Les Tristes Vies de Talemilia et Lelelitio Grave: Une nouvelle famille

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Alors petit retour en arrière de vingt-et-un ans, dans ce quartier si instable et précaire, à une époque où Lelelitio était une jeune pousse elfique comme sa future princesse et où Talemilia Malalalivia Grave ne s'appelait pas ainsi.

Jadis, Lelelitio et Malalalivia habitaient plus bas dans les Basfonds, dans un lieu plus lugubre que ce qu'a pu voir le Héros depuis son arrivée. Si le haut des Basfonds était un état de non-droit laissé expressément ainsi par les autorités supérieures du royaume pour effrayer les habitants du Haut-Lieu et du Sanctuaire, plus on descendait dans les profondeurs, plus l'odeur de pourriture nous emplissait les narines et plus on s'enfonçait dans les abysses de ce quartier, plus on s'apercevait des ténèbres qui l'avaient envahi. À se demander si les cadavres de la Grande Félonne, tuée par Torn le héros, et de l'Hydragon qui avait été vaincu par le futur chef des Saints de la Reine et la future reine elle-même durant leur jeunesse, n'y étaient pas liés.

C'est au milieu de ce marasme de peur et de l'insalubrité la plus crasse qu'habitaient les deux jeunes enfants de cette histoire. À cette époque, ils ne résidaient pas tout seuls – bien trop jeunes –, l'elfe habitait encore chez sa mère – normal à son âge –, servante de la mère de Malalalivia Talemilia – qui ne s'appelait pas encore comme cela – : Malalalivia Grave.

C'était elle la première à tenir ce nom.

À cette même époque, Malalalivia seconde du nom, ne se nommait pas non plus Talemilia, ce nom modifié était inspiré de celui de sa défunte mère, morte lorsqu'elle avait cinq ans.

Talemililia était une femme douce et aimante qui avait son petit caractère et qui, malgré tout, était généreuse, très appréciée dans la communauté féérique des Basfonds. C'était elle qui participait le plus souvent aux collectes de nourriture pour les familles les plus démunis et combattait avec véhémence les injustices qui se déroulaient au sein de cette partie du royaume, n'ayant malheureusement aucun pouvoir pour améliorer les choses à plus grande échelle.

Mais malgré sa grande bonté, elle s'était faite de nombreux ennemis.

C'était lors d'un soir, alors qu'elle rentrait du marché de Haute-Ville – car il n'y a pas de marché dans les Basfonds, à part si vous êtes prêts à manger vos semblables – avec un tas de bonnes avec lesquels Malalalivia la servante elfe pourra leur préparer un bon petit repas pour elle et sa fille – et peut-être même le fils de sa servante s'il voulait bien venir cette fois-ci –, elle fut poignardée par un inconnu qui en avait après elle à cause « de son panier rempli de bonnes choses ».

Une enquête a été effectuée et il se trouva que l'homme retrouvé n'avait aucun souvenir d'avoir fait cet acte. Même le détecteur de mensonge ne put l'incriminer alors il ne fut qu'emprisonné pour l'éternité.

Rendez-vous compte qu'une princesse du royaume, exilée à cause de son ascendance, venait d'être assassinée comme une vulgaire chienne au milieu d'une rue malfamée au sein de celui-ci.

Y avait-il un quelconque sens à cela ?

Surtout que ce n'était pas fini, des scélérats en avait profité pour piller sa demeure et la brûler le soir même de l'assassinat de la mère de la dernière princesse des Grave.

Cela fut la mère de Lelelitio qui vint au secours de la fille de sa maîtresse et qui la protégea des brigands. Elle était une femme assez forte pour se confronter à toutes sortes d'adversaires ; elle était bien digne de son mari. Selon les souvenirs de Lelelitio, la future princesse n'avait pas voulu partir de la demeure et y avait dû pleurer au moins un mois la mort de sa mère en compagnie de sa propre mère qui était très attachée à Malalalivia puisqu'étant sa servante attitrée depuis sa puberté.

Durant ce mois d'absence, Malalalivia avait laissé presque seul son fils dans leur miteuse « maison » – qui tenait plus de la cabane construite par un enfant de dix ans que d'une véritable habitation pour une quelconque famille – devant s'occuper de lui-même en se faisant à manger, « faire le ménage », faire ses devoirs, chasser des rats géants, chasser les clodos et les squatteurs qui tentaient d'envahir sa demeure... en espérant le retour, au plus tôt, de sa tendre mère.

