvres plus aux autres, que tu te mettes à parler, que tu te fasses tes premiers amis... C'était extraordinaire ! Et pour rien au monde, je ne voudrais pas revivre ses moments, je les garderai et les chérirai jusqu'à la fin de ma vie et au-delà. En tout cas, je suis certaine que tu deviendras une personne capable d'être admirable et admiré de tous, alors souviens-toi d'être cette bonne personne et de faire confiance à tes amis car la vie est bien trop courte pour être vécue seul...
Elena s'arrêta net et cracha du sang contre la paroi du bus.
Son temps se raccourcissait.
- Maman ! s'écria le jeune enfant en pleurant.
- T'inquiète. C'est rien. Une simple blessure comme tu as l'habitude d'en voir. Je suis désolé de n'avoir pas été meilleure que mes prédécesseurs avec toi, meilleure que ta propre mère, mais tu as été une lumière dans les ténèbres de ma vie, et dire que ta présence m'a été d'un grand secours alors tout... allait mal... serait un euphémisme...
Elena se mit aussi à pleurer, elle essuya son sang et ses larmes avec les manches de sa robe.
- On est des... bonhommes, nous... on pleure pas... c'est compris ?
- Maman...
- C'est compris ? répéta-t-elle.
- Oui...
- Allez, il est temps que je vous offre l'opportunité de survivre. Je te souhaite la bonne vie, gamin. A la revoyure.
La nonne s'en alla en courant en direction de Novillios, la Mère Supérieure dit à la chauffeuse de démarrer, l'enfant criait le nom de sa mère, la Matriarche essayait de le décoller de la vitre, mais il se débattait de toutes ses forces pour pouvoir encore la voir.
Au moins, juste son ombre.
Il ne voulait pas la quitter, elle était la seule personne qui comptait à ses yeux, il ne voulait pas perdre la dernière personne qui l'avait recueilli et qui lui avait fait voir la lumière dans ce monde noirci par le Maléfique. Comme tous les enfants boudeurs qui se mettent à faire des actions enfantines et inutiles, il se mit à faire une action enfantine et inutile : il se mit à pousser la vitre du bus où se situait son siège, la Matriarche le regardait, interloquée, le voyant pousser contre une vitre qu'aucun enfant humain n'était capable de casser avec ses mains, Mère Thérèsa se rassit.
Si cela l'occupait, elle n'avait pas à s'en inquiéter.
Mais le voir se débattre autant pour cette femme lui donnait la confirmation qu'elle avait eu tort de le traiter de façon si inhumaine. Ce garçon qui lui était apparu si étrange, si effrayant... Lui a montré tout au long de sa vie à l'église qu'il était le plus gentil des enfants qui soit. Peut-être qu'elle lui donnerait un nom comme l'avait voulu sa mère... Non, c'était à elle de le faire, elle n'avait aucun droit sur sa personne...
Soudain, elle entendit la vitre s'ébréchait, la première personne à réagir fut Zelda, elle connaissait son ami, elle pensait qu'il allait abandonner à cause de la douleur de ses blessures, mais elle avait oublié qu'il était un forcené, il n'allait pas laisser sa mère partir ainsi.
Mère Thérèsa était époustouflée par la force dont faisait preuve le jeune garçon blessé, il était mutilé de partout, enroulé comme du papier cadeau dans ses bandages et il arrivait, quand même, à ébrécher la vitre d'un bus.
Malgré qu'il eût vu son humanité, ce garçon restait une étrangeté à part entière. Elle observait ses muscles se gonfler, ses gencives saigner et se teinter ses dents de rouge, et il finit par briser la vitre de son côté et chuta de l'autre côté. La Matriarche fut si fasciner par cette force, qu'elle en oublia de le rattraper. Le garçon se retrouva au sol, hors du bus, le corps cloué par terre et planté de bouts de verre, il savait que sa mère détestait qu'il utilise sa force mais il ne comptait pas l'abandonner... il ne pouvait pas l'abandonner.
Zelda criait son nom à travers la vitre brisée mais le garçon ne l'écoutait pas, il allait en direction de son village qui était en feu et rempli de monstres tout aussi affreux que lui.
Marchant vers la ville, Elena entendit des petits cris derrière elle, elle ne sentait aucune magie dans cette direction. Il ne pouvait s'agir que d'une personne. Elle ne savait pas si elle devait le gifler ou le prendre dans ses bras.
Son dernier acte envers ce garçon n'allait quand même pas de lui mettre une droite dans la joue tout de même.
Le garçon courut vers sa mère en pleurant et en criant « maman », celle-ci se retourna, l'attrapa par les joues à une main et le souleva du sol.
- Tu pouvais pas t'en empêcher, hein ?
Puis le colla contre elle. Le garçon lui rendit son étreinte, ensuite elle le reposa sur le sol et lui caressa la tête.
- T'es vraiment un garçon insolent..., souffla-t-elle.
- Je veux pas vivre sans toi, tu seras toujours ma mère ! Je veux qu'on parte ensemble !
Dire que ce garçon n'était pas empreint d'amour était le plus grand mensonge qu'elle avait entendu. Il était beaucoup plus humain que les autres Hommes et hommes qu'elle avait pu rencontrer tout au long de sa vie.
Peu importe ce que le Destin du héros de la légende dicterait à ses actes futurs, elle ferait tout pour revenir vivante de sa confrontation avec le Némésis, ils vivront tous les deux dans ce nouvel endroit où les Sœurs auront décidé d'aller.
- T'inquiète pas, petit bonhomme ! Je vais régler son compte à ce malotru et on ira manger des glaces à Bisonti avec les autres Sœurs.
- On mangera des chocoricots ?
- Tu mangeras tes satanés chocoricots tout seul, rit Elena.
Oui. Elle vivra...
Annotations
Versions