S'il avait pu faire tous ses exploits, c'était bien à cause de sa nature d'elfe qui, contrairement aux humains qui sont vulnérables jusqu'à au moins l'adolescence voire l'âge adulte, fait d'eux des enfants déjà très débrouillards à l'âge de quatre ans et qui atteignaient déjà le mètre trente ! Ce qui n'était pas une taille aussi singulière qu'on pourrait le penser parmi les Féériques. C'était une race qui, à l'inverse de celle des humains, n'était pas particulièrement sociable, donc ils apprenaient rapidement à s'en sortir seul. Toutefois, cela dépendait aussi des peuples et des sous-groupes au sein de la même race.

Puis vint enfin le jour tant attendu : Malalalivia était revenue !

Alors qu'il se jetait dans ses bras, il remarqua qu'aux côtés de sa mère une petite fille pas plus haute que trois pommes – elle ne faisait qu'une tête de moins que lui –, à la mine boudeuse, aux yeux gonflés, au visage tuméfié et aux habits un peu plus soignés que l'ensemble des Basfonds mais tout aussi laids et tout aussi sales que les leurs, ses mains étaient couvertes de plaies et de pansements en feuilles, ses jambes étaient dans le même état que ses mains, cependant, elles avaient particularité de jouer des maracas en s'entrechoquant les genoux et à ses pieds, elle n'avait qu'une chaussure.

L'étrangère était timide et craintive, se cachant derrière la mère de Lelelitio à l'approche de son fils alors qu'il voulut la saluer en lui tendant la main.

- Fais attention, Leli, elle est encore troublée, le prévint sa mère.

La fille le guettait du coin de l'œil en s'accrochant à la robe de sa « protectrice », il observa sa particularité oculaire qui était ses yeux vairons – dont l'un n'était absolument pas marron mais rose, mais cela est un détail – et des étoiles parsemant ses globes oculaires, il n'en avait jamais vu de pareils auparavant.

Il lui rappelait quelqu'un, mais il ne savait plus qui.

- Il est temps que je vous présente : voici mon charmant petit garçon, Lelelitio, je vous ai déjà parlé de lui lors de mes visites chez votre mère.

La petite fille hocha timidement la tête en continuant de fixer le garçon derrière sa protectrice.

- Et Lelelitio, voici la fille de notre maîtresse, la princesse...

Son sang ne fit qu'un tour en entendant cela, son visage se déconfit, il devint terne et renfrogné. Il n'attendit pas la fin de la présentation de sa mère pour s'en aller et leur claquer la porte au nez. Sa mère fut bouche bée devant son attitude, ne l'ayant jamais aussi en colère.

- Je suis désolée, votre Altesse. D'habitude, il n'est jamais comme ça, je ne saurai vous dire ce qu'il s'est passé durant mon absence.

- Non... non... ce n'est rien madame Malalalivia, lui assura-t-elle.

- Pas de simagrées entre nous, tu peux toujours m'appeler Malali comme avant.

Elle hocha la tête. Puis après un petit temps d'hésitation, elle lui demanda en bégayant :

- Si je comprends bien ce qui va se passer, vous allez devenir ma nouvelle maman ?

- Oh non ! Non ! Non ! Non ! s'empressa-t-elle de corriger, ça serait un bien trop grand honneur que d'être la mère adoptive d'une des princesses du royaume de Sylvania.

« Déchue », ajouta l'orpheline en pensée.

- Je ne me permettrai pas de souiller la mémoire de Dame Talemililia ainsi. Rentrez, je vous prie, demoiselle Avelilinélia.

Elle voulut la reprendre mais se retint, elle n'avait pas la force, ni la tête à vouloir la contredire. Après tout, elle l'accueillait chez elle, dans son domicile, gratuitement. Elle ne voulait pas imposer sa présence plus que de nécessaire.

Le petit Leli était parti se réfugier dans sa chambre, se cachant derrière son lit, le corps tout recroquevillé, boudant la présence de la nouvelle arrivée. Il n'avait jamais rien dit sur le fait que sa mère l'abandonnait pour s'occuper de la branche de la famille royale déchue, mais grâce à la mort de la princesse Talemililia, il aurait pensé que sa mère s'occuperait enfin beaucoup plus de lui, mais voilà qu'il devait se retrouver avec la dernière descendante dans les pattes. En plus chez lui ! Dans son domicile !

Il éprouvait d'immenses regrets à penser cela car, d'une certaine manière, ils étaient cousins, bien qu'ils soient des elfes et eux des fées. La famille Grave avait racheté leurs ancêtres et les avait retirés de leur minable vie d'esclave en échange de servir leur famille en tant que servants et ils seraient qualifiés de « cousins » de la famille royale.

En définitive, avec cette histoire en tête, c'était comme s'il se réjouissait un peu de la mort d'un membre de sa famille.

Cependant, toutes ses histoires de lignage ne l'intéressaient aucunement ; tout ce qu'il voulait c'était récupérer sa mère. Rien que pour lui. Et pas voir sa mère courber l'échine pour le bonheur d'autres personnes !

Déjà que depuis la mort de son père Lanstest, lors d'une autre bataille pour le bien du royaume, il se sentait terriblement seul. Si en plus cette intruse accaparait sa mère, cela allait être la goutte de trop qui allait faire déborder le vase.

En fin de compte, ses pires craintes se réalisèrent, Malalalivia était aux petits soins avec la princesse Avelilinélia, lui donnait toujours les meilleures parties des viandes, des poissons et des légumes, pendant qu'eux mangeaient des produits à moitié avariés – heureusement que leur vie dans les Basfonds a rendu leurs corps assez robustes pour supporter les aliments pourris de cet endroit. Elle avait le meilleur lit de la maison, n'avait pas besoin de participer aux tâches ménagères, avait la pièce qui lui épargnait de faire la rencontre des rats et des cafards géants, pouvait se laver avec de l'eau chaude... et encore plein d'autres privilèges auxquels Lelelitio n'avait plus droit.

Et pourtant, malgré tous ses petits bonheurs, obtenir tout cela ne changeait pas l'expression d'effroi et de tristesse qu'elle affichait depuis qu'elle était arrivée chez eux ; elle ne parlait toujours pas, ne souriait jamais, ne voulait pas faire l'effort de s'amuser avec les seuls jouets que possédait l'elfe que lui avait offert sa mère...

Tout cela irritait encore plus le garçon.

La seule chose qu'il remarqua chez elle fut sn attachement à un bouquin bien singulier qu'elle trimballait partout où elle se rendait dans la maison. Il était à moitié cramé et il semblait manquer des pages mais elle le feuilletait chaque jour. C'était le seul moment où il la voyait esquisser un simulacre de sourire.

Ces événements se répétaient jusqu'au jour où Lelelitio finit par craquer et à s'en prendre à elle autant verbalement que physiquement. Avelilinélia n'arrivait même pas à se défendre et elle n'émettait aucun son pour protester, il n'y avait juste que ses expressions faciales qui exprimaient sa désapprobation. Il la poussa par terre et lui tint farouchement les bras.

- Défends-toi ! lui hurla Lelelitio, bats-toi, fais quelque chose ! On t'héberge et tu ne peux pas faire l'effort d'être contente.

Elle se débattait en poussant des grognements sourds, tournant la tête de gauche à droite, se tordait les bras dans tous les sens pour pouvoir se tirer de l'emprise de son agresseur, battant le bout de ses ailes contre le sol en soulevant des volutes de poussières.

- Mais je le suis ! finit-elle par dire, mais je ne méritais pas tout cela ! Tout ce qui m'est arrivé ! Ni ma mère ! Aucune de nous ne méritait cela ! Si on était vraiment des princesses de Sylvania pourquoi on subirait tout ça ? Pourquoi ma mère est morte ? Pourquoi j'ai un traitement de faveur alors que je suis aussi crasseuse que vous ? pleura-t-elle, moi j'étais bien avec ma maman... Je voulais rester avec ma maman pour toujours et on me l'a prise ! En plus de me prendre ma maison où je vivais avec elle ! Pourquoi le héros et la fée de la légende ne sont pas venus nous sauver ? Pourquoi ils n'ont pas sauvé ma mère ?

Lelelitio s'enragea encore plus.

- Parce que le monde est injuste et c'est comme ça ! lui rétorqua Lelelitio, c'est comme ça et on n'y peut rien ! On n'a pas les sous pour vivre à Haute-Ville donc on vit ici, t'es née dans la mauvaise branche de la famille royale, tu vis ici. Je pourrais t'en poser des questions moi aussi : « Pourquoi mon père est mort pour un royaume qui nous laisse crever de faim ? », « Pourquoi ma mère est obligée de servir des gens qui ne font même pas partie de la royauté et qui nous payaient à peine ? », « Pourquoi on ne peut pas vivre avec égalité avec tous ceux d'en haut ?». Toutes ces questions je me les pose mais moi je chiale pas comme la gamine capricieuse que tu es. Je me contente de ce que j'ai et je ne m'accroche pas à de stupides histoires d'enfants attardés en espérant qu'un prince charmant vienne me sauver et rendre ma vie meilleure. Si t'es pas capable de faire ça, rends-moi ma mère et casse-toi de chez moi !

- Mais je n'ai nulle part où aller !

- Alors va te pendre si t'es pas capable de te débrouiller toute seule, princesse de pacotille !

En prononçant ces mots, le jeune elfe comprit la dureté de ses paroles et les regretta instantanément, il voulut s'excuser mais sa colère était encore trop intense pour qu'il puisse le faire, et sans s'en rendre compte, il serrait de plus en plus fort ses bras. Seules les larmes de la jeune fille lui permirent d'exprimer sa douleur.

C'est l'intervention de Malalalivia qui fit cesser cette bagarre d'enfant, elle mit une bonne gifle à son fils et prit dans ses bras la princesse Avelilinélia, la bombardant de questions de si elle allait bien, s'il n'était rien arrivé de grave à ses ailes...

C'était bien la première fois que Malalalivia mit la main sur son fils, de plus d'une façon aussi violente, avec une telle force...

Se caressant la joue, il fut révolté par les priorités de sa mère.

- Voilà ! Tu te préoccupes de cette étrangère plus que de ton propre fils !

Passant sa main sur les cheveux de la jeune fille qu'elle portait dans ses bras, Malalalivia lança un regard noir à son fils.

- Ce n'est pas toi qui t'en prenais à une petite fille endeuillée à l'instant ? lui demanda froidement sa mère, de plus, c'est notre devoir de prendre soin de la famille royale qui nous a rachetés alors que nous n'étions que des esclaves et qui nous a offert un nom de famille, nous les elfes de Azadelkis...

- Un nom de famille pour qu'on soit leur propriété exclusive, oui, rétorqua-t-il.

Malalalivia eut un sursaut, elle n'avait jamais vu son fils être aussi furieux.

- Qu'est-ce qu'il t'arrive ? Je ne t'avais jamais vu comme ça ?

- J'en ai marre, c'est tout ! De tout ce cirque, je veux pas devenir le chien de cette fille qu'est plus jeune que moi.

- Leli, ce n'est pas comme ça que tu dois parler devant...

La princesse la stoppa et descendit des bras de sa protectrice.

- Je comprends son amertume à mon égard et je pense qu'il n'y a pas besoin de créer autant de distance entre nous, ça n'apportera rien de bon que je garde ce statut de princesse alors qu'il n'y a rien pour me distinguer donc... donc... accepteriez-vous... de... de... me traiter comme... votre... votre... fille ?

C'est la demande la plus longue que j'ai jamais entendue de toute ma vie.

- Cela vous convient vraiment princesse Avelilinélia ? lui demanda Malalalivia.

- Oui, lui répondit-elle timidement, et... Eli ou Aveline est plus que suffisant.

- C'est d'accord, céda la servante, je ferai de mon mieux pour accéder à votre demande.

- Et on oublie le vouvoiement et le reste de la politesse, je veux être traitée comme votre fils..., exigea-t-elle avec une petite voix.

- Comme vou... c'est comme tu le veux.

Le faisait-elle pour apaiser le cœur de Lelelitio ou tout simplement pour se débarrasser de son titre de princesse ?

Dans les deux cas, il ne pouvait s'empêcher de lui reprocher sa couardise.

Trois mois s'étaient écoulés depuis cette dispute. Trois longs mois cela avait pris pour apaiser la tension entre les deux enfants, où la fée avait pris peu à peu l'initiative de sortir de son mutisme, de participer aux tâches ménagères, de se débarrasser des rats avec sa nouvelle mère et son cousin-frère-ou je ne sais quoi. L'elfe, lui, avait commencé à accepter petit à petit la présence de cette princesse dans sa demeure et lui autorisait de lui parler – c'était plutôt Malalalivia qui lui forçait la main. Mais, en définitive, ils finirent par s'entendre de mieux en mieux comme des vrais amis, prenant même leur bain ensemble pour profiter de l'eau chaude, avec Malalalivia qui les lavait.

Pour la mère de famille, cela faisait bien longtemps qu'elle n'avait plus ressenti une telle ambiance festive depuis la mort de son mari. Voir de nouveau sourire son fils à pleine dents lui donnait du baume au cœur. Cette atmosphère de famille heureuse leur permettait d'oublier la misère dans laquelle ils vivaient et de ne pas soucier du lendemain.

Les années passèrent, dix ans s'étaient écoulés, et les deux enfants avaient bien grandi. Tout d'abord Lelelitio, l'elfe avait désormais dix-neuf ans, il était devenu grand, élancé et svelte – comme actuellement mais en plus maigre –, il avait trouvé un petit travail qui payait assez pour qu'ils ne meurent pas de faim en tant que nettoyeur de la tortue géante qui transportait le royaume sur son dos. Toujours célibataire, il disait qu'il n'avait rien à offrir à une fille. Seules sa mère et Avelilinélia, nouvellement renommée Talemilia, lui importaient.

Venons-en à la princesse Avelilinélia qu'on n'appelait justement plus princesse Avelilinélia, mais juste Talemilia, en l'honneur de sa mère. Si elle s'était délestée de son titre et de son nom, ce n'était pas simplement de son fait, mais aussi pour des raisons de sécurité.

Ils apprirent que beaucoup de personnes étaient satisfaites de la fin de la branche déchue de la famille royale et qu'ils pensaient qu'Avelilinélia avait aussi succombé à l'incendie, donc Lelelitio et Malalalivia décidèrent de cacher l'existence de la princesse en la renommant et en faisant croire que c'était une nouvelle réfugiée à Sylvania – merci à la période incessante de déplacement du royaume. C'était elle qui décida de reprendre le nom de sa mère malgré les contrindications des membres de sa famille, elle accepta alors de retirer la syllabe déshonorable du prénom de sa mère pour se nommer juste Talemilia.

C'était devenu une jolie jeune fille aux ailes sublimes, souriante, naïve, joviale et qui parlait beaucoup, mais beaucoup plus, au point que ça en devenait désagréable. On ne pouvait pas trouver personne plus bavarde et plus égayée qu'elle. Elle avait fini par hériter de la bonté et de la gentillesse de sa maternelle, aidant les plus démunis et les orphelins à s'en sortir, arrêtant les disputes entre les piliers de bars ou des bandes rivales, à l'instar de sa mère. Pour beaucoup, elle était devenue une sainte qui d'ailleurs ne laissait indifférente aucun homme, ni aucune femme – c'était Lelelitio qui se chargeait de refuser les avances qu'on lui faisait, protégeant celle qu'il considérait comme sa petite sœur...

Malalalivia ne pouvait cacher la grande fierté qu'elle avait pour ses deux enfants qu'elle avait élevés seule, fière qu'ils soient devenus des gens droits et mâtures, elle aurait tellement voulu montrer à son mari et à sa maîtresse comment ils avaient bien grandi. C'est alors qu'elle se lança dans un petit rituel consistant à ce que, toutes les deux semaines, elle se rendait sur leurs tombes au cimetière qui se trouve à l'est des trois quartiers du royaume – le seul lieu où noble, citoyen lambda, déchu pouvaient se rendre sans aucune forme de ségrégation ou d'autorisation puisque nous étions tous égaux face à la mort – et elle leur racontait comment leurs enfants avaient changé pour devenir de vaillantes personnes.

Elle n'avait pas beaucoup changé en dix ans. Aucune ride ne s'était affichée sur son visage, et cela était bien normal : les elfes vivaient trois cents ans et elle n'avait pas encore atteint la moitié de son espérance de vie, mais il était juste de remarquer que son corps avait été tout de même marqué par les affres de la vie – quelques blessures de ci et de là. Malalalivia restait tout de même une charmante dame qui était souvent courtisée, mais elle refusait à chaque fois les avances qu'on lui faisait, préférant s'occuper essentiellement de ses enfants – comme son fils, finalement. L'elfe avait eu du mal à s'y faire de considérer la princesse Avelilinélia comme sa fille, la favorisant toujours un peu par rapport à son propre fils, mais en définitive, elle autant que son fils, s'y sont faits ; Lelelitio arrivait à pardonner les écarts de sa mère et elle à mieux considérer Avelilinélia comme sa fille.

Une belle petite famille s'était créée autour de ces trois singuliers personnages.

Cependant, comme le disent les deux adages de Velipsé : « Averig, le souffle des périodes impérieuses, n'est jamais loin des vertes contrées » et « Ne t'attends pas à voir les vents forts ne pas être précédés des nuages de cauchemars ».

Une grande période de famine s'abattit sur l'ensemble du royaume. À cause de malheureuses erreurs de calculs de leur trajectoire, le royaume de Sylvania s'était retrouvé dans le pays de Kano alors qu'il visait les terres de Baleramin qui se trouvent plus à l'est.

À cette époque, le royaume n'avait pas une agriculture bien avancée pour s'autogérer comme maintenant et les nombreuses dissensions qui existaient à cause de la naissance de la Fée avait perturbées tout le gouvernement qui ne s'était plus préoccupé de la bonne trajectoire de la tortue-monde. Heureusement pour eux, ils avaient des grandes réserves grâce aux pays entièrement composés de Féériques avec qui ils commerçaient, malheureusement la royauté et les nobles passaient avant le reste du royaume – bien que la reine ait tout fait pour que les provisions se fassent équitablement, elle n'avait pas encore sa force de persuasion qu'elle a eu à l'âge adulte. Haute-Ville passait en deuxième puis cela viendrait au tour des Basfonds, mais la trop grande gourmandise des nobles et la maigre autorité de la reine ont fait que la situation avait beaucoup plus dégénéré qu'elle n'aurait dû.

Et les personnes ayant le plus subies sont celles qui résidaient près du cadavre de l'Hydragon vaincu par la reine mais que personne n'avait pris la peine de débarrasser – alors qu'il était tout de même gigantesque. La chair du monstre pourrissait depuis onze ans, empestant tous les Basfonds d'une pestilence cadavérique, une pestilence dont les habitants s'était accoutumé durant toutes ces années mais cette dépouille était l'une des sources de tous les rongeurs et autres indésirables qui se nourrissaient de la viande faisandée du lézard géant ailé qui avait attaqué le royaume. Ce qui était cocasse, c'était que beaucoup de rongeurs Féériques vivaient en tant que citoyens de Sylvania, alors il était évident que les gens, dans leur racisme primaire, finirait par les confondre avec les indésirables qui se répandaient partout, alors qu'ils parlaient l'Oli'Ane universelle.

Si toutes les strates de la société étaient touchées par cette famine, il est sûr qu'il fallait compter parmi elle, la famille de nos joyeux lurons qui furent l'une des premières touchées parmi celles qui habitaient dans le fond des Basfonds. Mais la gaieté de Talemilia contrebalançait avec l'atmosphère morose de leur situation.

Cette situation était devenue tellement incontrôlable que les contrôles à la frontière de Sylvania, la Forêt de la Brume de l'Oubli, étaient mal effectué et des gens malveillants avaient réussi à se faufiler dans l'enceinte des murs du royaume : des braconniers à Féériques.

Le début du règne de la reine Audisélia avait été catastrophique : entre ses différentes crises de nerfs qui mettaient en péril le royaume, sa tristesse continuelle et qu'elle était manipulée par les nobles du royaume comme un pantin, l'avenir radieux de Sylvania ne pointait pas le bout de son nez à l'horizon. Et nul besoin de rappeler qu'il était fortement déconseillé de compter sur le commandant suprême des armées de Sylvania qui était un incompétent de première envergure. La seule personne qui pouvait faire bouger les rouages de ce système cassé n'était autre que Sawyer, le chevalier des Saints de la Reine, celui qui aurait dû être le commandant des armées de Sylvania après Caemgen si ce clown de Mathgen ne lui avait pas volé sa place – cette information était de notoriété publique, mais bon... C'était un homme beaucoup trop occupé : il devait soutenir la reine, se préparer à l'affrontement avec les nations ennemies qui profitèrent du chaos pour essayer de prendre le contrôle de Sylvania et de leurs espions qui infiltraient le gouvernement... Heureusement qu'il était doté d'une grande intelligence et que grâce à la notoriété de son défunt père, héros de nombreuses guerres, vainqueur de la bataille face au roi des trolls et bourreau de la reine Marrynélia, il pouvait, grâce à cela, compenser sur les manigances des charognards de la cour royale en attendant que la reine se reprenne.

C'est lors de cette période sombre qu'arriva un sombre évènement pour la princesse Avelilinélia et à son servant Lelelitio aux conséquences irrémédiables.

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